mardi 17 décembre 2019

Fragments d’une politique convivialiste (pour la France)

 

Les convivialistes ne sont pas un parti politique, pas même une association formellement constituée. Le groupe initial, celui qui a permis la rédaction du Manifeste convivialiste, se veut et se pense comme une amicale de théoricien(ne)s. Engagés, certes, mais qui reconnaissent la nécessité du travail proprement théorique. Ils n’ont donc pas vocation à présenter un programme politique, au sens habituel du terme. Il leur incombe néanmoins de réfléchir aux grandes directions dans lesquelles devrait s’engager une traduction politique concrète des principes généraux sur lesquels ils se sont mis d’accord. Ce sont ces directions que la réunion du 12 février dernier (après celle du 17 décembre) se proposait d’explorer en s’attachant aux spécificités françaises. La règle du jeu était que chacun des participants devait présenter et défendre en cinq minutes trois propositions principales, seul moyen d’entendre la quinzaine de présents1 en se laissant a priori un peu de temps pour une discussion générale. Étant entendu que les réformes qu’il s’agit d’envisager n’impliquent pas de nouvelles dépenses (voire permettent de diminuer des dépenses anciennes), puisque le convivialisme pose au premier chef la question de savoir comment il est possible de rendre la société plus harmonieuse, heureuse et équilibrée en l’absence de la croissance.

Il est bien sûr impossible de rendre compte de toutes les propositions présentées2, et peut-être pas utile, d’ailleurs, puisqu’il ne faudrait pas que la chose tourne au catalogue. J’ai donc adopté comme parti, dans ce compte-rendu de ne prendre en compte que des propositions formulées au moins deux fois ou/et formant un faisceau suffisamment cohérent.

Ainsi regroupées, les propositions formulées concernent trois grands champs de réforme indispensables à la France :
- Rendre la démocratie plus démocratique
- Restaurer la confiance
- Réformer l’économie et surmonter le chômage
- Rendre la démocratie plus démocratique

Le constat est général : l’écart entre dirigeants et dirigés, gouvernants et gouvernés se creuse à tous les échelons de la société française, et rend insupportables les exhortations rituelles à la participation des citoyens tant elle sonne creux. En pratique la « participation » ne sert en France, le plus souvent, qu’à renforcer la légitimité des dirigeants à leurs propres yeux, et donc à creuser encore plus l’écart qui les dépare de leurs administrés. Il faut donc, comme y insiste plus particulièrement C. Alphandéry, réfléchir au statut de l’élu, favoriser l’élection de ceux qui se trouvent au bas de l’échelle sociale, et, comme beaucoup en sont d’accord, interdire effectivement le cumul des mandats et veiller, surenchérit J-P. Worms à leur limitation dans le temps.

En un mot il convient à la fois de dé-professionnaliser la politique et de la rendre effectivement accessible aux citoyen(ne)s ordinaires. Mais comment ? Sans doute en instillant de solides doses de démocratie directe, i.e. de tirage au sort (A. Bévort et Denis Vicherat), en prêtant toutefois attention, souligne JP. Worms, au fait que, comme le montre l’expérience des conseils de quartier, que, tirage au sort ou pas tirage au sort, ce sont évidemment les personnes issues des CSP + qui monopolisent la parole. Voilà qui soulève une question essentielle, bien introduite par Anne-Marie Fixot dans sa critique des politiques de la ville. Comment veut-on que les habitants consultés, quand ils le sont, puissent donner un avis pertinent, en une heure ou deux, sur des projets qu’ils découvrent au dernier moment alors que « maîtres d’œuvre » et « maîtres d’ouvrage », ainsi que les édiles municipaux, y travaillent depuis des mois ou des années ? Face à eux, pour que puisse vivre une démocratie urbaine, il faut instituer une « maîtrise d’usage », mobilisant les savoir vivre urbains, les savoir habiter des habitants. Mais il faut se garder ici d’un spontanéisme angélique. Pour pouvoir parler de plain pied avec les maîtres d’œuvre et d’ouvrage il est nécessaire d’instaurer une formation à la maîtrise d’usage qui permette de comprendre les points de vue de toutes les parties concernées par l’urbanisme. Faut-il donc former à la démocratie ? N’est-ce pas plutôt « la démocratie qui forme », comme le soutient énergiquement A. Bévort ? Mais l’opposition n’est peut-être ici qu’apparente puisse tout le monde a en tête la référence aux conférences de consensus dont le principe est bien de reconnaître aux citoyens ordinaires, tirés au sort, une compétence supérieure à celle des experts spécialisés, mais à la condition que ces citoyens aient en effet écouté les experts et que donc, en ce sens, ils aient été formés.

 

Restaurer la confiance

Sans doute en lien étroit avec l’écart croissant qui se creuse entre dirigeants et dirigés, le second trait frappant dans l’état actuel de la société française est le manque de confiance de tous envers tous. Des citoyens envers leurs élites, note B. Perret. Mais, plus généralement, de la société française envers elle-même. Sans doute, comme l’observe A. Insel, à la fois depuis la France et depuis la Turquie, est-ce lié à un fort sentiment de « déclin civilisationnel ». Mais cela est vrai également de toute l’Europe occidentale. Quelque chose, en France, se surajoute à ce déclin européen général. Qu’il faut rattacher, certainement, à la structure demeurée étonnamment hiérarchique, quasi monarchique de la société française. Curieux pays que la France, qui se veut en même temps le plus égalitariste de tous, peut-être, et le plus statutairement hiérarchique. Qui cumule la haine et l’amour du privilège. Et faut-il ajouter, le mépris et l’amour des humanités. Au cœur de ce système, on trouve, évidemment, l’institution spécifiquement française des Grandes écoles, coupées de l’Université, hyper sélectives, ne produisant d’élites qu’au compte-gouttes, de plus en plus fermées, intouchables et endogames, prisant par dessus tout la culture de l’ingénieur ou de l’expert. La culture « boîte à outils », en somme ! Les ravages exercés par ce dispositif institutionnel se font jour dès la petite école, comme y insiste F. Flahault, comme si son seul rôle était de détecter les un pour cent ou les un pour mille susceptibles de gravir tous les échelons pour arriver au sommet, où la sélection est impitoyable et où chacun se retrouve marqué à vie, statufié, à la fois honoré et stigmatisé par son rang de sortie. Voilà qui explique largement la chute de la France dans les classements PISA puisque l’École y inculque plus la honte de l’échec que le goût d’apprendre et le plaisir de réussir. Et elle ne sait pas qu’elle devrait former non seulement au savoir officiel, évaluable quantitativement, mais, plus généralement, la vie en société. Et notamment à la tolérance et à la laïcité, peut-être via la nomination de médiateurs culturels, explique Jean Baubérot.

Bref, c’est une politique générale de la confiance qu’il faut mettre en œuvre, comme le développe notamment P-O. Monteil, qui suppose de sortir de la culture du chiffre et du donnant-donnant. Et d’autant plus que, comme le montre J. Lecomte, en citant, comme toujours, un nombre impressionnant de données empiriques, la confiance, ça marche. C’est ce qu’il y a de plus efficace. L’apprentissage coopératif marche mieux que l’apprentissage compétitif. Dans le système pénitentiaire, la justice restauratrice, celle qui faut se rencontrer coupables et victimes, fait chuter sensiblement le taux de récidive. De même, enfin, dans le domaine de la santé, c’est d’abord la confiance qui guérit.

C’est donc, probablement, à une véritable révolution culturelle que la France doit s’attaquer. Qui commencera, sans doute, par la suppression des notes dans le cycle primaire au moins. Mais qui doit aussi s’attaquer à la séparation des Grandes (et moyennes et petites) écoles et de l’Université (et du CNRS), au bout du compte extraordinairement délétère.

 

Réformer l’économie et surmonter le chômage

Il n’y a sans doute pas sur ce point de recette convivialiste miracle à attendre, qui ne soit déjà proposée ou expérimentée part telle ou telle des organisations qui se reconnaissant dans le convivialisme, à commencer par l’économie sociale et solidaire et par toutes les propositions en matière de transition énergétique ou de reterritorialisation de l’activité économique dans le cadre des circuits courts. Reste à introduire plus fortement dans la discussion publique les propositions de réforme du statut de l’entreprise, proposées, par exemple, par Didier Livio et Hervé Chaygneaud Dupuy, ou par nos amis Olivier Favereau et Armand Hatchuel3. Et, tout aussi important, l’indispensable critique des logiques de neo-management développée par V. de Gauléjac, R. Gori ou B. Cassin. En leur absence, la discussion ne s’est guère développée sur ces points.En matière de lutte contre le chômage, pour D. Méda, également absente, mais qui avait exposé sa position lors de la soirée du 17 décembre, et pour le collectif Roosevelt, le remède premier, on le sait, est celui de la réduction du temps de travail. Pour J-B. de Foucauld, il est impératif de lier systématiquement les baisses d’impôt à l’établissement d’un dialogue social dans l’entreprise. Autre facette d’une politique de la confiance. Plus généralement, et c’est là où les partisans de la diminution du temps de travail et ceux qui y sont moins sensibles peuvent se rencontrer, il faut penser et développer une politique du temps, sans laquelle aucun véritable approfondissement de la démocratie n’est possible, et cela passe nécessairement par des politiques du temps choisi, permettant le plus possible à toutes et tous d’arbitrer entre plus de revenus monétaires ou plus de temps non contraint et de liberté.

Indépendamment des politiques de revenu minimum et maximum, qui sont au centre du Manifeste convivialiste, mais qui n’ont pas été discutées concrètement, un premier pas en direction d’une société moins inégalitaire pourrait passer par l’interdiction des stock options, proposée par J-B. de Foucauld et par l’instauration de forts droits de succession défendue par A. Insel.

 

Conclusion

Au total, une soirée riche, amicale et conviviale comme toujours. On voit bien l’énorme masse de sujets dont il faudrait discuter - et notamment sur l’écologie et la transition énergétique, d’une part, sur le statut de l’Europe et de l’euro, de l‘autre -, et à quel point nous sommes encore loin de disposer de propositions suffisamment précises, consensuelles entre nous et concrètes pour être en mesure de peser véritablement sur le jeu de la politique. Mais c’est un début. Pour aller plus avant, il faudra apprendre à décrire de façon imagée et parlante pour tous à quoi ressembleraient des écoles, des hôpitaux, des prisons, des vies urbaines ou rurales plus égalitaires, plus confiantes et plus démocratiques. Plus conviviales et convivialistes, en un mot, et tout ce que chacun aurait à y gagner.

 

Christophe Fourel, C laude Alphandéry, Jacques Lecomte, François Flahault, Pierr-Olivier Monteil, Ane-Marie Fixot, Jean Sammut, Jean-Pierre Worms, Jean Baubérot, Bernard Perret, Simon Borel, Antoine Bevort, Ahmet Insel, Denis Vicherat, Alain Caillé. Alfredo Pena Vega a fait une apparition éclair mais, au désespoir de tous, a aussitôt disparu. Un avis de recherche est lancé.

2 Ceux qui en ont le courage peuvent, bien sûr, comme Antoine Bevort, nous envoyer une version écrite de leur propos.

Qui n’ont pas pu se joindre à nous ce 12 février. 

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