mardi 17 décembre 2019

Les journées de l’Economie Autrement se sont tenues pour la troisième fois à Dijon les 23 et 24 novembre. Réussies. Les propos qui suivent sont ceux que j’ai tenus à l’ouverture. Ils ont suscité un certain intérêt et du débat justifiant l’idée d’en faire un édito.

L’heure est en effet suffisamment grave pour que « l’Economie autrement » ne s’auto-limite pas à être un supplément d’âme pour militants alternatifs ou professeurs d’économie atterrés. Elle doit devenir très vite une ardente obligation de tous : producteurs, consommateurs, épargnants, mais aussi, et c’est loin d’être gagné, celle de dirigeants économiques, politiques, syndicaux ou associatifs.
Comme l’a dit avec justesse Nicolas Hulot avant de partir : «  l’Economie sociale et solidaire doit devenir une norme et non une exception sympathique. » Pour nous comprendre, je dirais que si la pomme sans pesticide était la norme il n’y aurait plus besoin de pomme labellisée bio !

Nous en sommes loin. Et Hulot est parti.

Au cours de ces trois dernières années d’existence des Journées de l’économie autrement lancées par Alternatives Economiques, les menaces avancent plus vite que «  l’autre économie » et la maison commence à brûler.

Il suffit de lever le nez pour voir trois épées de Damoclès briller au-dessus de nos têtes, prêtes à frapper, séparément ou ensemble :

La première est le retour possible d’une crise financière comparable à celle des subprimes de 2008 car si les banques sont plus solides, l’endettement des entreprises non financières est énorme, la bulle obligataire est disproportionnée et les fonds itinérants non régulés sont colossaux !

Vient ensuite le dérèglement climatique qui n’est plus une hypothèse mais une réalité, exprimée par les cris d’alarme du GIEC, du WWF et bien d’autres. La Californie est en flammes, 450 personnes ont été blessés en France à la suite d’une lutte pour l’accès à l’énergie combustible peu chère, 60% des espèces vivantes ont disparu en 40 ans etc. L’urgence est là : nous devons diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 en diminuant de 50% notre consommation d’énergie.

La troisième épée symbolise la menace sur l’Etat de droit et les libertés fondamentales des démocraties européennes. La séparation des pouvoirs, la liberté de la presse et celle des ONG reculent alors que la peur et la haine de l’autre progressent.

Notre jeunesse serait donc en droit de plagier Churchill un de ces jours en disant à ceux qui ont disposé de pouvoirs de décision : « Vous avez eu le choix entre l’autruche et les catastrophes. Vous avez choisi l’autruche vous aurez les catastrophes.  »

Heureusement, sur le terrain, nombreux sont celles et ceux qui refusent l’autruche et ré-inventent demain avec optimisme et détermination. Mais Il y a urgence à ce que la somme de leurs « initiatives small » fassent un « beautiful BIG BANG ! »

La question est donc me semble-t-il bien celle-ci :

« Comment construire un nouvel écosystème qui permette à l’autre économie de changer d’échelle et construire une post-croissance évitant d’un côté la régression sociale et de l’autre la fuite en avant d’une économie spéculative à haut risque ? »

Encore faut-il définir ce que nous entendons par « économie autrement ». J’en propose ici une définition personnelle et subjective.

«  L’économie autrement, c’est l’économie sociale et solidaire, qui ajoute le mot écologique, qui se fixe pour objectif de polliniser par l’exemple le reste de l’économie et qui invente de nouvelles régulations d’intérêt général avec la puissance publique notamment les collectivités locales  »

La recherche de cette post-croissance sobre, circulaire, qualitative et résiliente devrait nous conduire à abandonner l’idée que, pour créer, il faut toujours d’abord détruire ! La résilience est un mot clef de l’économie autrement.

Ainsi, à titre d’exemple le projet d’Europa City bétonnant 70 hectares sur le triangle de Gonesse pour construire un temple de 800 000 mètres carrés d’hyper-consommation avec piste de ski est l’opposé de l’économie autrement.

Je suggère avec modestie quatre pistes un peu impressionnistes pour progresser dans notre quête collective d’une « économie autrement », notre graal commun.

Premièrement, comme écrit ci-dessus, il faudrait ajouter un E à ESS pour qu’elle devienne Economie Sociale Solidaire et Ecologique. Je suis militant ESS depuis 40 ans et balaie devant ma porte : l’ESS n’est pas écologique par nature. Fédérons les licornes potentielles comme Enercoop, la Nef, Mobicoop, BIOCOOP et d’autres pour constituer un bouquet d’offres de rupture. Si je suggère souvent de vite passer chez Enercoop, ce n’est pas de la publicité, c’est un acte de résilience citoyenne ! J’invite également les banques coopératives, les mutuelles, les coopératives agricoles se référant à l’ESS à entrer résolument dans la sobriété énergétique et les énergies renouvelables. J’invite l’éducation populaire associative à retrouver une nouvelle ambition en sensibilisant et formant la jeunesse aux nouvelles pratiques écologiques. La transition sera en même temps écologique, démocratique et solidaire ou ne sera pas et c’est ici que l’ESS est légitime.

Une autre piste d’action serait de fédérer les adeptes de la méthode REVE : Résister, Expérimenter, Voir loin, Evaluer.

Nous savons ce à quoi veut résister l’économie autrement : l’économie spéculative, l’ébriété énergétique, les inégalités indécentes, l’opacité des décisions.

Nous savons ce qu’expérimente l’économie autrement : la finance solidaire, les énergies renouvelables citoyennes, les coopératives d’activités et d’emploi, l’habitat participatif, les pôles de coopération, les circuits courts, le covoiturage libre, les accorderies, les fabriques à initiatives, les tiers lieux etc.
Mais nos résistances et expérimentations restent cruellement dispersées et arrêtées par un plafond de verre. Faut-il rappeler qu’un jour la résistance s’est dotée d’un conseil national qui a inventé l’après- guerre ?

Adoptons au moins un signe partagé de reconnaissance, un signe de nos résistances et de nos expérimentations communes, pour nous identifier, nous relier, devenir visibles. On pourrait éviter les gilets colorés mais épingler à nos revers quelque chose comme : « je passe à l’économie autrement, les catastrophes ne passeront pas par moi. »

La troisième piste à creuser serait de rapprocher les expérimentations dispersées sur les territoires. Les expériences innovantes fonctionnent en silos : ici un territoire à énergie positive, là un territoire zéro chômeur, ici un pôle territorial de coopération économique, là-bas des clusters ou des tiers lieux, ici un pôle territorial alimentaire, là-bas des start-up de territoires.
Relions entre elles ces expérimentations pour en faire des laboratoires systémiques. Promouvoir une alimentation durable c’est aussi améliorer la sobriété énergétique.

Je propose que l’an prochain les Journées de l’économie autrement soient consacrées aux Territoires de l’économie autrement. Une puissante rumeur monte des territoires, souvent bonne parfois dangereuse, pour rejeter parisianisme et jacobinisme sourds et arrogants. Répondons-y !

Enfin, il faudrait proposer un New Deal de la création de valeur et de la mesure d’impact.
Nous avons une révolution à accomplir pour sortir du diktat selon lequel valeur d’échange et valeur d’usage seraient synonymes. Il n’y aurait que ce qui passe par le marché qui aurait de la valeur. Mais que serait la vie sans bénévolat associatif, sans solidarités de voisinage, sans engagements civiques ? Il y a 20 ans j’ai travaillé sur un programme « Nouveaux services, Nouveaux emplois » qui reposait sur l’utilité sociale comme valeur. La suppression des contrats aidés marque une régression philosophique. Un vendeur de glyphosate créerait de la valeur et un contrat aidé dans un EHPAD n’en créerait pas ? Cette vision ne peut être celle du monde de demain.

Renouvelons le concept de chaîne de valeur. Saisissons-nous de la mesure d’impact social et écologique pour ne pas la laisser aux seuls financiers. L’économie autrement c’est aussi compter autrement.

Le plus difficile dans les pistes que nous devons explorer ensemble : « comment faire vite alors que les territoires nous apprennent qu’inventer un nouveau modèle de développement prend du temps »

Pour ma part si l’heure est grave je refuse par conviction de céder à la collapsologie.

Je termine donc mon propos par un message détourné du lion Winston Churchill, toujours inspirant dans les périodes où tout semble foutu :

« Agissons pour cette autre économie, comme s’il était impossible d’échouer »

Hugues Sibille
Président du Labo de l’ESS

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