mardi 17 décembre 2019

Quelques réflexions à partir des États généraux de la bioéthique 2018 (1)

« Quel monde voulons-nous pour demain ? » C’est par cette question que le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a résumé les enjeux des États généraux de la bioéthique qui se sont déroulés dans toute la France du 18 janvier au 30 avril 2018. Pour reprendre les mots du « Rapport de synthèse du CCNE », on peut y voir une manière très « large » et « inclusive » de concevoir le débat sur la société que nous désirons, mais aussi le constat d’un profond désarroi qui fait écho à la vive question que se pose Bruno Latour dans son dernier ouvrage : « Où atterrir ? ». Au fil des interventions d’experts et de citoyens qui se sont succédé lors des débats que nous avons coordonnés avec l’Espace éthique en Île-de-France, nous avons collectivement pris conscience que nous avions changé de monde. Peut-être serait-il plus juste de se demander alors : dans quel monde avons-nous du mal à atterrir ? Et, en corollaire, comment nous saisir collectivement de ces questions ?

Christianisme, bouddhisme, islamisme, hindouisme, judaïsme, marxisme, libéralisme, néolibéralisme, etc. tous ces ismes font peur. Ils sont pourtant indispensables pour désigner une certaine cohérence doctrinale spécifique, tout un ensemble d’idées et de valeurs au nom desquelles pour le meilleur ou pour le pire on se rassemble en unissant ses forces.

La politique moderne, celle qui peu à peu s’est donnée pour idéal la démocratie, - « le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple » (Lincoln), « le pire des régimes à l’exception de tous les autres » (Churchill) - naît avec le libéralisme, entendu au sens large du terme. Pensé, entre autres par Locke en Angleterre, Spinoza aux Pays-Bas, Montesquieu en France, Kant en Allemagne, il pose que le pouvoir ne doit pas reposer sur l’obéissance à la tradition ou à la religion mais sur la Raison et le libre choix des individus. Il est donc le champion de la liberté de penser  et de s’associer.

De ce point de vue, les quatre grandes idéologies politiques qui se sont opposées au 19ème et au 20ème siècles, et encore aujourd’hui, peuvent être vues comme les héritières de ce libéralisme originel, a ou post-religieux : il s’agit du socialisme, du communisme, de l’anarchisme et… du libéralisme au sens étroit du terme.

L’espace public fait partie de ces aspects de la vie ordinaire auxquels nous ne prêtons généralement pas d’attention. Quoi de plus banal qu’une rue, une avenue, un square, une place, un parc ?

Et pourtant, tout ceci est le résultat d’un projet, longuement discuté, durement négocié, et parfois même, dessiné avec amour.

En nous désintéressant de la construction de l’espace public, nous prenons comme allant de soi des situations qui sont en fait socialement construites et politiquement déterminées.

Supprimons dans un morceau de ville donné toutes les lignes, toutes les limites qui en organisent l’espace public : les halls d’entrée des immeubles, les bordures des trottoirs, les caniveaux des chaussées, les parvis des parcs, les haies autour des aires de jeux pour les enfants. Nous observons alors que les différents usages, qui jusque là voisinaient dans une relation relativement paisible, entrent en conflit. Les voitures stationnent devant les entrées des immeubles. Les piétons traversent au plus court. Les aires de jeux sont privatisées par des groupes d’adolescents à la recherche d’un endroit tranquille pour se retrouver. La violence fait alors son apparition, les gens se disputent, se battent, les accidents surviennent.

Les polémiques politiques, éthiques, philosophiques, littéraires,  artistiques  sont- elles plus violentes aujourd’hui qu’il y a un siècle ou deux ? Laissons les historiens en débattre. Ce qui est sûr en tout cas c’est que depuis la fin de la deuxième guerre mondiale elles le deviennent chaque année davantage dans les pays occidentaux, en principe tempérés. Le règne des medias et l’omniprésence d’internet y sont évidemment pour beaucoup. La démultiplication des canaux d’expression, l’accès qui y est désormais ouvert à chacun hors de toute censure ou de toute régulation, l’instantanéité des échanges qui incite à donner immédiatement libre cours à l’expression spontanée des sentiments sans laisser un moment à la réflexion, l’accélération du temps qui fait que chacun en manque, l’obligation qui en résulte de présenter toute idée ou toute information le plus brièvement possible – le tweet étant l’incarnation par excellence de cette norme -, tout ceci contribue à réduire les débats publics à la circulation des « petites phrases ». C’est par les petites phrases   supposées devoir faire mouche et toucher le public-cible au cœur, par une simple formule destinée à marquer les esprits qu’il faut tenter d’exister médiatiquement. Hors de la petite phrase, point de salut. Autrement dit, aucune visibilité. De ce principe Donald Trump est chaque jour l’illustration vivante. Tout propos, aussi complexe soit-il, doit pouvoir se condenser en une petite phrase – ou, au mieux, dans le quart d’heure d’un tedx. Sous l’empire de la petite phrase les idées n’apparaissent plus comme les moments d’un discours construit et cohérent mais comme de simples parcelles discursives, qui valent, en quelques mots, pour le discours tout entier. D’un essai qui vient de paraître on ne retiendra que la petite phrase qui le résume et qui dispensera de le lire.

Mon cœur libertaire

Je ne veux être l’objet de personne. Que ce soit au sein du couple, de l’entreprise et dans toute entité avec laquelle j’entretiens des relations. Réciproquement, je ne veux posséder personne. Concrètement, je souhaite consentir à toutes les décisions qui me concernent et réciproquement, je ne souhaite imposer aucune décision à quelque adulte que ce soit.

J’adhère donc à un projet d’émancipation qui ne pose aucun problème tant que je suis seul, mais qui se complique rapidement dès que je m’associe à d’autres pour former un collectif. C’est qu’un chien a beau avoir quatre pattes, il ne peut emprunter deux directions à la fois !

L’émancipation est au cœur, voire le cœur, de la gauche libertaire et c’est aussi celui de la modernité. Mais comment prendre des décisions efficaces au sein d’un collectif tout en respectant ce grand principe d’émancipation ?

Les médias américains n’en disent pas mot, les européens l’ignorent totalement mais cela ne veut pas dire que la "Campagne des Pauvres" (Poor People’s Campaign) n’est pas lancée avec des actions qui promettent de marquer le cours de l’histoire aux États Unis d’Amérique! Et ces actions qui ont démarré le 13 Mai, et vont durer 42 jours, dans 41 États fédéraux, couvrent tout le spectre des opprimés et de leurs luttes, dessinant ainsi un programme revendicatif à la fois bien enraciné dans la réalité nord-américaine et suffisamment radical pour qu’il puisse ouvrir le chemin qui conduit à la contestation du système politique, social et économique du pays!

Des prisons « ouvertes », sans barreaux, avec un taux d’évasion inférieur à celui des prisons fermées, des prisons où tous les détenus ont un travail, et un travail rémunéré, où le taux de récidive après la sortie est 2 à 3 fois moins important que pour les détenus passés par les prisons fermées, des prisons où, à la sortie, les détenus libérés trouvent des solutions d’insertion préparées pendant le temps de la détention, des prisons où l’on compte moins de suicides qu’ailleurs, des prisons qui coûtent beaucoup moins cher aux contribuables que les prisons fermées, ce n’est pas une utopie. Cela existe. Une seule en France, qui reçoit 0,3% de la totalité des détenus incarcérés en France. En Finlande, 40% des condamnés résident dans de telles prisons ouvertes !

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