Chers amis
Il fallait donc hier soir décider si nous essayions de sortir le texte le plus rapidement possible ou si nous jugions préférable de nous donner un peu de marge pour l’améliorer substantiellement et pour rechercher d’autres signatures (notamment pour rééquilibrer la part féminine). Cette discussion allait occuper la première moitié de la réunion, la seconde devant porter sur le fond même du texte : y avait-il des affirmations très contestables, des oublis trop lourds et dommageables ? Comme toujours il a été difficile de séparer les deux moments de l’ordre du jour puisque la réponse au deuxième point commandait largement la réponse à la question de départ.
Il est très difficile de résumer le débat sur le fond, puisque de multiples critiques et suggestions ont été faites. La plupart seront communiquées par mail par leurs auteurs. Je note quand même les points généraux suivants :
Gus Massiah regrette qu’on ne voit que des individus et pas de peuples, et que donc la question du nouvel universalisme soit mal posée. Il veut que soit précisé le fait que la lutte contre l’hubris n’implique pas l’aspiration à une société figée et qui refuse tout risque. Il regrette enfin qu’il n’y ait dans le texte rien de clair et d’explicite sur les droits à faire reconnaître, indissociables dans les forums sociaux de la demande de dignité. François Flahault a dit redouter qu’on ne semble aller en direction d’une revendication de la multiplication des droits subjectifs, contradictoire avec l’inspiration du manifeste. Faut-il équilibrer par des devoirs ? Par des responsabilités, plutôt, répond Gus. Vaste débat qu’il faudra poursuivre et approfondir. Mais il faudra en effet tenter d’intégrer des considérants sur ce point.
François Fourquet trouve le texte très critiquable et considère qu’il faudrait se donner beaucoup plus de temps pour faire quelque chose de présentable. Par exemple sur le modèle de la déclaration des droits de l’homme ? En tout état de cause la partie sur la critique de l’homo œconomicus lui semble très redondante et répétitive, et la critique de la science économique beaucoup trop légère et contestable. Sans doute, en effet, faudra-t-il à la fois abréger et compléter cette partie.
Philippe Frémaux trouve l’énoncé des bienfaits possibles de la mondialisation un peu ridicule (oui, il faut améliorer ce passage). Il critique une référence trop sommaire à l’économie sociale et juge non recevable l’affirmation que nous assistons à une explosion des inégalités. Ce point est essentiel, car cette explosion est à mon sens totalement évidente et infiniment problématique. C’est elle qui illustre le plus concrètement l’hubris contemporain. Mais de quoi parle-ton ? En effet, il n’y en a pas si on compare le premier décile au dernier. Cette explosion ne se manifeste dans toute son évidence que lorsqu’on s’intéresse aux 1% supérieurs, et plus précisément au 1/1OOO. Où l’on retrouve l’oligarchie dénoncée par Thomas Coutrot ou Hervé Kempf (et Piketty ou Landais). D’où, d’ailleurs, la justification de la proposition d’un revenu maximum (malgré tous les problèmes pratiques qu’elle soulève comme le dit Jean-Baptiste. Mais, pour l’instant, nous en sommes à l’énoncé des principes). Reste, ajoute Philippe, que l’hubris n’est pas seulement, voire principalement, économique, et qu’elle concerne autant ou plus la volonté de pouvoir. Et notamment au sein de l’économie sociale…Il faudra en effet spécifier ce point.
Jean-Baptiste de Foucauld suggère de ne pas commencer par l’énoncé des catastrophes possibles, trop décourageant selon lui (c’est le point de vue d’autres participants). Il faut expliquer que faute de croissance nous allons être amenés à procéder à de fortes redistributions dans une société individualiste qui n’en veut pas. Il convient, par ailleurs, de distinguer entre une bonne et une mauvaise hubris, car sans une part d’hubris rien ne se fait. Il serait évidemment favorable à développer la cinquième question (le rapport à l’invisible et à la surnature).
Dominique Méda aurait souhaité rajouter une page de préconisations politiques concrètes. Mais le sentiment général a été qu’en effet ce texte était faible de ce point de vue là mais que cette faiblesse est aussi sa force parce qu’il laisse la possibilité aux différents pays ou aux différents groupes de se l’approprier selon leurs enjeux propres. Comme l’expriment Christophe Fourel et Pierre-Olivier Monteil, le manifeste propose plus un changement radical des valeurs qu’une alternative politique concrète.
La décision : accélérer
Alors accélérer ou pas ? C’était la question de départ dont il est clair qu’elle n’a de sens que mise en rapport avec la question de savoir ce que nous voulons faire de ce texte, comment le rendre appropriable par d’autres que quelques intellos. Par les larges masses, comme on disait jadis. Gus explique d’entrée de jeu, et il reçoit l’assentiment général, qu’il faut prévoir très rapidement des traductions dans de nombreuses langues en faisant en sorte qu’il y a ait à chaque fois une introduction et donc une appropriation spécifique. Par ailleurs, pour que ça vive et diffuse il faut créer un blog. Tout cela est exact, mais avant de s’y lancer, a-t-il été dit, il faut commencer par exister.
Au bout du compte, le sentiment dominant (exprimé par 8 votes pour, 2 non et 4 abstentions) a été que dans la conjoncture actuelle de délabrement moral et politique il y aurait sans doute une bonne réception d’un texte de cette nature et qu’il ne fallait donc pas tarder. Une discussion s’est engagée sur le pseudonyme collectif que nous pourrions adopter. Christophe a proposé TINA (There is a new alternative). Ca me plaisait bien mais ça a été jugé trop deuxième degré et ambigu. Finalement, très rapidement (il était tard…) sur proposition de Dominique Méda, c’est tout simplement « Les convivialistes » qui a été retenu.
Suite à ce vote, j’ai donc donné le feu vert ce matin aux éditions Le Bord de l’eau. Le texte sera en librairie le 15 juin (pour sortir fin mai comme je l’envisageais hier, il aurait fallu rendre le texte définitif jeudi prochain, je viens de l’apprendre, et non dans 10-15 jours et ça me semble trop court). Voilà qui nous laisse trois semaines pour encore amender er peaufiner notre manifeste. À chacun d’entre vous de continuer à proposer amendements et améliorations, que j’essaierai de coordonner. Par ailleurs nous avons le temps de chercher des signatures de renom, en France et à l’étranger (surtout à l’étranger peut-être). Il faut, ici, je crois distinguer deux choses. A priori, le plus honnête est de faire apparaître comme co-signataires tous les membres du groupe informel que nous constituons, en y intégrant si possible une dizaine de femmes significatives pour rééquilibrer notre groupe.
Les autres signatures pourront apparaître comme des premiers soutiens.
Dernier point. Le plus simple me semble être de considérer que sont co-signataires tous les membres de notre liste de diffusion. Pour l’instant seul Christian Laval m’a communiqué son désir de ne pas s’y associer, au moins pour l’instant. Que ceux ou celles d’entre vous qui désirent se retirer du groupe me le disent sans trop tarder.
Amicalement à tous
Alain