mardi 17 décembre 2019

Propositions d’Alain Caillé, lors de la séance du 11 juin 2014 (et CR quelques jours plus tard)

Pour lutter contre l’hubris, lutter contre les inégalités (11 juin 14)
Par Alain Caillé

La manifestation la plus patente de l’hubris actuellle c’est l’incroyable explosion des inégalités qui est une des principales matrices de la corruption, l’autre grande manifestation de l’hubris. Démesure, inégalités vertigineuses, corruption forment un système, en auto-alimentation et auto--expansion permanente dont les trois pôles s’aliment l’un l’autre. L’explosion des inégalités est à la fois cause et effet.

Lutter contre elle ne suffira pas mais rien ne se fera sans une telle lutte. Nous ne serons pas crédibles, et rien n’avancera si nous ne présentons pas quelques principes généraux permettant d’amorcer une lutte à échelle mondiale sur ce thème (en le couplant à la lutte contre la corruption). Le Manifeste évoque la nécessité d’instaurer symétriquement un revenu minimum et un revenu maximum. Nous sommes donc en théorie d’accord sur le principe d’un revenu maximum, mais nous n’avons jamais eu de véritable discussion approfondie sur ce point et moins encore, en conséquence, sur le niveau de revenu maximum qui nous semble souhaitable. Sans doute y aura-t-il de grandes divergences sur ce point entre nous, mais il devient maintenant urgent d’en avoir le cœur net et de voir si elles ne sont pas surmontables.


Quelle explosion des inégalités ?


Même si certains d’entre nous ont pu mettre en doute parfois la réalité de l’accroissement des inégalités, je ne crois pas qu’il puisse y avoir réellement matière à débat sur ce point. Nous tomberons aisément d’accord, je crois, sur le fait que si en moyenne les inégalités ne se sont pas accrues ces dernières décennies, voire ont légèrement décru en France par exemple1 , il n’en reste pas moins qu’on a assisté depuis 30 ou quarante ans à l’envol des rémunérations des 10 % les plus riches, et plus encore des 1 %, et infiniment plus encore des un pour mille. Inutile de multiplier les chiffres que nous avons tous en tête. Juste quelques uns pour rappel ;

- Oxfam révélait récemment que 67 personnes possèdent une fortune équivalente à la moitié des revenus mondiaux (et le trend est à la concentration croissante de cette extrême fortune). En simplifiant et arrondissant, les chiffres du PNUD montrent que les 500 personnes les plus riches au monde gagnent autant que les 500 millions les plus pauvres. 1 très riche = 1 million de très pauvres.

- Les données de Paul Krugman indiquaient, il y a dix ans déjà, que là où les 100 patrons américains les mieux payés gagnaient 39 fois le salaire de base de leurs employés en 1970, ils en gagnaient en 2000, mille fois plus. En trente ans ces inégalités ont été multipliées par 25.

- Et puisque le livre de Piketty fait un tabac mondial (une bonne chose pour nous), voici quelques uns de ses chiffres (que je tire du dernier n° d’Alter Eco, juin 2014) :

- ces 30 dernières années, la part des revenus accaparés aux USA par les 1% les plus riches a pratiquement doublé pour atteindre près de 20% du total.
- Depuis les années 80, les 10% les plus riches recouvrent aujourd’hui plus de 50% du revenu total contre (30 à 35 % à la fin des années 90). p 61 : Ces 10% ont absorbé entre 2/3 et ¾ des  fruits de la croissance2 . Le revenu de 80 % des Américains a stagné depuis. Les un pour mille accaparent 8% des revenus (vs. 4 à 5 % au Canada, UK et Suisse, et 3 % en Australie ou France). Etc.

 Comment nous opposer à cette évolution si manifestement en rupture avec les principes de commune humanité et de commune socialité ? Année après années, tout le monde (à commencer par nos dirigeants politiques) s’étonne, s’indigne, se scandalise (ou feint de), mais non seulement rien ne se fait, mais la situation ne fait qu’empirer, comme inexorablement. Comme s’il n’y avait vraiment rien à faire. Ce sentiment d’impuissance générale n’est pas pour rien dans la désaffection envers le politique dont nous constatons les ravages. Face à la mauvaise volonté et à l’impuissance des États et des élites au pouvoir, la seule arme que nous puissions utiliser est l’opinion publique mondiale qu’il faut parvenir à mobiliser le plus massivement possible. Pour cela, il nous faut imaginer
un ensemble de mesures à la fois parlantes, susceptibles de faire l’objet d’un consensus mondial. Des mesures radicales mais également plausibles et rapidement applicables. Ou, pour le dire autrement, des mesures qui parviennent à marier significativement et efficacement éthique de la conviction et éthique de la responsabilité.

Dans cette optique, il est possible de distinguer : 1°) Une série de mesures complémentaires, susceptibles à la fois de contribuer à la résorption de la dette et à une diminution sensible des inégalités ; 2°) La définition d’une politique de revenu maximum qui, symboliquement, traduise et résume l’ensemble de ces mesures.

 

I°) Un ensemble de mesures souhaitables :

Je ne peux faire ici que lister3:
- Lutter efficacement contre les paradis fiscaux, notamment en généralisant la politique américaine qui taxe ses nationaux où qu’ils réalisent leurs profits. Insensé que ça n’existe pas en France et en Europe.
- Jeter fortement l’opprobre sur la fraude fiscale et sur ceux qui placent leurs revenus dans des paradis fiscaux à l’étranger.
- Interdire les stock-options, les golden parachutes etc.
- Instaurer une Taxe Tobin effective (à quel niveau ?)
- - Introduire de forts taux de succession.
- Restructurer (i.e. supprimer) les dettes illégitimes (lesquelles ? Selon quels critères ? )
- Reprendre à notre compte une proposition qui figurait (en encadré, à titre d’hypothèse) dans un rapport du FMI paru en octobre 2013 (cité in Marianne, 6-12 juin 2014, p. 34) : instaurer une taxe exceptionnelle (one-shot) de 10 % sur la richesse patrimoniale hors logement pour résorber l’explosion de la dette consécutive à la crise de 2009. Une telle taxe rapporterait de 5 à 600 milliards d’€ pour la France, et 3 000 milliards pour UE4.
- On pourrait/devrait travailler sur le couplage de ces deux dernières mesures dans une optique de jubilé.
- Pour mémoire, rappelons la proposition Piketty d’un impôt progressif sur le capital : 0% < 1 Million €, 1% entre 1 et 5, 2% au-delà. Ce qui rapporterait à l’échelle de l’Europe plus de 2% du PIB, et sans doute plus pour la France. Tout ceci me paraît souhaitable (avec interdiction, bien sûr, de la confusion banques de dépôt et d’affaires), mais ne prendra vraiment sens qu’inscrit dans un cadre symbolique plus 

 2°) Vers un revenu maximum.

La suggestion d’instaurer un revenu maximum se heurte à plusieurs difficultés. Au moins
deux principales. La première est la conviction (morale amorale) qu’il est interdit d’interdire et qu’il ne faut pas fixer de limites à l’inventivité et à l‘agentivité humaines. Et cette conviction est presque aussi répandue à gauche, voire à l‘extrême-gauche que du côté libéral ou, plus encore, bien sûr,
néolibéral, même si elle n’est pas autant proclamée. La seconde de ces difficultés est que la perception populaire est sans aucune commune mesure avec la réalité, comme si cette dernière était tout bonnement inconcevable, inimaginable, irreprésentable (et à de nombreux égards, elle l’est, en effet). Une enquête menée (ou citée ? ) par Piketty fin années 2000 (sur 2000 personnes) donnait à la question de savoir combien devrait gagner un cadre par rapport à une caissière de supermarché une réponse de = 4/1, sans distinction d’ailleurs entre les réponses des cadres et celles des ouvriers. Une enquête de François Dubet en 2004 montrait que c’est au-delà de 10 à 1 que l’écart est jugé indécent.

Nous sommes là à mille lieues de la réalité. Et pourtant, il y a gros à parier que si un parti politique (convivialiste ? ) proposait de réduire effectivement l’échelle des revenus de un à 10, il subirait une large défaite. Et c’est très vraisemblable également avec une proposition de 1 à 20, surtout si elle est faite dans une optique de lutte radicale des pauvres contre les riches (comme Mélenchon disant : « Au-delà de 20, je prends tout ». Le « je » fait déjà problème). Dans une optique d’universalisation convivialiste il est essentiel de ne pas apparaître comme des « preneurs », des « partageux », n’ayant comme souci que de prendre aux riches dans une logique de ressentiment. Le ressentiment n’est pas de bon conseil pour construire une société conviviale. Plus encore, il est indispensable de rallier à notre cause une partie des très riches, eux-mêmes convaincus (comme cela peut être le cas aux USA mais pas en France. Pourquoi ? ) qu’au-delà d’un certain seuil d’inégalités on sort des limites de la commune humanité et de la commune socialité.

 Aucune révolution ne s’est jamais faite sans qu’une fraction des classes privilégiées n’entre en dissidence. À nous de jouer et de parier sur un sentiment de common decency. Or, quelles que soient les convictions de uns et des autres sur les justes inégalités, il est clair que nous ne rallierons pas cette fraction morale des plus riches avec un taux d’inégalité trop faible. Si nous étions encore au temps du capitalisme industriel, des Henry Ford ou des J-P. Morgan, nous pourrions, nous devrions proposer un maximum de un à 20, ou même moins. Mais nous sommes dans un tout autre monde, dont nous ne pourrons pas sortir d’un coup d’un seul et brutalement. 

 Je propose donc que nous adoptions comme principe que personne dans le monde n’est habilité à gagner plus de cent fois le revenu minimum de son pays (légal ou de fait), ou plus de cinquante fois le salaire de base.

 Je laisse de côté la casuistique, les multiples questions concrètes que cette proposition soulève, car c’est du principe dans sa généralité qu’il nous faut pour l’instant discuter. Je sais que l’écart proposé apparaîtra beaucoup trop haut à nombre d’entre vous. Mais il est également certain qu’il apparaîtra ridiculement et scandaleusement faible à tous les représentants des élites au pouvoir. J’en déduis, jusqu’à plus ample informé, que ça doit être un bon compromis entre éthique de la conviction et éthique de la responsabilité. C’est une campagne mondiale de bonne gestion de la richesse privée, ni castratrice ni stigmatisatrice ni ressentimentale qu’il nous incombe d’esquisser au nom de la common decency et de la lutte contre les menaces de fin de notre monde.

 Voilà, je me suis risqué à entrer dans ce débat délicat. Gus Massiah propose que nous consacrions une séance à cette discussion. Mais ça risque d’être difficile avant l’été. Si tous ceux d’entre vous qui se sentent impliqués dans ce sujet voulaient bien réagir par écrit, ça nous
permettrait, je crois, de bien avancer. 

 

 


Jacques Lecomte, 18 juin


Bonjour à toutes et tous. La dernière séance convivialiste m'a paru fort intéressante. Voici quelques commentaires personnels.

 1) sur la réduction des inégalités

Tout d'abord, j'approuve la proposition d'Alain d'une mesure visant à ce que les inégalités de revenu ne dépassent pas la fourchette 1/50 ou 1/100.
Je rejoins aussi son argumentation sur le fait que même si c'est encore trop, c'est la seule manière que pour qu'une telle mesure soit acceptable par les très riches. 

En revanche, je suis plus optimiste que lui au sujet des riches français. Souvenons-nous que le 25 août 2011, le Nouvel Obs avait publié une déclaration de 16 personnalités françaises très riches, appelant à être plus taxées (avec des noms comme Liliane Bettencourt, Christophe de Margerie,
Franck Riboud ou Jean-Cyril Spinetta). 

D'où une proposition : et si nous demandions à ces très riches (et à d'autres, par cooptation) de cosigner le texte sur lequel nous allons travailler ?

Une déclaration co-signée par les convivialistes et par des très riches, ça aurait de l'allure, non ?

2) sur l'hybris

(…) (Cf. autre document

 


Marc Humbert, 18 juin (et réponse A. Caillé, en rouge dans le texte)

Chers Amis,


ci après en écho au début de débat quelques élément d'Argument, discussion de modalités et remarques sur l’impact concernant l’idée d’Instaurer un revenu maximum


1) Argument pour en faire une proposition convivialiste
a) c’est une des quelques mesures qui figurent dans le manifeste
b) c’est une mesure concrète qui peut être appréciée potentiellement par un très grand nombre : tous ceux qui galèrent et tous ceux qui ressentent plus que jamais en période de rigueur officielle l’injustice des très hauts revenus
c) c’est une mesure qui peut être reprise par tous les groupes et mouvements qui réfléchissent à et s’activent en faveur d’une société plus juste ou/et plus égalitaire
d) faire avancer cette proposition pourrait être « un évènement commun » aux convivialistes et autres « buenviviristes »

 Yes


2) Discussion d’éléments de détail
a) autour de la mesure phare « instaurer un revenu maximum », une proposition de précision s’impose : un montant. Est-ce que « n » fois le salaire minimum n’est pas la référence la plus parlante pour le plus grand nombre ? Un peu partout dans le monde on a en tête le salaire minimum, versé,
par heure ou mensuel. Le revenu du seuil de pauvreté (50% du revenu médian, c’est-à -dire du revenu touché par 50% de la population) est peu connu de tout un chacun ?

C'est vrai mais il n'y a pas partout de salaire minimum non plus et, par ailleurs, nous défendons aussi l'idée d'un revenu minimum, qui est en France à peu près (avec les aides etc. ) à 50 % du salaire minimum. Est-ce généralisable ? (AC)


En France le smic est aux alentours de 1120 euros mensuel et le seuil de pauvreté à 50% avec cette définition est de l’ordre de 750 euros. Le smic est un construit sociétal, le seuil de pauvreté est un construit statistique.
b) en France, il y a maintenant une taxe à 75% payée par les entreprises sur la part au-delà de 1 million d’euros par an qu’elles versent à un salarié (cela concerne un millier de salariés). Si le plus grand nombre est hostile concernant les hauts dirigeants, pour les stars du show biz ou du sport il y a moins d’unanimité pour de multiples raisons y inclus l’espoir de certains de monter dans l’ascenseur qui laisserait encore monter des happy few ?

 Oui, mais il faut s'attaquer à ces revenus là aussi avec la difficulté de distinguer des hauts revenus occasionnels, ou sur quelques années, et des hauts revenus pérennes. (AC)

 

100 smics cela fait 1 340 000 euros par an.
100 rev seuil de pauvreté cela fait 900 000 euros par an.

Ce n'est pas 100 Smics mais 50, soit à peu près 600/700 000 €/an (AC)


c) Au-delà de 20 fois la référence « Mélenchon » prend tout : est-ce que la mesure doit préciser comment elle s’applique ? Est une interdiction de verser sous forme de salaire ou autre plus que le montant maximum ou mettre l’impôt sur les salaires à la source et à 100% au-delà du maximum (l’IRPP progressif est modulé par n mesures) ?

 Je vois plutôt l'IRPP.


d) la mesure doit-elle être assortie de compléments : proposition de suppression (ou limitation ?) des parachutes dorés, des stock-options.

 Oui, ça fait d'ailleurs partie des propositions que j'ai formulées (AC)

 

3) remarques sur l’impact de la mesure
a) cette mesure souligne la démesure qui a atteint certaines rémunérations et dans un certain nombre de cas sans lien avec des services exceptionnels rendus à la société en ce qui concerne en particulier nombre de hauts dirigeants
b) cette mesure s’attaque-t-elle à la racine du mal, à l’exclusion du travailleur et du citoyen ordinaire, des bénéfices de leur travail et de leur consommation au profit du capital et des actionnaires internationaux ? Ces derniers perdront ils leurs fidèles chiens de garde s’ils ne peuvent plus les
rémunérer à ces niveaux ? Les oligarchies au pouvoir, cesseront-elles alors de privilégier l’austérité et la compétitivité à tout prix, fabrique de la croissance des inégalités ?

Ce n'est pas la panacée universelle, mais si la mesure s'applique, en lien avec les autres mesures proposées, nous aurons déjà pas mal changé de monde. Et il y aura beaucoup moins de corruption, de fidèles chiens de garde et de criminalité. (AC)


c) En tout cas c’est bien une mesure qui ennuiera les 1% de cette oligarchie financiaro politique cosmopolite qui s’expatrie déjà

 Oui, surtout avec la lutte vs. paradis fiscaux et avec une taxation nationale (AC)


d) Pourrait on y ajouter à cette interdiction, des éléments qui en fassent une mesure plus positive, constructive de convivialisme ? Cela augmenterait sa performance auprès des groupes et mouvements amis pour leur faire rejoindre cette bannière. 

 Il faut en trouver, en effet (sans virer au catalogue et au niaka)). Sommes-nous d'accord, déjà, sur celles que j'ai proposées ?

 

Pour le reste, et pour répondre à Pierre-Olivier Monteil, en effet, l'essentiel est de trouver d'autres passions à opposer à la passion du toujours plus d'argent (à la pléonexie). IL nous incombe de montrer combien il existe de champs passionnants où s'investir : dans le sport, l'art, la participation
démocratique, l'aménagement collectif du cadre de vie , etc.


Bien amicalement
Alain

 


Christophe Fourel, 22 juin ,


Chers toutes et tous,

 Notre réflexion sur le revenu maximum progresse et s'affine. La proposition "phare" d'Alain commence, semble -t-il, à faire consensus même s'il ne faut pas oublier les propositions annexes qu'il a formulées et que nous n'avons pas eu le temps de discuter lors de la dernière séance. Il me parait utile que ceux-celles qui ont des oppositions à cette idée de revenu maximum s'expriment et apportent leurs arguments.
Je pense aussi que cette question du revenu maximum ne peut pas être dissociée de celle du revenu minimum et leur éventuelle articulation: les mesures pour limiter l'un servent-elles à contribuer au financement de l'autre ?

Bonne fin de we à toutes et tous,

Ch.

 


Dominique Méda, 22 juin,


Chères et chers tous,


Oui, je trouve que nous avançons. Je trouve bien d'annoncer un chiffre, sous la forme d'un rapportplus bas/plus haut. Nous convergeons avec l'ouvrage de Gael Giraud et Cecile Renouard, "le facteurdouze" et je trouve que 12 est un bon chiffre. Je ne sais pas s'il faut lier revenu maximum et revenu minimum ni la forme que ce dernier doit prendre. Personnellement, j'ai encore besoin, comme le premier Gorz, d'être convaincue sur le revenu minimum universel. Je continue à craindre qu'il ne consiste à donner bonne conscience à une société qui refuserait de partager le travail. Le revenu maximum (et son obtention par l'impôt) pourrait permettre de financer notamment un vrai partage du travail de qualité. Pour l'instant, je préfère l'idée de partage du travail qui nous oblige collectivement à partager équitablement l'accès à l'emploi. Lorsque nous aurons rapproché nos positions, cela me semblerait très utile que nous publiions un texte, avec cette principale proposition, et que nous tentions d'y faire adhérer le plus de personnes possible. Amitiés D

 


Patrick Viveret, 23 juin


Juste un mot sur le débat concernant le revenu maximum(pour le débat très riche concernant l'hubris je le ferai plus tard). Il existe une autre entrée méthodologique que celle de fixer nous mêmes ce seuil. C'est l'entrée démocratique qui suggère que, après un débat public sur cette question, le Parlement fixe un seuil maximum d'inégalités acceptable, le choix non seulement du plafond de revenus mais aussi des minima sociaux en découlant ensuite. Cela conduirait a un débat de fond dans la societé.
Par exemple qu'est ce qu'une communauté politique dont la devise est la trilogie liberté, égalité fraternité peut accepter comme écarts légitimes ou la tension dynamique entre la liberté et l'égalité s'oppose aussi bien à des inégalités démesurées qu'à une uniformisation bureaucratique, la fraternité jouant elle même le rôle de tiers régulateur ou plutôt interpellateur de manière a tirer en permanence la liberté vers le souci de la liberté d'autrui et l'égalité vers le souci de la justice pour autrui. Il me semble qu'une telle approche conduirait plutôt à des fourchettes relativement basses d'inégalités acceptables ( plus proche du1 a 10 a 12ou a 20 qu'à 100 à mon avis) mais même dans le cas de fourchettes hautes cela conduirait a un débat majeur et les partisans du statu quo a assumer le niveau réel d'inégalités actuelles ce qu'ils cherchent le plus souvent à masquer tant leur illégitimité saute alors aux yeux.


Amitiés. Patrick V

 


Didier Livio, 23 juin,


Cher Alain, cher tous,


Une contribution à nos débats en temps que « chef d'entreprise » impliqué depuis longtemps dans ce combat que j'avais introduit au CJD lorsque j'étais président national du mouvement à la fin des années 90.
L'apport que je fais ici est le fruit d'une réflexion bien sûr, mais surtout, et c'est cela qui peut être le plus intéressant pour vous, d'une mise à l'épreuve de cette idée dans le patronat, à la fois au CJD (relativement perméable à l'idée), à la confédération européenne des jeunes entrepreneurs dont j'étais président aussi, à la commission sociale du CNPF (MEDEF), et à quelques journalistes qui encore aujourd'hui me questionnent sur ce sujet.

 La réaction est toujours la même, les milieux économiques ne comprennent pas et sont farouchement contre au motif que cela bloquera l'initiative, la liberté d'entreprendre, la capacité à bénéficier des fruits de ses efforts, etc. etc.

 Une autre façon de faire permet d'être entendu et d'engager un dialogue nous permettant de réussir :entrer d'abord par un salaire maximum et pas par un revenu maximum. Cette différence est essentielle car elle introduit de plus une autre idée : la nécessaire distinction juridique et opérationnelle de l'entreprise et de la société de capitaux que j'avais par ailleurs développé à la même période dans deux livres avec Jacques Barthélemy.

 Le salaire des dirigeants comme le salaire de tous les collaborateurs est versé par l'entreprise sur "l'argent commun" de l'entreprise avant calcul des bénéfices.
Il est légitime alors, comme il y a un salaire minimum de discuter d'un salaire maximum (dont on peut discuter le multiple) pour de multiples raisons entendables par les milieux économiques : limiter les excès de l'hubris des dirigeants, retrouver les voies d'une société solidaire par l'encadrement des
salaires, redonner une nouvelle dynamique au corps social de l'entreprise, etc.

 Par contre, une fois le bénéfice de l'entreprise réalisé et calculé, et que celui-ci ait été distribué selon "le contrat d'Entreprise" (à négocier entreprise par entreprise selon des modalités de négociations définies par la loi) entre les actionnaires, les salariés, et l'entreprise elle-même pour son propre développement, que les actionnaires, pour s'assurer d'avoir les meilleurs dirigeants ou pour les féliciter de l'excellence de leur travail leur versent en sus de leur salaire un revenu additionnel PRIS SUR LE REVENU DES ACTIONNAIRES, ne doit pas nous poser de problème et relève de la liberté des actionnaires sans aucun impact sur les collaborateurs de l'entreprise, l'entreprise elle-même, et sa dynamique.

Les entreprises n'auront plus à utiliser de subterfuges fiscaux pour verser ce revenu additionnel puisqu'elles ne seront plus concernées, le revenu additionnel éventuel des dirigeants au-delà du salaire maximum, étant versé aux dirigeants par les actionnaires sur leur propre part, postérieurement
à l'établissement du bénéfice de l'entreprise.

Même si cela met du temps à être entendu par les milieux économiques, pour l'avoir éprouvé régulièrement, je pense qu'il y a une voie pour parvenir à faire passer cette idée qui ouvrirait alors à beaucoup d'autres évolutions sociales.

J'aurais aimé être présent à la dernière réunion de travail pour parler avec vous de cela, mais je n'étais pas disponible ce soir-là.
J'essaierai d'être présent à notre prochaine réunion, et j'aurais plaisir à poursuivre cette discussion avec vous.
À titre complémentaire, vous trouverez ci-joint un extrait du livre que j'avais écrit en tant que président du CJD paru en 96.


Bonne journée à tous,
Didier.

 


Hervé-Chaygneaud- Dupuy, 23 juin,


bonjour à tous,
en complément de ce que dit Didier Livio, pour que le transfert d'une part de la rémunération des dirigeants (au-delà du salaire maximal) ne se fasse pas au détriment des ressources de l'entreprise affectées aux rémunérations du travail des salariés, il est important que le droit de l'entreprise permette une réelle négociation entre les parties prenantes sur l'affectation de la valeur ajoutée de l'entreprise. Autrement dit la part consacrée à la rémunération du capital ne doit pas augmenter parce que le complément de revenu du dirigeant est pris sur cette part de la VA. Ce doit bien être un compromis entre actionnaires et dirigeants. Le droit de l'entreprise et l'affirmation de la communauté des salariés est donc un corollaire important à la proposition de ne limiter que le salaire du dirigeant !

on peut aussi réfléchir à un complément : la différence entre le salaire maximal et le revenu global du dirigeant résultant de la rémunération versée par les actionnaires pourrait être soumis à une obligation d'affectation à des activités d'intérêt général librement choisies 

 voici une argumentation au service de cette idée extraite de mon livre en cours de publication.Il est d'abord indispensable de sortir des signaux contradictoires émis parfois par les mêmes personnes. Ainsi de Maurice Lévy, le patron de Publicis, qui reconnaissait en 2011 que « ceux qui ont été préservés par la vie » peuvent contribuer davantage pour sortir le pays de la crise… et qui début 2012 recevait sans états d’âmes apparents 16 millions d’euros de prime.
Martin Hirsch ouvrait une piste intéressante dans Le Monde du 24 août 2011 : « La France manque d'une fondation de grande taille, administrée par ceux qui y déposeraient une part de leur fortune, pour investir dans le « social business », sur le modèle des « social investments bonds » : cette fondation pourrait être rémunérée en fonction des résultats obtenus et des économies susceptibles d'être générées par rapport à des investissements publics moins efficaces ». Il n’explore cependant pas une voie plus radicale que le seul volontariat : celle d’un impôt (sur la part des revenus des dirigeants dépassant un salaire maximum) librement affecté aux expérimentations sociales. Un système hybride entre la culture américaine des fondations et la culture française de l’impôt. Je suis toujours frappé de constater que les grands patrons français ont su se rapprocher des niveaux de rémunération des patrons anglo-saxons mais qu’ils n’ont pas dans le même temps adopté les mêmes principes éthiques qui « obligent » les Bill Gates, Warren Buffett et consorts à consacrer une

part significative de leur fortune à des œuvres d’intérêt social. En France, nos grands patrons se prennent plus volontiers pour des mécènes en constituant des collections d’art contemporain sans bénéfice manifeste pour la société française.

On ferait une triple opération positive :

- les expérimentations sociales seraient conduites avec l’appui de fondations à même de mobiliser des talents venant d’univers différents capables d’insuffler aux projets soutenus leur créativité et leur professionnalisme ;
- les détenteurs de grandes fortunes retrouveraient aux yeux des citoyens une légitimité sociale qu’ils ont largement perdue, ils pourraient montrer par leur investissement personnel dans les projets financés qu’ils vivent bien encore dans la même société que leurs contemporains ;
- l’Etat disposerait en permanence d’un "laboratoire sociétal" dans lequel il pourrait puiser les bases de nouvelles politiques publiques en articulant au mieux le temps long de l’expérimentation qui ne serait pas à sa charge et le temps (hélas!) court de l’action politique qui nécessite réactivité dans la
prise de décision et visibilité des mesures prises.

 

François Fourquet, 24 juin 

 


SEULE LA LOI PEUT LIMITER L'HYBRIS

Le ressentiment est étranger au convivialisme

FRANÇOIS FOURQUET - 24/06/14

Séance sur l'hybris du 11/06/14: pourquoi donc étais-je si mal à l'aise?
J'y étais, à cette réunion sur l'hybris dont Alain Caillé nous a fait un compte rendu trois jours après. On y a beaucoup parlé des revenus excessifs et des moyens de faire honte à leurs détenteurs. J'étais mal à l'aise et j'ai fermé ma gueule. À la fin, j'ai timidement balbutié: «vous savez, le revenu des riches, au fond, je m'en fous! Ce qui importe, c'est le revenu minimal, c'est protéger par la loi les pauvres contre la misère». On m'a gentiment rembarré: «mais c'est la richesse des riches qui fait la misère des pauvres», etc....

 En vérité je sais très bien pourquoi j'étais si mal à l'aise: la dénonciation des riches justifie le sentiment de jalousie, la haine sociale des riches, en un mot alimente le ressentiment. Pour l'avoir jadis expérimenté en moi-même, je sais que le ressentiment est une émotion, une haine froide qui nous ronge le cœur et éteint l'élan de la vie en nous. Il nous rend stupides, nous fait ressasser toujours la même plainte, stérilise notre vitalité. Il rend toujours autrui responsable de nos malheurs: "c'est la faute aux riches, c'est la faute au capitalisme, c'est la faute à la droite (ou à la gauche libérale qui trahit)", etc... En France, le communisme est mort à petit feu de cette maladie de la dénonciation et du ressentiment. Aujourd'hui c'est un cadavre qui n'a plus rien à dire et disparaît derrière les grandes gueules comme Mélenchon ou Besancenot, un spécialiste précoce de la langue de bois.

 Non, ce n'est pas dans cette veine subjective mortifère que doit agir le convivialisme

"Le ressentiment n'est pas de bon conseil pour construire une société conviviale" (Caillé)
Là dessus, je lis le compte rendu par Alain de la réunion du 11/6. J'y lis ceci: "il y a gros à parier que si un parti politique (convivialiste ?) proposait de réduire effectivement l’échelle des revenus de un à 10, il subirait une large défaite. Et c’est très vraisemblable également avec une proposition de 1 à 20,
surtout si elle est faite dans une optique de lutte radicale des pauvres contre les riches (comme Mélenchon disant : « Au-delà de 20, je prends tout ». Le « je » fait déjà problème). Dans une optique d’universalisation convivialiste, il est essentiel de ne pas apparaître comme des « preneurs », des
« partageux », n’ayant comme souci que de prendre aux riches dans une logique de ressentiment. Le ressentiment n’est pas de bon conseil pour construire une société conviviale". Ah! Je me réjouis, je suis bien d'accord, c'est une heureuse surprise! Merci Alain! Mais le ressentiment c'est d'abord en nous mêmes que nous devons le surprendre: s'il est déjà là, il est vain de vouloir le cacher: il finira toujours par transparaître!

 Alain conclut: "Au-delà d’un certain seuil d’inégalités on sort des limites de la commune humanité et de la commune socialité". Je ne vois pas pourquoi: qu'est-ce qui définit ce seuil? Je peux très bien être très riche et considérer le pauvre comme mon frère humain!


«L'énergie de l'amour». Lettre de 2013 au groupe Convsm

Pour aller plus loin, je reproduis ici une lettre que je vous avais envoyée le 13 avril 2013, au plus fort des discussions précédant la publication du Manifeste en juin 2013:

 "J'ai exprimé mon accord avec Patrick Viveret dans sa lettre du 7 avril (et aussi avec Pierre-Olivier Monteil à propos de la négativité): un manifeste qui appelle à la convivialité entre les humains doit éviter une atmosphère de peur créée dès le départ par l'annonce des catastrophes qui nous menacent. Je serais plus à l'aise qu'il insiste sur ce qui l'inspire positivement et que Patrick nomme l'«énergie de l'amour». Oui, c'est vrai: c'est la seule force capable de faire face aux "puissances colossales qui nous surplombent". Si le mot «amour» nous rebute parce qu'il évoque le mot d'ordre d'amour dont l'Église chrétienne s'est faite le chantre et qu'elle n'a pas toujours respecté dans sa longue histoire, il reste que l'amour avait été repéré bien avant elle par Empédocle d'Agrigente (vers ~500) comme une force cosmique seule capable de faire reculer la haine : elle rassemble, alors que la haine divise. L'histoire de l'humanité et du cosmos est un balancement entre l'unification par l'amour ou l'amitié (philia) et la désagrégation par la haine et la discorde (neikos, eris). Plus tard, ce dualisme cosmique a été retrouvé par Freud dans sa propre recherche sous la forme d'un conflit inconscient entre l'amour (Eros) et l'instinct de mort (Thanatos, la pulsion d'agression). Il n'y a pas de honte à se réclamer d'un si haut patronage et à faire valoir ou faire vibrer ce qui unit les humains au-delà de leurs conflits. Aucune des mesures de régulation que nous proposons n'aurait de sens si elle n'était portée par le désir profond des gens, bien que leur désir soit divisé par la pulsion agressive, elle aussi inconsciente, qui alimente leurs conflits. Si nous prenons la parole, c'est pour faire vibrer l'amitié et non alimenter la critique et la haine. C'est l'amitié qui nous motive, pas la peur du réchauffement climatique ni la haine des trop riches de la finance mondiale et des autres méchants de ce monde. On ne résoudra pas ce conflit cosmique en interdisant les paradis fiscaux et la titrisation [ou, ajouté-jeaujourd'hui 24/06/14, les revenus supérieurs au maximum].


L'hybris du pouvoir et de la volonté de puissance

L'hybris a plusieurs faces. Souvent, elle nous paraît mauvaise en soi; mais elle est aussi positive: c'est elle qui nous pousse au-delà de nos limites et peut nous faire accomplir de grandes choses, pourvu que nous acceptions d'en payer le prix. Le revenu excessif n'est qu'un petit aspect de l'hybris.
[….] Ce passage sur l’hybris est repris dans la discussions sur ce thème

 

Impuissance de la morale, ravages de la honte

Si nous comptons sur la morale pour limiter la richesse et la puissance, nous faisons fausse route. Le pouvoir est insensible à la morale, c'est-à-dire à la raison. C'est vrai pour une nation, qui est immorale, comme pour l'individu, qui a toujours de bonnes raisons de se croire au-dessus des règles morales. Chercher à le rendre coupable, à lui faire honte, et espérer que son sentiment de culpabilité le ramène dans le droit chemin de la mesure, c'est justement ce que l'Eglise chrétienne a voulu faire depuis deux millénaires. Elle a perdu le sens spirituel du message de Jésus (le royaume des cieux existe déjà, ici et maintenant, et non pas pour demain, pas dans un autre monde); elle a dégradé un enseignement spirituel de très haute valeur en un code de préceptes moraux destinés à civiliser un peuple grégaire. Mais en vain: tout l'arsenal de la morale chrétienne n'a pas rendu l'humanité plus «morale», plus «civilisée» qu'il y a deux mille ans. Par contre, le triomphe de la culpabilisation morale comme arme principale pour discipliner la masse a fait des ravages dans la subjectivité occidentale. Avant de mourir, Michel Foucault a abandonné ses objets favoris (l'État, la discipline des masses, les sciences sociales des Mots et les Choses) et s'est lancé dans une enquête extraordinaire sur les origines de la subjectivité occidentale, qui est aussi elle de chacun d'entre nous. C'est le sens de ses derniers livres parus la veille de sa mort, en 1984:

L'usage des plaisirs et Le souci de soi. La culpabilité est une forme de l'instinct de mort, de l'agressivité découverte par Freud dans sa propre exploration de la subjectivité (lisez Malaise dans la civilisation, un chef d'œuvre qui n'a rien perdu de sa profondeur): simplement, lorsqu'elle est colorée et captée par la honte, l'agressivité, au lieu d'être dirigée contre les autres, se retourne contre soimême et devient culpabilité, mauvaise conscience, haine de soi: une soupe émotionnelle morbide et nauséabonde. Quand l'agressivité imprégnée de cette soupe ressort à l'extérieur, elle devient une haine froide qui ronge le cœur: le ressentiment.


Contrôler l'hybris par la loi et les institutions

Notre boulot à nous, convivialistes, n'est pas de flatter le ressentiment en le dirigeant contre ceux que nous estimons trop riches. Non, on ne fait jamais rien de bon avec la honte et la culpabilité comme moteurs. Laissons ça aux prêtres catholiques (c'est leur boulot) ou à leurs imitateurs laïques
moralisateurs.

Une piste peut inspirer notre recherche des moyens propres à canaliser la volonté de puissance en évitant l'arsenal de la morale: le désir du pouvoir étant sans limite, seul le pouvoir peut contenir lę pouvoir. Jadis, Montesquieu l'a très bien compris, et dans son bel exposé du 11 juin dernier ("La pente de l'illimitation"), François Flahaut le rappelle avec force.La bonne réponse à l'hybris est je crois institutionnelle, purement institutionnelle. Il existe certes une
autre solution, plus radicale: la sagesse, au sens spirituel, la sagesse des anciens stoïciens, de SaintFrançois d'Assise ou des sages bouddhistes, hindous ou tibétains. Mais la sagesse ne se transmet pas par l'intellect, seulement par un enseignement spirituel qui parle au cœur, long et ardu, et qui n'est pas de notre ressort: seul le sage peut enseigner la sagesse. Alors, n'étant pas nous mêmes sages, ne faisons pas semblant! Qui veut faire l'ange, fait la bête! Contentons-nous de moyens simples, laïques,concrets: à savoir des lois et les institutions qui s'efforcent de contenir la démesure humaine en mobilisant l'énergie même dont est faite la démesure: le pouvoir. Le pouvoir comme règle sociale fait contrepoids au pouvoir comme démesure. La vie sociale pratique est riche de moyens de ce genre.Les pouvoirs individuels ou institutionnels sont constamment contrôlés et limités par la loi. La loi ne fait pas de morale: elle permet ou interdit. Elle accomplit une fonction impersonnelle et ne discute jamais. Concernant la richesse, l'impôt agit comme une loi. Il ne dit pas: "oh, comme c'est vilain de gagner tant d'argent!". Il dit: "si vous gagnez plus de tant, l'Etat vous prélève 75%". Pas de discussion.
Ça suffit largement. Ce n'est pas révolutionnaire: c'est ce que proposait le candidat socialiste à la présidentielle 2012. C'est une mesure fiscale technique, objective, sans jugement moral. L'impôt dit aussi: "si vous possédez un capital supérieur à tant, il est soumis à un impôt progressif sur le capital;
et quand il circule il est soumis à un taxe Tobin sur les mouvements de capitaux de tant pour cent", point. C'est ce que propose Piketty, ce que propose Attac. Pas de discours, pas de sermon moralisateur, pas de dénonciation, pas de mise au pilori. C'est comme ça, voilà tout. Le pouvoir d'Etat pose une limite à un pouvoir social ou à un pouvoir de richesse, une limite fixée objectivement par la loi à l'issue d'un débat au Parlement.

 

La tâche des intellectuels

La tâche des intellectuels est celle d'Antigone face à Créon, qui représente l'Etat en place: démunie, sans pouvoir, elle affirme l'existence d'un principe supérieur à l'Etat lui-même, une "loi non écrite" dit Sophocle, nous dirions aujourd'hui un «principe fondamental du droit». Quand les constituants de
1789, saisis par une inspiration grandiose, ont énoncé et même «déclaré» dans l'enthousiasme les droits de l'homme et du citoyen, il ne sont pas allés dans le détail, ils n'ont pas fixé le seuil minimal d'imposition, ils ont simplement déclaré: «Pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses
d'administration, une contribution commune est indispensable: elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés» (article 13 de la Déclaration du 1er octobre 1789). Ce disant, ils ont tout dit, en une seule phrase, sobrement. Le reste, la cuisine fiscale, c'est aux services de l'Etat de la faire, sous le contrôle du Parlement. Nous n'avons pas à nous substituer aux services de l'État, à calculer des seuils, des taux, des minima ou des maxima chiffrés: nous énonçons un principe nouveau, ou un principe jusqu'ici informulé mais implicite dans les principes anciens, c'est tout. S'il est déjà dans le Manifeste convivialiste de 2013 (et je crois qu'il y est), c'est bien, n'en rajoutons pas.


Au travail, chers convivialistes!


François Fourquet

 


 Alain Caillé, 26 juin


Quelques réactions aux réactions à mes propositions de revenu maximum


Je ne peux que me réjouir d’avoir pris mon courage à deux mains pour formuler une proposition concrète de revenu maximum (et d’autres mesures aussi, pas débattues pour l’instant) puisque cela a permis de susciter un début de véritable discussion entre nous. Mais nous sommes encore loin d’un consensus même minimal. Je voudrais essayer ici de réagir aux objections ou contrepropositions qui se sont manifestées.

 En commençant par la dernière réaction, celle de François Fourquet, belle et inspirée mais qui me semble se tromper sur deux points centraux. Tout d’abord, dans le souci tout nietzschéeen (mais aussi schélerien ou nygrenien…) d’échapper au ressentiment, souci que je partage absolument,
il raisonne comme si l’explosion mondiale des inégalités était intrinsèquement sans conséquences. Il suffirait, pour la gérer, d’éviter le ressentiment des pauvres et de pousser à l’amour des riches envers les pauvres. Mais c’est ne pas voir que l’essentiel des hauts revenus actuels naît de la spéculation
financière, que celle-ci recherche structurellement son 15 % de rendement annuel et que cette logique est intrinsèquement destructrice de tous les équilibres économiques, sociaux, écologiques…et moraux. Ah, la morale ! Là encore, dans son souci nietzschéeen d’échapper à la moraline, François entend s’en passer (mais quid alors de l’injonction à l’amour et à la sagesse ? pour s’en remettre à la Loi. À la seule Loi. Or, bien évidemment, aucune mesure de limitation des revenus ne pourra être adoptée sans que cela ne passe par des lois et, une fois ces lois adoptées, on pourra, si on le désire, raisonner comme François, et dire qu’il ne s’agit pas de sonder les reins et les cœurs ou de décerner des brevets de moralité ou d’immoralité, mais simplement de faire respecter la Loi. Oui, mais qui fera adopter de telles lois ? Certainement pas les gouvernements en place actuellement, nulle part dans le monde. Seules d’énormes mobilisations mondiales allant dans ce sens pourront faire mettre cette question du revenu maximum en discussion, on the agenda comme disent les anglo-saxons. Er de telles mobilisations, comme il est d’ailleurs spécifié dans le Manifeste, ne pourront naître que de réactions passionnées, sans lesquelles aucune mutation historique n’est concevable. Et au cœur de ces réactions passionnées, il y aura nécessairement un sentiment
d’indignation, morale, nécessairement morale, contre la corruption et contre tout ce qui viole le sens de la common decency. À nous de formuler des propositions plausibles pour éviter que ces passions, en effet, ne deviennent des passions inspirées prioritairement par l’esprit de vengeance et
de ressentiment, en les canalisant en faveur de la sauvegarde d’une planète et d’un monde communs. Et pour cela, comme le dit Jacques Lecomte, il nous faudra gagner l’oreille et le soutien actif d’un certain nombre de riches.

Si, comme je le crois, la seule arme à notre disposition est, pour l’instant, le sens moral, la common decency, le souci du soin du monde, du care, si l’on veut, alors on ne peut pas, pas tout de suite en tout cas, renvoyer la discussion du niveau de revenu maximum à des parlements nationaux, comme le suggère Patrick. Car ceux-ci ne seront susceptibles de s’emparer de la question que s’ils y sont poussés par un mouvement international d’une force irrésistible. C’est à la constitution d’un tel mouvement qu’il nous faut travailler. Ou tout au moins contribuer. En expliquant pourquoi cette question de la lutte contre l’extrême richesse (rentière et spéculative) est cruciale. Assurément, elle ne suffira pas à régler tous les malheurs du monde. Assurément, elle est l’effet d’une réalité plus profonde qu’elle – un méga-capitalisme rentier et spéculatif -, mais cet effet devient à son tour une cause puissamment agissante. En s’y attaquant frontalement, on touche à énormément de choses. 

 Mais où commence l’extrême richesse illégitime, démesurée, hubristique ? Celle qui s’affranchit de la commune humanité et de la commune socialité ? Quel niveau fixer pour un revenu maximum ? Et, d’ailleurs, est-ce un revenu maximum qu’il convient d’instituer ou, plutôt, un salaire maximum, comme le propose Didier Livio qui écrit que une fois les salaires maximums fixés : « … une fois le bénéfice de l'entreprise réalisé et calculé, et que celui-ci ait été distribué selon "le contrat d'Entreprise" (à négocier entreprise par entreprise selon des modalités de négociations définies par la loi) entre les actionnaires, les salariés, et l'entreprise elle-même pour son propre développement, que les actionnaires, pour s'assurer d'avoir les meilleurs dirigeants ou pour les féliciter de l'excellence de leur travail leur versent en sus de leur salaire un revenu additionnel PRIS SUR LE REVENU DES ACTIONNAIRES, ne doit pas nous poser de problème et relève de la liberté des actionnaires sans aucun impact sur les collaborateurs de l'entreprise, l'entreprise elle-même, et sa dynamique. Les entreprises n'auront plus à utiliser de subterfuges fiscaux pour verser ce revenu additionnel puisqu'elles ne seront plus concernées, le revenu additionnel éventuel des dirigeants au-delà du salaire maximum, étant versé aux dirigeants par les actionnaires sur leur propre part,
postérieurement à l'établissement du bénéfice de l'entreprise ».

Je ne suis pas sûr de bien comprendre et d’être pleinement d’accord. En effet, si l’on en croit les analyses de Piketty, aux USA où les Un pour mille accaparent 8% des revenus aux (vs. 4 à 5 % au Canada, UK et Suisse, et 3 % en Australie ou France), cet accaparement est largement dû aux hauts
salaires pour les 1%, en revanche pour les 1/000 ce sont les revenus du capital qui prennent une place importante : 30% du total en Espagne, Italie et USA, près de 60% en France. Dit autrement, ce n’est pas tant via les très hauts salaires que par les très hauts revenus du capital que les très grandes
fortunes hubristiques (allez, j’adopte ce néologisme) s’édifient, et l’on sait que les CA des grandes sociétés sont d’autant moins disposés à contrer cette tendance qu’ils en et y participent en donnant le privilège à la rentabilité actionnariale immédiate sur la viabilité à long terme de l’entreprise.

Il en irait sans doute autrement si l’entreprise « était effectivement « refondée », comme le propose Armand Hatchuel (avec Blanche Segrestin). C’est ce que spécifie, je crois, Hervé Chaygneaud-Dupuy en complément au propos de Didier Livio, et pour le préciser : « en complément de ce que dit Didier Livio, pour que le transfert d'une part de la rémunération des dirigeants (au-delà du salaire maximal) ne se fasse pas au détriment des ressources de l'entreprise affectées aux rémunérations du travail des salariés, il est important que le droit de l'entreprise permette une réelle négociation entre les parties prenantes sur l'affectation de la valeur ajoutée de l'entreprise. Autrement dit la part consacrée à la rémunération du capital ne doit pas augmenter parce que le

complément de revenu du dirigeant est pris sur cette part de la VA. Ce doit bien être un compromis entre actionnaires et dirigeants. Le droit de l'entreprise et l'affirmation de la communauté des salariés est donc un corollaire important à la proposition de ne limiter que le salaire du dirigeant ! ».

Là je me sens davantage d’accord, mais l’entreprise n’est pas encore refondée, et est encore plus loin de l’être au niveau international qu’en France où ça ne se profile guère. Nous avons donc besoin d’un mot d’ordre susceptible de mobiliser mondialement, au-delà des distinctions, souvent très glissantes, entre très hauts revenus salariaux et très hauts revenus du capital.

Retour, donc, à la question du plafond à envisager. Je sais bien, et anticipais bien, que celui que j’ai proposé (1 à 100 comme écart entre revenu minimum et revenu maximum, 1 à 50 entre salaire minimum et revenu maximum) paraîtrait beaucoup trop élevé à nombre d’entre vous (mais peut-être trop bas à certains qui ne se sont pas exprimés). Dominique suggère à la suite de Gaël Giraud, un écart de un à douze, Patrick et d’autres plutôt de un à vingt. Mais l’écart proposé par G.
Giraud ne vaut que pour les salaires. ET le un à vingt de Patrick ?

Le problème que nous avons est facile à formuler très difficile à résoudre. Proposer, comme je le fais et par exemple, un écart de 1 à 50 entre salaire minimal et revenu total maximum peut apparaître effroyablement inégalitariste, non seulement à nos amis de la gauche de gauche, mais à une majorité de la population avant vote éventuel sur ce point. Mais, à l’inverse, c’est vertigineusement égalitariste par rapport à la situation réelle. Puisque nous citions G. Giraud celui-ci rappelle (in La Croix) que « si on prend la petite fraction des patrons français les mieux rémunérés, qu’on ajoute à leur salaire, déjà confortable, les stocks-options et les dividendes auxquels ils ont droit et qu’on se demande combien de Smic gagnent-ils par mois, la réponse n’est pas 50 ? 100 ? Non, non… 500 ? 800 ? Encore un peu plus… 1000 ? 2000 ? Voici le chiffre réel : 20.000 fois ! Bien sûr, cette donnée ahurissante ne concerne qu’une poignée de Français ». Et ne parlons pas d’une poignée bien plus grande d’Américains, de Chinois, de Mexicains ou d’émirs.

Cette situation est telle, et les rapports de force et la puissance médiatique de la richesse tels que si un vote devait avoir lieu sur ces questions et que nous proposions un écart de revenus (salaires + revenus du capita) de un à douze ou de un à vingt, nous n’aurions à mon avis aucune chance de succès. Nous avons besoin, je crois, d’un chiffre symbolique, facile à retenir et à universaliser. Pas plus de 100 fois le revenu minimum (personne ne doit peser financièrement plus que 100 de ses concitoyens) me semble de cet ordre. Ca fait écho au « nous sommes les 99 % ». Et, au fond, si les facteur douze ne porte que sur les salaires (comme le facteur 20), et si on complète cette disposition par une série d’autres mesures sur les paradis fiscaux, les stock options, golden parachutes etc., nos propositions respectives ne sont finalement peut-être pas aussi éloignées qu’on pourrait tout d’abord le croire.

La question décisive selon moi est celle de savoir si nous pourrions gagner à cette proposition un frange appréciable du patronat (au fait, où sont passés et qui sont les rédacteurs du manifeste « Nous sommes les 1 % » ? Quelqu’un le sait-il ? ) et signer éventuellement un texte avec elle, comme le suggère Jacques Lecomte. Il me semble que nous aurions de meilleures chances de succès si nous suggérions, comme Hervé par exemple, qu’au-delà de ce facteur 100, l’argent n’irait pas nécessairement et intégralement à l’État et sous forme d’impôts, mais pourrait servir à faire vivre des fondations ou des associations : la société civile-civique. Resterait par ailleurs à aborder aussi la question encore plus épineuse des inégalités de patrimoine. Ce qui engage à se prononcer sur la réforme du droit des successions. Mais très vitre, je crois, nous devrions nous faire les relais de cette proposition suggérée dans un encadré du rapport du FMI 2013 : instaurer une taxe exceptionnelle de 10 % sur le patrimoine non immobilier. Voici l’argumentaire :

 

International Monetary Fund | October 2013 49 Box 6. A One-Off Capital Levy? The sharp deterioration of the public finances in many countries has revived interest in a “capital levy”— a one-off tax on private wealth—as an exceptional measure to restore debt sustainability.1 The appeal is that such a tax, if it is implemented before avoidance is possible and there is a belief that it will never be repeated, does not distort behavior (and may be seen by some as fair). There have been illustrious supporters, including Pigou, Ricardo, Schumpeter, and—until he changed his mind—Keynes. The conditions for success are strong, but also need to be weighed against the risks of the alternatives, which include repudiating public debt or inflating it away (these, in turn, are a particular form of wealth tax—on bondholders—that also falls on nonresidents). 1 As for instance in Bach (2012). There is a surprisingly large amount of experience to draw on, as such levies were widely adopted in Europe after World War I and in Germany and Japan after World War II. Reviewed in Eichengreen (1990), this experience suggests that more notable than any loss of credibility was a simple failure to achieve debt reduction, largely because the delay in introduction gave space for extensive avoidance and capital flight—in turn spurring inflation. The tax rates needed to bring down public debt to precrisis levels, moreover, are sizable: reducing debt ratios to end-2007 levels would require (for a sample of 15 euro area countries) a tax rate of about 10 percent on households with positive net wealth.2 2 IMF staff calculation using the Eurosystem’s Household Finance and Consumption Survey (Household Finance and Consumption Network, 2013); unweighted average.

 

Je rappelle qu’une telle taxe rapporterait de 5 à 600 milliards d’€ pour la France, et 3 000 milliards pour UE. Et en invoquant le FMLI, nous ne passerions pas pour de dangereux et irresponsables gauchistes…


Discussion à suivre
amitiés
Alain

 


27 juin, Jean Gadrey


Je me sens largement en phase avec cette analyse d'Alain. Remarquons qu'un écart de 1 à 100 entre les plus bas revenus actuels (RSA socle = 500 euros) et les plus hauts correspond à un écart de 1 à 44 entre le SMIC net mensuel actuel (pour 35h = 1 130 euros) et le revenu maximal envisagé.
En défendant l'idée d'un revenu maximal n'excédant pas 40 fois le SMIC net mensuel, nous défendrions en gros un écart maximal de 1 à 100 entre les plus bas et les plus hauts revenus. Certes, ce n'est pas l'écart de 1 à 4 que recommandait Platon... mais c'est celui que préconisait Henry Ford !
Cela dit, les rares enquêtes disponibles auprès des Français semblent bien indiquer qu'ils seraient plus ambitieux que nous... voir ce vieux billet que j'y avais consacré en 2008 :
http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2008/11/17/l%E2%80%99eventail-acceptable-desrevenus-platon-georges-marchais-etc/

Amicalement,
Jean

 


Alain Caillé, 27 juin


Cher Jean


Je me réjouis vivement de cette convergence. Les chiffres que tu donnes dans ton blog de 2008 sont précieux. Dans mon souvenir (et vérification faite à l'instant...), dans les Lois Platon préconisait un écart de 1 à 5 et non de 1 à 4 (même s'il distinguait quatre classes censitaires), mais la différence est
minime. On verra après. Si nous réussissions effectivement à faire triompher cette norme du pas plus de 100 fois le revenu minimum, ce serait un sacré pas en avant


Amicalement
Alain

 


Hervé Kempf, 27 juin

Un à cinquante parait très bien. Rappelons que le SMIC est à 1445 € bruts.


De nombreux éléments de réflexion et de débat sur la question dans le dossier "
RICHES, REVENU MAXIMAL ADMISSIBLE (RMA), REVENU DE BASE":

http://www.reporterre.net/spip.php?article1271

Amicalement
Hervé K.

 


En raison de l’augmentation relative du revenu du décile le plus pauvre.

2 En France, selon le rapport du Conseil d’analyse économique de 2011, (cité par Martin Hirsch pour Terra Nova), Au cours des vingt dernières années, les 10 % des rémunérations les plus élevées ont capté trois quarts de l’augmentation de la valeur ajoutée.

3 Sachant que nombre d’entre vous auront des formulations plus précises à proposer.
4 Une telle taxe ne concernerait pas que les très riches, ce qui me semble une bonne chose. Il faut que tous ceux qui ont un peu de biens participent. général, plus clair et parlant. Ce rôle symbolique doit être joué par la proposition d’un revenu maximum.

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