mardi 17 décembre 2019

Dossier présenté par Laurence De Cock et Vincent Casanova

Avec les contributions majoritairement des collègues du collectif Aggiornamento, mais aussi de APSES et de Questions de classes.

Suzanne Citron, Maryse Broustail, Laetitia Léon-Benbassat, Servane Marzin, Laurence De Cock, Vincent Casanova, Vincent Mespoulet, Laurent Fillion, Bernard Girard, Marie Gloris Bardieu Vaïente, Elisabeth Hervouet, Grégory Chambat, Laurent Gayme, Farida Gillot, Vanessa Mercier, Eric Fournier, Gabriel Kleszewski, Philippe Olivera, Simon Grivet, Samuel Kuhn, Olivier Le Trocquer, Isabelle Bourdier-Porhel, Christophe Naudin, Geneviève Royer, Mathieu Ferradou, Sophie Gaujal, Olivier Barberousse, Jean-Charles Buttier, Axel Berra-Vescio, Carine Gabayet, Défendin Détard, Stéphanie Maffre

« Après que » :

Au risque de paraître vétilleux, rappelons pour commencer une règle de la langue française : à la suite de la conjonction de subordination « après que », le verbe doit être conjugué au mode de l’indicatif. C’est logique : puisqu’on se place après, c’est que les événements ont eu lieu. Quand il en va de la réalité, l’indicatif est en effet de rigueur. Or, l’usage courant a consacré plutôt le subjonctif, mode conventionnellement associé au virtuel. Si seulement… Hélas, il ne fait pas de doute : nous nous situons immanquablement « après qu’ils ont été tués ».

Le présent s’en ressent et s’emballe doublement : frénésie médiatique et fièvre herméneutique vont de pair. Le silence n’a pas duré une minute que l’institution scolaire s’est retrouvée au cœur des préoccupations : la ministre de l’Éducation nationale vient ainsi d’annoncer une « grande mobilisation pour les valeurs de la République[1] » et entreprend de consulter tous azimuts. Il faut dire qu’entre ceux qui s’inquiètent que les profs « ne sa[ch]ent pas bien comment réagir »[2], un Premier ministre qui déplore « que, dans certains établissements, collèges ou lycées, on ne puisse pas enseigner ce qu’est la Shoah »[3], des représentants politiques qui s’alarment des « failles » de l’école républicaine[4], des collègues qui se sentent « parents des trois assassins »[5] – se sentent-ils comptables aussi des voix du Front national ? – l’École se retrouve investie d’une responsabilité prométhéenne. Mais la pédagogie de l’urgence ne produit que de l’écume.

Il est certain que des élèves ont tenu parfois des propos relevant d’un scepticisme complotiste hyperbolique. Cela s’est produit, un peu partout en France – et pas seulement dans les établissements de quartiers dits « sensibles » ou « prioritaires ». Mais, très probablement, des propos islamophobes ont été formulés, à tout le moins pensés, par d’autres – or, c’est symptomatique : on n’en a pas entendu parler ! Que ce soit clair : les professeurs n’ont pas découvert cette semaine que des élèves – des enfants, des adolescents – pouvaient tenir des propos violents, à l’occasion antisémites. C’est fort de cette expérience que des professeurs ont décidé de faire, comme d’habitude, leur métier. Bien sûr, cela n’a pas été toujours de tout repos, mais cela n’est pas nouveau. Aussi les séances se sont-elles organisées sans illusions – le médecin guérit-il son patient en pleine crise délirante ? Nous ne sommes pas des urgentistes.

Les témoignages d’enseignants d’histoire-géographie réunis ci-dessous veulent signifier et donner à lire au plus près du réel[6] – et donc imparfaitement – ce qui a pu s’élaborer, se partager au sein de certaines classes. Il ne faut point y voir des modèles mais simplement, à titre indicatif, des retours d’expérience qui valent par leur singularité[7]. Il est de toute façon difficile d’en évaluer les résultats. Deux certitudes seulement : les recommandations du ministère, aussi bien intentionnées étaient-elles, n’ont guère été inspirantes[8] ; on souhaiterait que ne soit plus imposée une minute de silence. À solenniser uniformément une émotion qui ne se commande pas, on produit inutilement et mécaniquement des oppositions.

En définitive, on remarquera combien la conception politique de l’éducation paraît plus que jamais nécessaire à assumer. Une conception politique en tant que parfaitement ancrée et articulée aux combats pour l’émancipation.

Aussi les 50 témoignages qui suivent révèlent-ils le souci commun de s’arrimer au contexte spécifique de la relation pédagogique telle qu’elle s’est tissée au cours des mois passés. Qui est toujours une relation humaine, traversée d’affects, de sentiments, dont les fils sont toujours à reprendre, obstinément. Après que le travail a commencé, il continue. À l’indicatif résolument. Comme le présent de notre histoire.

Ils ont été classés par ordre de leur apparition sur la liste. Tout le monde n’a pas écrit, tout le monde n’a pas su parler de ce qui s’est joué dans l’emballement de ces derniers jours. On pense rarement à ces silencieux, enfants comme adultes, qui restent encore suspendus dans l’interstice de leurs innombrables questions.

Ces prises de paroles ne reflètent donc qu’elles-mêmes. Mais elles disent beaucoup plus que ce que l’on entend ci et là de cet énième procès fait à l’école.

Elles sont spontanées, signées ou anonymes. Mais toutes sans exceptions respirent à la fois l’impuissance et la beauté du métier. Car cette histoire, on ne le dit pas assez, met les enseignant.e.s à nu dans ces moments[9]. Eux aussi arrivent encore saisi.e.s par leurs émotions. Le partage, quand il a lieu, naît de cette rencontre là : des êtres humains qui balbutient ensemble des incertitudes.

Nous les offrons comme traces. Citez les, relayez, mais ne dénaturez pas ce qui n’est encore qu’une faible trace de la spontanéité.

Liste des messages numérotés dans l’ordre de leur réception

1) Entendu sur France culture mentionnés des refus d’élèves objectant les milliers de morts en Syrie, qu’en penser et quelle ambiance en général dans vos classes?

Suzanne Citron

2) Chez nous certains élèves ont refusé oui mais mon expérience perso a été chouette et nuance tout ça : j’ai vu mes quatre classes hier, je n’ai pas fait cours (ou un petit quart d’heure dans chaque), on a beaucoup parlé, j’ai écouté les “bien fait” qui m’ont brisé le cœur, les références aux souffrances d’autres peuples et d’autres drames pour lesquels on ne fait pas de minute de silence…mais au final tous ont reconnu l’horreur, la disproportion, et la nécessité de se battre pour la liberté d’expression. On a regardé et expliqué les caricatures, ils étaient super conscients du risque d’amalgame, de la poussée islamophobe, et ils ont exprimé leurs craintes là dessus et leur volonté que ça arrive le moins possible justement… Mais j’ai de la chance, mes classes sont chouettes cette année, ils sont ouverts et écoutent. Et ils ont été plein d’ empathie. Je pense aux collègues qui sont revenus en salle des profs les larmes aux yeux-accablés et découragés par les réactions de leurs classes, et je ne sais pas si j aurais tenu bon moi. J’espère que d autres auront eu la même expérience que moi, parce qu’elle réchauffe le cœur…Je vous souhaite beaucoup de courage à tous, de la patience dans la fermeté, et de l espoir en notre beau métier, en nos mots, en notre liberté de dire et d’ expliquer précisément…

J’ajoute juste, mais vous le savez certainement déjà tous, que s’est répandue comme une traînée de poudre la rumeur du complot évidemment. Et nos élèves adorent (même s’ils conviennent assez vite que ça tient difficilement debout) et ça fait un truc de plus de monstrueux à écouter :(

Vanessa Mercier, Lycée, Nanterre, 92

3) Bonjour

J’aurais pu écrire globalement le même message que Vanessa. Mais franchement ça a été rude et épuisant comme journée.

Laetitia Léon-Benbassat, lycée, Stains, 93

4) Dans mon lycée, à la suite d’une question qui lui a été posée sur la conduite à suivre en cas de refus ou de perturbation de la minute de silence, le proviseur a répondu que les enseignants pourraient proposer aux élèves qui ne souhaitaient pas suivre la minute de silence de sortir de la classe avant la minute de silence (les cours terminent à 12h05).

N’étant pas sur place à ce moment là, je ne peux pas juger de ce qui s’en est suivi. Mais je considère cette proposition comme parfaitement légitime et même tout à fait normale. Je ne vois pas comment une manifestation d’émotion pourrait relever de l’injonction à la ressentir.

Pour rebondir sur le message de Vanessa, j’ai l’impression que dans le contexte de l’immense mobilisation émotionnelle qui n’a cessé de monter depuis mercredi matin, la “réaction” des élèves est un objet particulièrement sensible et susceptible d’alimenter toutes les crispations et conclusions trop rapides.

D’abord, parce qu’il y a, j’en suis sûr, un écart énorme dans ce type de situation entre ce que l’on constate de visu et ce que l’on connait de manière indirecte : Vanessa donne par exemple un témoignage de vrai dialogue pour ce qui la concerne et d’échos de situation moins faciles. Depuis la minuscule lucarne de mon expérience de ce matin, j’ai avec quelques élèves de ma classe de seconde en fin d’heure successivement

a) capté des signes évidents de crispation de la part d’élèves me faisant part de leur exaspération face à ce qu’ils avaient ressenti la veille comme une injonction d’une collègue à ressentir ou à se prononcer

b) puis constaté dans la discussion que cela n’avait strictement aucun rapport avec un quelconque soutien de l’acte des assassins ni aucune volonté de provocation

c) et enfin constaté aussi dix minutes plus tard auprès d’elle que la même collègue se posait de grosses questions à propos du déferlement compassionnel et qu’elle n’avait absolument pas eu l’intention de forcer les élèves à quoi que ce soit. Bref, en 10 minutes d’échanges variés sur ce sujet, une bonne poignée de malentendus rencontrés. Comme à chaque fois qu’on est dans ce type de situation dite “sensible” avec anticipations contradictoires et croisées de la réaction de l’autre entre élèves et professeurs.

Ensuite parce que la situation est objectivement compliquée pour les élèves qui d’une manière ou d’une autre se sentiraient particulièrement confrontés à l’obligation d’ “être Charlie” en raison de ce qu’ils sont. Je trouve même assez choquant de mettre des enfants dans cette situation sous le regard de tous (tout un collège ou tout un lycée dans la cours pour la minute de silence, par exemple).

Philippe Olivera, lycée, Marseille, 13

5) Pourquoi imposer à tous un rituel qui ne fait sens que pour quelques-uns (et je ne parle même pas de la minute de silence en maternelle…) au lieu de laisser sur le terrain les équipes éducatives prendre leurs responsabilités ?

Une petite lecture mais tout le monde n’est pas forcé d’être d’accord :

http://blogs.rue89.nouvelobs.com/journal.histoire/2015/01/08/une-minute-de-silence-lecole-et-cest-tout-234035

Bernard Girard, collège, Laval, 53

6) Pour ma part, je n’y ai pas été confronté aujourd’hui, n’étant pas en cours. Mais dans un cas précédent, je crois en 2003, lors des attentats a la gare d’Atocha a Madrid, 11mars 2003, sauf erreur, j’avais écouté celles et ceux qui n’étaient pas d’accord, permis leur expression, et la discussion dans la classe – une éleve avait remarquablement argumenté – et je les avais autorisés a aller dans le couloir, ils souhaitaient ne pas faire de minute de silence. Les arguments des élèves étaient les mêmes, en gros, avec l’Afghanistan, l’Irak et la Palestine comme exemples, si je ne me trompe – contexte de l’époque.

J’avais moi-même tenté d’expliquer le cours d’après, sauf erreur, ou dans la suite immédiate, je ne sais plus, article de journal en document, pourquoi on pouvait se reconnaître dans les victimes elles-mêmes de tous les horizons de la planète, donc étant l’humanité symboliquement. Mais ce n’était pas très bien passé, si j’ai bonne mémoire.

Pour répondre à Philippe, les élèves réagissaient de toutes façons, sans qu’on les somme d’être eux-mêmes en cause. Il y avait bien une forme d’identification ” en fonction de ce qu’ils sont”, ou plutôt de ce qu’ils projettent a ce moment là comme identité miroir. Ça renvoie au nœud complexe de l’identité / identification, qui se cristallise a ce moment là. Ça mériterait un travail en ” éducation civique” sur le thème ” qui sommes-nous?”, ” comment nous définissons-nous?”, pour parvenir a faire émerger, le libre choix de s’identifier, et la pluralité des identifications en chacun, si on creuse, et le rôle des événements dans cette construction/création a la fois d’affect, sociale, politique et corporelle, esthétique même.

Je l’avais un peu fait dans le cadre d’un atelier de création de chanson a partir d’un récit de vie d’une femme faisant de l’alphabétisation a Barbés et se disant explicitement franco-algérienne et le revendiquant – elle était née a Barbés et cousait des drapeaux du FLN dans les caves pendant la guerre d’Algérie. Mes élèves, pour un certain nombre – beaucoup de filles option ST2S oblige – avaient pour une part notable refusé cette double appartenance, se voulant françaises – même ayant un bijou en forme d’Afrique autour du cou – ou d’un autre pays, et je m’étais dit que, sans doute, accepter cette complexité a l’adolescence est très difficile – je l’ai vécu moi-même, vous peut-être aussi ; j’avais à 13-15 ans un petit drapeau breton sur mon vélo et j’y croyais alors que je suis né dans le 15eme et mon père a Asnières ..

Sans doute, et je m’excuse de dire là sans doute des banalités, le moment de la minute de silence, qui demande de s’identifier aux victimes, est-il ce qui cristallise soudainement le problème de l’identification, sans travail préalable, et donc un choix affectif auquel ni les élèves ni personne n’a songé. Mais, après tout, si ça est accepté comme ce qui ouvre les questions, c’est peut-être une bonne occasion, en reprenant ces questionnements dans l’après-coup et en déculpabilisant. Même si l’identification spontanée, même fictive, a des ” tueurs”, ” terroristes”, ou quelque soient les qualificatifs utilisés et repris spontanément ou non, vus comme des héros, est difficile pour nous comme enseignants. Et le débat s’amorçant, qui aurait pu très vite se crisper sur la liste – nous sommes Charlie, nous ne le sommes pas, plus, pour x raisons – montre bien, s’il était nécessaire de le démontrer, que nous sommes bien évidemment nous-mêmes avec d’infinies nuances qui vont se cristalliser et se simplifier sur le moment, provoquer éventuellement des conflits d’affects, alors que nous serions en mesure de faire se croiser ces nuances dans des discussions riches en d’autres circonstances.

Pour finir sur mon premier exemple, je n’avais alors pas averti l’administration de l’époque de mon lycée, sachant pertinemment qu’elle allait au contraire, le proviseur en particulier, aller directement a de la sanction et a du conflit aggravant. Et ça s’était bien passé, mais en auto-gèrant la chose, avec quelques collègues, sans le dire, faute de mieux par “obligation”.

Ce n’est pas le problème de l’Education nationale seulement, c’est celui de l’Etat, de la loi, du contrat social même comme notion englobant ” tous” les citoyens, de la ” cité” comme une, ou non – démocratie athénienne, etc. C’est sacrément complexe, comme question.

Nous avons justement toutes et tous des avis plus ou moins divergents sur cette ” unité”. Décide-t-on de faire ” un”, ou pas, pourquoi, comment?

C’est la même chose sur la liste, en fait.

Le mode minimal, mais pas neutre et expressif, choisi par Laurence a propos de “Charlie ” était le bon. Mais peut-on, doit-on toujours faire un choix minimal? Même les communards prenaient des décisions qui s’imposaient a tous, même si seulement ce ” tous” était les habitants de Paris – Eric me démentira si besoin. Et ça faisait débat et question.

Olivier LeTrocquer, lycée, Paris

7) Pour la première fois depuis bien longtemps, j’ai franchi ce matin la porte du lycée sans avoir aucune idée de ce que j’allais dire aux gamins. 
J’ai pourtant un sérieux entraînement à l’improvisation cette année. Je consacre en effet à peu près le temps de mon transport pour “cadrer” mes séances. Ce n’est pas bien je sais, ne me dénoncez pas, merci.
Mais jamais je n’étais encore arrivée en rade à ce point. Donc j’ai franchi la porte de ma salle au moment de la sonnerie (la 2ème, celle où tu peux plus reculer), j’ai regardé mes élèves de 1ere que je ne revoyais qu’aujourd’hui, et je leur ai dit “je ne sais pas quoi vous dire, mais je crois savoir pourquoi”.
Le dialogue est parti sur cette espèce de faux silence. Parce qu’il y a tellement à dire qu’à trente on s’en sortirait sans doute mieux. Ce fut un très beau moment, libre, posé, plus touchant pour moi que pour eux je crois, tant mieux.

“Quand un truc comme ça se passe chez moi on s’dit pourvu que ce soit pas quelqun de chez nous inch’allah sinon on va manger”.

L’islamophobie, le racisme etc. Pas de débordement, pas non plus de révolution de la pensée, juste un moment de partage.

Requinquée par cette séance d’improvisation, j’ai pris les terminales l’après-midi. De façon beaucoup plus formelle je les ai lancés sur une réflexion individuelle d’abord sur le sujet suivant :

“Je suis Charlie” ? Derrière les faits, derrière les mots, quels enjeux ?

Et ils ont “débattu” quasiment sans moi ensuite. Pareil, ni plus ni moins intéressant qu’avant. 
Mais avec beaucoup plus de scepticisme sur les pistes possibles pour sortir de cette merde.
”Il faut attendre qu’ils nous mettent dans des trains pour qu’il y ait un sursaut” dit l’une, citant Zemmour et Houellebecq. 
”C’est pas nous qui pouvons faire quoi que ce soit”
Un moment sur la violence qui a débouché sur une petite touche conspirationniste que j’ai désamorcée en me levant pour feindre de chercher les micros des RG et en faisant le clown pour les convaincre que j’étais une espionne, d’ailleurs, ai-je dit, “ne suis je pas un peu différente de d’habitude ”

Voilà, je les ai trouvés meilleurs que moi aujourd’hui, et j’en suis bien contente.

Laurence De Cock, lycée, Nanterre, 92

8) Bonjour,

J’avais finalement décidé d’en parler aujourd’hui avec mes 4e et 3e. Hier, je n’avais évoqué le sujet qu’avec mes 6e, mais uniquement pour expliquer (ou tenter de le faire) la minute de silence de midi (pour laquelle je n’ai pas eu spécialement de remarques).

Aujourd’hui, donc, j’avais avec grande difficulté préparé quelque chose, à partir notamment du cours qu’ils avaient fait avec la collègue que je remplace sur les libertés (elle avait fait quelque chose de précis sur la liberté d’expression et la liberté de la presse). Je leur avais demandé d’y réfléchir hier. J’avais aussi fait quelque chose sur les affaires de 2006 et 2011, trouvé des vidéos (une sur un film montrant des caricaturistes du monde entier, l’autre étant une interview de Cabu) et terminé sur des dessins très variés en hommage à Charlie, pour qu’ils les commentent.

Cela s’est globalement très bien passé mais, le plus intéressant, de façon extrêmement différente d’une classe à l’autre. J’ai eu quatre versions différentes (trois 4e, une 3e). Avec les 3e, j’ai pu rester dans ma ligne prévue, au début, mais cela s’est rapidement transformé en débat, avec moi et entre eux, mais dans de bonnes conditions. Avec une 4e, j’ai dès le départ été interpellé par une jeune fille pas agressive, mais qui semblait vouloir en découdre, notamment sur l’interdiction nécessaire, selon elle, de critiquer ou de se moquer de toutes les religions. Cela a été difficile de repartir dans ce que j’avais prévu, mais surtout d’éviter le dialogue uniquement avec elle, pour faire participer le plus de monde possible, tant elle était insistante et que cela semblait lui tenir à coeur. Mais cela s’est bien conclu, elle est passée me voir ensuite pour dire qu’elle était heureuse d’en avoir parlé, même si elle n’était pas forcément d’accord sur tout; d’autres, dans les autres classes ont d’ailleurs fait de même. La 4e suivante, cela a été sensiblement la même chose, avec une jeune fille qui m’avait prévenu dès la veille qu’elle voulait en parler. Même chose que sa camarade : refus de critiquer ou de moquer les religions, allant même plus loin (elle refuse tout autre islam que le sien), mais très ouverte au dialogue malgré tout. Là, en revanche, beaucoup de ses camarades se sont imposés d’eux mêmes pour eux aussi donner leur avis. Le seul souci que j’ai eu, c’est avec l’un d’eux, très vindicatif envers “les musulmans”, mais qui apparemment a quelques soucis, en général, avec ses camarades…J’ai dû le recadrer, et la tension a baissé. La dernière classe de 4e, en revanche, cela a été très calme. Les élèves ont été attentifs et intéressés, mais bien plus passifs dans leurs réactions, et pour la plupart peu volontaires pour discuter.

Dans les dessins que j’ai diffusés, un a eu beaucoup de succès : on voit les terroristes tirer sur le bâtiment de Charlie, duquel coule du sang. Mais leurs balles continuent derrière et frappent une mosquée. Cela a semble-t-il résonné pour la majorité d’entre eux, qui estiment que les conséquences risquent d’être très difficiles pour les musulmans. Beaucoup s’inquiétaient des “représailles”, il y avait peu d’optimisme. La jeune fille mentionnée plus haut (la seconde) m’a attendu en fin d’heure pour me dire qu’elle s’inquiétait car elle avait été insultée hier dans la rue, ce qui ne lui était jamais arrivé avant…

J’avais longtemps hésité à faire quelque chose, surtout ne sachant pas comment m’y prendre vraiment, mais je suis content de la façon avec laquelle cela s’est déroulé, et je crois que c’est le cas aussi de la majorité des élèves de mes classes.

Christophe Naudin, collège, Fresne, 94

9) Reçu à l’instant un mail d’élève :

Bonsoir madame
J’avais un rdv médical aujourd’hui c’est pour ça que je n’ai pas pu assister à vos cours. Je voudrais vous posez des questions sur ce qu’il se passe en ce moment désolé de vous déranger alors que vous êtes en week end. Pensez vous que ça pourrait s’aggraver encore plus ? Que ça va être comment l’attentat du 11 septembre ? Vous pensez qu’il peut y avoir une guerre ? Je suis terrorisé j’ai même plus envie de sortir de chez moi c’est horrible d’instaurer un climat de terreur aussi fort. Je ne sais pas à qui poser mes questions et je pense que vous êtes la mieux placer.”

Laurence De Cock, lycée, Nanterre, 92

10) Bonsoir,

Terminale et seconde hier et aujourd’hui. Dans mon premier cours en Terminale j’avais l’impression de ne pas réussir à les atteindre même s’ils étaient sensibles à ce que je disais. J’avais la même classe à midi. Certaines élèves sont venues me voir parce qu’elles souhaitaient faire la minute de silence avec leurs camarades en MDL. J’ai bien sûr accepté et en ai profité pour dire que si certains voulaient sortir pour ne pas faire la minute de silence, ils en avaient le droit. Finalement une partie est partie à la MDL, l’autre est restée avec moi. Après ils/elles sont revenu-es avec les infos sur Montrouge. Le débat a repris plus collectif … que faire ? Quelle responsabilité ont les individus.

En fin de journée dans une de mes secondes, trois musulmanes se sont engueulées. deux affirmaient que ce n’était pas cela l’Islam, la troisième, disant avoir lu le Coran dans sa totalité, disait qu’on s’en prenait toujours aux musulmans et que personne ne disait rien et qu’il était possible de tuer pour Dieu.

Aujourd’hui, les événements de Vincennes m’ont amenés à reprendre le sujet avec des élèves que j’avais eu la veille et qui avait fort peu parlé. J’ai en particulier passé les unes de Mahomet (c’est dur d’être aimé par des cons) et de Mgr vingt-trois … la seconde a bien sur choqué. Débat sur “a-t-on le droit de rire de la religion” … j’ai vraiment eu l’impression d’avancer, en particulier avec une fille musulmane, qui disait très catégoriquement non au début … ça sert.

En sortant interpelée par deux anciens élèves (garçons et musulmans) qui me demandait si nous avions eu l’ordre d’en parler dans toutes les classes. J’ai expliqué l’importance que cela pouvait avoir pour nous citoyen-nes et prof d’HG.

Je suis dans un lycée relativement hétérogène en banlieue éloignée de Paris

Elisabeth Hervouet, lycée, 77

11) Et mail d’une élève aujourd’hui :

“Bonjour Madame,

Je suppose que vous avez appris pour le Charlie Hebdo mercredi.. hier à Montrouge et ce matin prise d’otages.. a dammartin plusieurs coup de feu depuis 9h15.. en Seine et Marne… A coté.. de chez nous .. ça fait peur.. moi même Je commence à avoir peur Madame… Ai-je raison d’avoir peur? …”

J’ai répondu , suis allée la voir … des fois on a l’impression de faire oeuvre utile

Elisabeth Hervouet, lycée, 77

12) Oui ils flippent. Certains de mes élèves de Tes l’ont clairement traduit aujourd’hui, ils ont parlé aussi de la crainte d’une guerre civile.

Laetitia Léon Benbassat, lycée, Saint Denis (93)

13) Bonsoir,

Personnellement j’ai eu d’autant moins de problèmes que je n’avais pas cours jeudi. Mes collègues n’ont pas eu de problèmes non plus.

Mais j’ai eu des témoignages directs de collègues en lycée pour qui ça a été difficile, et qui ont tout entendu : théories du complot, approbation sur le mode « ils l’ont cherché », manipulations par les medias, deux poids deux mesures entre Charlie hebdo et Dieudonné, etc. sans oublier chez certains la crainte d’une guerre civile. Je ne dis pas que c’est majoritaire, je dis juste qu’il ne faut pas faire non plus comme si ça n’existait pas (regarder aussi les réseaux sociaux), au risque de laisser ces collègues, qui se sont sentis abandonnés hiérarchiquement, seul-e-s devant ces difficultés…

Laurent Gayme, lycée, Le Mans, 72

14) Bonjour à tous,

ayant discuté hier soir avec d’anciens collègues du secondaire qui étaient un peu décontenancés par les réactions des élèves, ce que je lis sur ce fil appuie vivement l’idée qu’il faut faire un billet en insistant effectivement sur la trouille des gamins.

Bien à vous tous

Eric Fournier, Université Paris 1

15) Il y a la trouille des gamins, mais aussi leur crise de confiance dans les adultes, dans les politiques – et on les comprend- mais aussi du coup leur adhésion compensatrice a des formes de croyances hyper simplistes – qu’est-ce que la théorie du complot sinon la croyance en une forme de mal presque tout puissant qui mettrait Dieu, le Bien absolu, etc., en échec, sans quoi le monde n’aurait plus de sens, puisque Dieu ne le régit plus, sans raisons apparentes?

Olivier LeTrocquer, lycée, Paris

16) Pas seulement peur pour dimanche, loin de là.

A ce sujet, au milieu de tout ce que qui éloigne en ce moment d’une réflexion posée, je m’applique à moi même le conseil que j’ai donné à une amie d’origine algérienne de ma fille (classe de terminale) : depuis quatre jours elle ne dort plus, elle a peur des actes anti-musulmans, elle surfe sur tout ce que facebook et internet lui montrent de ces actes ; et je lui ai demandé : connais-tu personnellement quelqu’un qui a été victime de ces actes ? Tant que ce n’est pas le cas, tu peux évidemment te préoccuper de ce dont tu entends parler, mais tu peux aussi te rassurer en pensant que c’est encore éloigné.

J’applique donc le principe : je peux dire que je connais personnellement une gamine que l’ambiance de ces derniers jours angoisse au plus haut point.

Philippe Olivera, lycée, Marseille, 13

17) Mes élèves s’inquiètent aussi. Pour la violence en général, et contre les musulmans en particulier. 
Comme je l’ai évoqué plus haut, l’une de mes 4e, voilée, s’est faite insulter dans la rue jeudi, par des adultes. Ce qui ne lui était jamais arrivé. Le soir même elle a insisté auprès de ses parents pour regarder un documentaire sur l’affaire des caricatures, et la façon avec laquelle la une de Cabu a été faite l’a beaucoup intéressée. C’était évidemment l’une de mes élèves les plus actives dans les discussions du vendredi. 
Autre chose que je n’avais pas mentionné. Deux élèves (de deux classes différentes) m’ont demandé pourquoi Dieudonné n’était pas défendu comme Charlie. Pas mal d’élèves ignoraient aussi que le journal avait depuis longtemps caricaturé la religion chrétienne. 
Enfin un élève doutait que la mobilisation serait aussi unanime si des musulmans étaient frappés.

Christophe Naudin, collège, Fresnes, 94

18) Bonjour

Mes élèves aussi on été choqués. Nous avons longuement discuté avec les 1L en TPE. Les élèves nous ont fait part de leur peur face à la violence et au racisme. Une élève m’a dit qu’elle ressentait des regards hostiles dans la rue. J’ai été impressionnée par leur capacité à comprendre l’importance de la liberté d’expression. Ils ont aussi insisté sur la tolérance. Mes élèves musulmanes sont très choquées (certaines ont pleuré pendant deux jours). Je crois qu’elles avaient besoin d’être rassurées. Elles vivent aussi les attentats comme une agression contre leurs croyances religieuses. J’ai été très impressionnée par leurs capacités de réflexion.

Beaucoup d’inquiétude aussi et d’incompréhension face aux terroristes. Une élève a dit “J’ai l’impression qu’ils vivent à côté de notre société”.

Message un peu décousu mais oui, il est essentiel d’expliquer que nos élèves ont peur des conséquences et d’une explosion de violences racistes.

Geneviève Royer, lycée, Rueil-Malmaison, 92

19)

Bonjour,

je n’étais pas au lycée jeudi, et ce vendredi soir, je suis assez fière des élèves que j’ai vus aujourd’hui

N’ayant moi non plus rien préparé ne sachant pas si les élèves auraient envie – ou non – de débattre de l’actualité, je suis partie du fait que la sortie que nous devions faire au cinéma pour voir “Les héritiers ” était annulée pour cause de Vigipirate. J’ai repris avec eux le mail que je vous avais envoyé il y a quelques semaines décrivant l’intérêt du film pour les élèves à mes yeux, et assez logiquement on en est venus à parler de l’actualité.

Ce qui en ressort, c’est la question récurrente “ça craint d’aller à Paris dimanche?” dans un élan sincère de solidarité. On a déconstruit (ou tenté) le discours conspirationniste. Ils m’ont parlé d’une vidéo vue sur les réseaux sociaux où un homme inviterait les musulmans à agir comme les terroristes à Charlie Hebdo… je n’en avais pas entendu parler, mais j’ai repris l’idée que l’appel à la haine était ignoble et condamnable, de quelque bord qu’il soit. Certains élèves qui n’ont pas voulu parler dans le cadre de la classe sont venus me voir ensuite. Certains m’ont conseillé de voir le film “Fracture “, que je ne connais pas.

Finalement, moi qui pensais qu’aujourd’hui ils en auraient peut-être marre qu’on les bassine encore avec l’actualité, il semble que peu de collègues l’avaient fait avant moi et qu’ils étaient vraiment en demande d’échange, pour mieux comprendre et parfois pour être conseillés.

Ceci dit , je n’ai pas les élèves les plus durs de l’établissement. J’ai l’impression que ça a du être plus compliqué en collège et en lycée pro.

Mais moi qui ai mal au ventre depuis vendredi, ces séances avec les élèves m’ont “allégée ” . J’aurais juste préféré que les preneurs d’otages soient pris vivants pour que personne ne puisse en faire des martyrs…

Maryse Broustail. Lycée, Aubergenville, 78

20) Bonjour,

Je suis prof au collège Michel Bégon dans la ZUP de Blois. La ZUP a connu quelques affrontements à la Toussaint dont vous avez peut-être entendu parler mais cela ne s’est pas trop ressenti dans le collège au retour des vacances. Après avoir enseigné 7 ans au collège Gustave Courbet de Romainville, je trouve donc que le collège Bégon est plutôt calme et apaisé.

Je me suis pris une belle claque mercredi à l’annonce de l’attentat et j’ai décidé de consacrer mes 5 heures de cours de jeudi à l’éducation-civique puisque je voyais 5 de mes 6 classes.

Pour parler de l’attentat aux élèves, j’ai apporté le numéro de Charlie de mercredi, le numéro de Libération de jeudi matin, j’ai utilisé l’interview de Plantu au JT de France2 le mercredi soir et j’ai la DDHC1789 affichée dans ma salle. J’ai vu 2 classes de 6ème, deux 5ème et une 3ème.

Avec les élèves de 6ème, j’ai choisi de partir de ce qu’ils avaient compris et là je me suis rendu compte que certains pensaient que Charlie était une personne, un dessinateur, qui avait été assassiné. Il a fallu que je leur montre le journal, que je leur explique qu’il y avait des gens derrière et qu’on ne peut tuer un journal. Certains avaient l’air assez choqués par la présence du numéro de Charlie et en même temps j’ai tenu à leur rappeler que ce n’était que quelques feuilles de papier inoffensives et qu’un dessin n’a jamais tué personne.

Les élèves qui ont pris la parole avaient bien compris qu’il y avait un lien entre les caricatures de 2006 et l’attentat. Il ressort de ces 5 heures de cours que les discussions n’ont pas forcément été plus virulentes en fonction de l’âge. Certains élèves de 6ème paraissaient parfois plus sensibles à des discours radicaux que des élèves de 3ème. J’ai identifié un-e à deux élèves par classe qui étaient visiblement confronté-e-s à une propagande intégriste. Je suis systématiquement parti de l’article 11 de la DDHC1789 sur la liberté d’expression et d’impression et sur le rôle de la loi pour punir les abus de cette liberté au travers d’un jugement. Je regrette d’ailleurs beaucoup qu’aucun des trois terroristes ne puisse être jugé.

J’ai pu identifier au travers des discussions qu’une minorité d’élèves qui s’exprimaient considéraient que les journalistes de Charlie l’avaient bien cherché. J’ai deux élèves de Sixième qui ont fait du cinéma lorsque j’ai montré Charlie car ils ont pris la caricature d’Honoré sur les vœux d’Al Baghdadi comme une représentation de Muhammad et ils ont détourné les yeux en disant que dans leur religion le prophète ne pouvait être représenté. Je leur expliqué en citant la Charte de la laïcité, que si en 5ème, un manuel d’histoire reproduisait une représentation de Muhammad, ils ne pourraient pas prétexter ne pas pouvoir la regarder pour ne pas participer à l’enseignement. Un autre élève a d’ailleurs dit que cela dépendait des religions et que dans d’autres on pouvait représenter le prophète.

Quelques élèves musulmans ont aussi critiqué l’intégrisme en disant que ce n’était pas cela l’islam, une élève de 5ème citant même Dalil Boubakeur. Je suis revenu aussi sur la charte de la laïcité et l’article 3 : “Chacun est libre de croire ou de ne pas croire.”

Une élève de 3ème m’a aussi parlé de Dieudonné en disant qu’elle ne comprenait pas que lui soit condamné et pas Charlie Hebdo. J’ai alors tenté une comparaison entre l’affaire de la couverture raciste de Minute sur Taubira comparée à un singe qui avait conduit à une condamnation et le procès des caricatures qui avait été favorable à Charlie. Il a fallu leur expliquer la différence fondamentale entre l’islamophobie et toutes les discriminations d’une part et la liberté d’opinion et d’expression qui autorise à se moquer des croyances sans discriminer les croyants.

Ce qui est bien avec Charlie c’est que l’on peut facilement argumenter sur le fait qu’il s’attaquait à toutes les religions sans distinction (cf la couverture de 2011 “Aux chiottes toutes les religions”) et qu’ils ont eu droit à des procès par tout le monde.

Le problème qui est souvent ressorti en revanche, c’est un traitement particulier de l’islam. Certains élèves musulmans étaient visiblement inquiets de l’amalgame entre islam et terrorisme. Dans toutes mes classes, j’ai insisté sur le fait que le principal risque était la montée de l’islamophobie qui risquait de se produire. Un élève venant d’une famille notoirement intégriste m’a parlé de remarques racistes dans la rue. Je lui ai dit qu’en cas de discriminations, il fallait porter plainte. Il a prétendu que les policiers n’auraient rien fait… D’autre part, des élèves ont parlé de croix gammées et de têtes de porcs dans des mosquées, ce qui s’est d’ailleurs passé à Blois l’année dernière. La responsabilité de l’extrême-droite est immense !

Par rapport au problème de la minute de silence, je ne suis pas du tout à l’aise avec l’empathie collective imposée mais je l’ai faite avec mes élèves de 5ème comme tout le monde dans le collège. A ma connaissance, il n’y a eu de problèmes avec aucune classe. En revanche, à 10h00, le Principal a décidé de réunir les élèves et les adultes dans la cour pour leur faire un discours et expliquer la minute de silence de 12h00. Cela fut tendu car 600 collégiens rassemblés s’échauffent vite et lorsqu’il a conclu par un “Nous sommes Charlie”, beaucoup d’élèves ont hué et sifflé. J’ai eu d’ailleurs plus de mal avec la classe de 6ème qui a suivi la récréation car ils n’ont pas compris cette formule qui est assez difficile à appréhender pour des collégiens.

Je n’ai pas eu de remarques sur la théorie du complot mais je me suis rendu compte que beaucoup d’élèves, y compris les plus petits, voyaient plein de trucs passer sur les réseaux sociaux. Un élève de Troisième avait vu des unes de Charlie assez choquantes, ce qui pose d’ailleurs le problème de notre façon de traiter des images pour adultes pour les expliquer aux enfants… Cela le confortait dans l’idée que les caricaturistes étaient allés trop loin. Un élève de 6ème a aussi comparé la cavale des deux terroristes au jeu GTA V. Il s’est fait proprement huer par les autres qui avaient bien compris que l’on n’était pas dans le jeu mais dans la réalité.

Que conclure de tout ça ?

Ce qui me paraît le plus fondamental est qu’il faut remettre les religions, et plus généralement les croyances à leur place dans la République.

En effet, des élèves non-musulmans mais croyants étaient d’accord pour dire que cela “ne se fait pas” de se moquer de la religion des autres. Je leur ai expliqué en remontant à la Révolution que la religion n’est pas au-dessus de la loi, qu’il n’y a pas de délit de blasphème en France. Je pense que c’est un des effets négatifs de l’acception contemporaine de la laïcité qui mélange religion et politique et qui est donc dépolitisée. La religion reste du domaine de la vie privée d’accord, mais il faut surtout que la loi domine sur les croyances puisque la République profane ne reconnaît rien comme sacré (Cf Daniel Bensaïd, Éloge de la politique profane).

J’ai été particulièrement sensible au texte de Pierre Serna, directeur de l’IHRF, sur les valeurs de la Révolution et en particulier sur la question du fanatisme religieux dans le contexte de l’attentat :

“La question du fanatisme religieux est au cœur de l’histoire de la Révolution et de ses luttes. La question de la liberté d’expression en est le moteur avec l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La laïcité en découle de la façon la plus rigoureuse qui soit.” https://ihrf.univ-paris1.fr/centre-de-documentation/controverses/nous-sommes-et-nous-resterons-des-femmes-et-des-hommes-libres/

D’ailleurs, l’interview mentionné mercredi matin dans la liste, sur la laïcité oppressive à l’encontre des musulmans m’avait proprement scandalisé. Le texte de P. Serna me semble être une réponse parfaite à cette attaque contre l’école et cette valeur républicaine émancipatrice qu’est la laïcité. Ce n’est pas parce que l’extrême-droite tente de récupérer la laïcité qu’il faut leur abandonner ce terrain. La laïcité, c’est le refus de toutes les transcendances (Cf Nicolet), de tous les extrémismes, politiques ou religieux et la garantie d’une pensée libre.

Désolé pour ce texte un peu long mais cela m’a permis de me mettre un peu les idées au clair pour essayer de dépasser le choc de mercredi.

Bon courage à toutes et à tous,

Jean-Charles BUTTIER, collège, Blois, 41

21)

Des petits 6ème qui pensaient que c’était une personne. C’est bouleversant tout ce que cela dit à la fois du matraquage de la formule, de l’absence de communication dans certaines familles et surtout de la précipitation irresponsable du ministère de l’éducation qui, une fois encore, accule des enseignants à participer à l’injonction au souvenir et à l’hommage d’un événement entrain d’avoir lieu et que tout le monde n’a pas eu le temps de digérer.
Il faudra vraiment faire retour sur ce qui vient de se passer.
J’aurais aimé que la ministre nous écrive de faire comme on le sent, à notre rythme, en fonction de nos forces et de la connaissance que l’on a de nos éleves.
Il y aurait sans doute eu moins de dérapages que ce que bassinent les journaux auj.

Laurence De Cock, lycée, Nanterre, 92

22)

Je souscris en totalité à cette phrase : “J’aurais aimé que la ministre nous écrive de faire comme on le sent, à notre rythme, en fonction de nos forces et de la connaissance que l’on a de nos élèves.” Il me paraît très important de faire un texte pour le signifier.

Vincent Casanova, microlycée, Paris

23) Une de mes élèves de seconde avait compris “je suis Charlie” comme “moi aussi je voudrais mourir comme Charlie” !!!!!

:(((((

Vanessa Mercier, lycée, Nanterre, 92

24)

Comme Christophe N. et J-C. B., je travaille en collège, dans un village près d’Aix. Ayant en charge 5 de mes 6 classes jeudi (2 4ème, 2 5ème et 1 6ème) j’ai consacré l’intégralité des séances à la question de la liberté d’expression.

Il me semblait important de venir en classe avec quelques billes pour positionner les éléments de la question, répondre aux éventuelles interrogations des élèves, déminer les angoisses et même parvenir à les faire rire avec des dessins de Charlie Hebdo. J’ai utilisé trois courtes vidéos rassemblées par notre collègue Emmanuel Grange dès le soir du 7 janvier, pour réfléchir à la question “Pourquoi des dessinateurs de presse ont-ils été assassinés ?”. http://lewebpedagogique.com/lapasserelle/2015/01/07/charliehebdo/

Ces séquences vidéos permettaient à la fois de marquer le caractère global de la liberté d’expression dans un contexte élargi (la bande annonce du documentaire “Caricaturistes, fantassins de la démocratie”) et de sortir des discours mortifères et/ou stigmatisants sous le seul angle de l’islamisme. Ensuite les deux autres vidéos donnaient la parole à Charb et à Cabu sur leur conception de la liberté d’expression et de la liberté de la presse. Il s’agissait de présenter deux des victimes emblématiques dans leur propre humanité, de mettre face aux élèves des visages et des idées sur ces deux noms.

J’ai rappelé les liens qui unissaient Charb et Cabu au monde de l’éducation et de l’enfance, en me souvenant par exemple comment Charb venait à nos congrès de Sud Education pour croquer en instantané les débats et nous faire gondoler de rire en rétro-projetant derrière les orateurs les dessins à propos de leurs prises de parole. Et je leur ai montré quelques dessins de Charb sur l’école pour les faire rire.

Il y a eu de la part des élèves beaucoup d’attention et de réflexions. A aucun moment, je n’ai ressenti de dérapages tels qu’ils ont été décrits dans les médias. La vidéo où Cabu était interviewé montrait notamment son célèbre dessin “aux chiottes, les religions”. On a fait un arrêt sur image dessus et sur quelques autres.

J’ai aussi rappelé que les premières victimes de ce genre de tueurs étaient les musulmans en Syrie ou ailleurs, pour mieux marteler la différence entre islam et une certaine catégorie de l’islamisme. Si j’avais eu le temps, je leur aurais montré une vidéo de Julien Jalal Eddine Weiss, le musicien maître d’oeuvre d’Al Kindi, qui est mort d’un cancer le 2 janvier dernier, histoire de montrer que toute religion peut être porteuse de vie et de beauté par des personnes pacifiques comme de mort et de laideur par des personnes violentes. Voir le Stabat Mater Dolorosa d’Al Kindi sur Youtube par exemple.

https://www.youtube.com/watch?v=SZT0egO3cvc

Enfin, j’ai proposé aux élèves de dessiner eux-mêmes sur le thème de la liberté de la presse ou de l’hommage aux dessinateurs de presse/caricaturistes. En option, si ils voulaient je leur ai proposé de faire aussi un dessin satirique sur l’école ou sur les profs, pour qu’ils exercent eux-mêmes leur droit d’expression sur quelque chose qu’ils connaissent bien. Il est assez significatif que sur les dessins recueillis ils ont très souvent représenté l’école comme une prison ou comme une cage et j’ai eu droit à un autre beau dessin d’un 6ème me caricaturant en jouant sur mon patronyme :)!

Je mettrai en ligne les dessins de mes élèves prochainement.

Pour la minute de silence (les cours se terminent à 12:15) le principal avait décidé de nous laisser nous concerter pendant la récré de 10:00 (en l’avançant et en l’allongeant même de 10 minutes). Il proposait que nous faisions la minute de silence dans nos classes, par crainte sans doute d’obtenir une réelle attention de la masse des 600 élèves. Par consensus, nous avons choisi au contraire de faire confiance aux enfants, de les rassembler ensemble dans la cour, étant attendu que les profs prendraient le soin de parler de Charlie Hebdo pendant la dernière séance du matin. Pour ceux qui se sentaient démunis ou sans préparation, nous avons partagé nos démarches, nos supports et nos idées. Et cela a très bien fonctionné. La minute de silence a été dense et particulièrement bien suivie par les gamin-e-s. Ils ont spontanément applaudi à la fin de la minute de silence. Comme quoi, il n’a pas été si difficile que cela de nous auto-organiser pour faire quelque chose de propre et de collectif dans l’urgence.

Vincent Mespoulet, Collège, Rousset, 13

25) L’article de Louise Tourret dans Slate mentionne « Les territoires perdus de la république », une référence pas particulièrement pertinente pour un bouquin peu documenté malgré la pub qu’on a pu lui faire et qui tourne autour de l’obsession de son auteur, Bensoussan, pour qui la source de tout mal est à chercher dans un antisémitisme des banlieues. Ce livre – et l’accueil peu légitime qui lui a été réservé dans les médias et chez la plupart des politiques – a sans doute contribué pour une bonne part à noyer les problèmes sociaux dans des considérations identitaires mal venues. Il n’était pas prémonitoire mais à côté de la plaque et j’imagine très bien, pour les jours et les semaines qui viennent, une campagne sur le thème : parce qu’elle n’apprend plus l’histoire de France à ses enfants, l’école a formé des barbares… On parie ?

Pour en revenir aux témoignages lus sur la liste et ailleurs, on conçoit très bien que les collègues soient désappointés par certaines réactions d’élèves mais c’est sans doute oublier une dimension du sujet : nos élèves sont des ados, l’âge de toutes les impertinences, de l’irrespect et de la provocation. S’ils sont insensibles à quelque chose, n’est-ce pas d’abord aux discours moralisateurs, aux rituels obligés ? Je persiste à penser que cette initiative de l’EN ne s’imposait pas, était même contreproductive : l’éducation à la tolérance, ce n’était pas jeudi à 12 heures parce qu’une circulaire l’exige mais c’est tous les jours, durant toutes les années de scolarité.

Bernard Girard, collège, Laval, 53

26) Bonjour,

Je suis d’accord avec Bernard Girard sur le fait qu’en collège nous avons à faire à des adolescents qui sont très souvent dans la provocation. C’est comme cela que j’ai ressenti la réaction des élèves dans la cour jeudi et c’est comme cela que je comprends les cavalcades mentionnées parfois au cri de “je ne suis pas Charlie.” Mais dans l’ensemble je reste optimiste sur le fait que la radicalisation ne concerne qu’une infime minorité. Par contre je suis inquiet devant le fait que certains élèves se retrouvent seuls devant des trucs immondes diffusés sur les réseaux sociaux.

Pour ma part, j’ai un souvenir assez pénible de minute de silence imposée. J’étais en 6ème au collège Jacques Decour à Paris en 1986. Nous avons observé une minute de silence à la suite de la mort de Malik Oussekine. Je m’en souviens encore et pas en bien. Je me souviens de la pesanteur et de réactions maladroites : nous n’étions que des petits de 6ème au collège depuis un trimestre et nous ne comprenions rien à rien. Je ne me souviens pas en revanche de profs qui m’aient expliqué le pourquoi du comment…

Je suis d’accord donc pour dire que l’éducation à la tolérance est quotidienne et doit faire appel à la raison plus qu’à l’affect.

Je m’attends à de nouvelles questions lundi par rapport aux assauts de vendredi et à la manif de dimanche avec les chefs d’États. Je suis assez sensible aux arguments de Luz qui dit dans les médias que ceux qui sont morts conchiaient tous les symboles ce qui fait réfléchir quant à la prétendue unité nationale que l’on nous vend.

Je pense dire aux élèves que Charlie n’était plus vendu qu’à 30000 exemplaires ces derniers temps (je ne le lisais plus d’ailleurs, surtout depuis l’affaire Val/Siné) mais que des milliers de personnes manifestent en souvenir d’un journal qu’ils ne lisaient pas. Pourquoi ? Qu’est-ce que cela nous apprend sur la place des valeurs dans la République ?

Au passage, que l’on arrête de dire que l’éducation-civique n’est pas de l’éducation-politique. Charlie Hebdo est un journal d’extrême-gauche. Les valeurs qu’ils défendaient sont celles des libertaires. Nous faisons donc de l’éducation à la politique, y compris en collège, en en parlant. Maurice Leroy a déposé un projet de loi pour interdire toute manifestation politique dans les lieux d’enseignement. Là je rigole vraiment.

Bon dimanche,

Jean-Charles Buttier, collège, Blois, 41

27) Je trouve tout à fait juste les deux remarques/ conclusions de Jean-Charles lorsqu’il écrit que

- La religion est affaire de politique et que face aux élèves qui se situent dans le sacré lorsqu’ils parlent religion, nous nous situons dans le politique. Lorsque j’étudie le Proche et le Moyen Orient (et notamment le conflit israélo-palestinien) en Tale… en ECJS ! je passe d’abord par un travail de distinction des facteurs religieux et politiques du conflit, distinction qui échoue en grande partie et qui amène ensuite une discussion avec les élèves pour tenter de mieux comprendre pourquoi la distinction est si difficile.

- Et donc, nous faisons, sans cesse, de l’éducation à la politique. Vouloir interdire cela est un simple non-sens. Je ne vois pas qui est Maurice Leroy, mais en ce qui concerne l’école, pardon, mais c’est un imbécile.

Je participe peu à ce fil pour deux raisons : aucun incident particulier signalé dans mon lycée (quelques dessins arrachés par d’autres élèves sans qu’on ne sache bien pour quelle(s) raison(s) exactement) et parce que je n’y étais pas jeudi. Par contre, vendredi, les élèves suivaient en permanence le cours des évènements (moi aussi entre deux cours) et je les ai trouvés très inquiets. En toute dernière heure de la journée, alors que je n’en avais pas parlé, mon petit groupe de classe euro m’a posé plein de questions. Je les ai sentis inquiets, désemparés. Et mes réponses n’étaient pas du tout “pédagogiques” : ils demandaient plus à entendre la voix d’un adulte qui les rassurerait. C’était assez étonnant.

Mathieu Ferradou, lycée, 28

28)

Bonsoir,

Je veux aussi vous dire Merci pour vos témoignages, souvent bouleversants, toujours en actes, et qui nous aident à mesurer, s’il le fallait, combien la liberté se construit et ne se décrète pas. Comme vous, j’ai entendu dans mon lycée de St Denis des réactions très intenses et très vives, mais jamais le dialogue n’a été rompu, et des petits cailloux ont été semés, que suivront d’autres petits cailloux dans les jours et les mois qui viennent. Nous aurons probablement d’autres dialogues à relater lundi, tant la séquence que nous traversons est intense. Comme Laurence, j’aimerais bien, en tous cas, que l’on continue à nous apporter mutuellement de la chaleur, de l’engagement professionnel, de l’humain qui s’ébauche. On est tous là. On fait un chouette métier, quand même.

Servane Marzin, Saint-Denis, 93

29)

Bonsoir,

Tout cela m’a amené à quelques réflexions. Pas simple.

Le débat reste ouvert

https://laurentfillion.wordpress.com/2015/01/11/lecole-nest-pas-forcement-la-cause-mais-doit-etre-la-solution/

Laurent Fillion, collège, Ardres, 62

30)

Bonsoir à tous,

J’en ai parlé a mes trois classes (2nde, 1ère, Tle L) et ça s’est bien passé, ce sont des classes plutôt faciles cela dit. Des discussions mais rien de pénible (du type “ils l’ont bien cherché”).

Mais en arrivant au lycée cet après midi, j’ai appris que ça avait été très compliqué pour plusieurs collègues confrontés à de nombreuses provocations d’élèves…au point que nous avons un après midi banalisé mardi pour discuter ensemble de la façon d’y répondre

Simon Grivet, Lycée, Alfortville, 94

31)

Bonjour à tous,

C’est le premier message que je rédige pour la liste…Après avoir parcouru les messages de la liste, je souhaiterais apporter un témoignage personnel. Comme certains le savent, j’enseigne les Lettres-Histoire au LP Timbaud à Aubervilliers. Suite à la une de Charlie “Charia-Hebdo”, j’avais eu des réactions dans ma classe et j’avais décidé de travailler sur la censure et la liberté de la presse. Ainsi, au lieu de me limiter comme les années précédentes à une séance dans le cadre du sujet d’étude “Construction de l’information” à montrer le documentaire “Sacrées caricatures”, j’ai décidé de mener un projet plus long avec deux séquences sur le thème. Dans ce cadre, j’ai invité Charb à venir conclure ce travail par un échange avec mes élèves. Charb est venu le 21 février 2013. Mes élèves ont pu échanger sans aucune censure. Certains ont pu dire que Charlie Hebdo les dérangeait, d’autres lui ont dit qu’il était islamophone. Mais tous ont ri des dessins et des caricatures, tous ont écouté Charb, tous lui ont réclamé un dessin à la fin de l’échange. Jeudi, je ne travaillais pas, Habitant à Aubervilliers, je suis allé au lycée. Les élèves qui avaient rencontré Charb m’ont prise dans leurs bras, ont pleuré avec moi et je suis restée avec eux toute la matinée. Ce sont deux classes que je n’ai pas cette année. La rencontre avait été filmée, ils m’ont demandé de la revoir. Mon chef m’a autorisée à les réunir le lendemain et de partager ça avec la classe que j’ai le vendredi matin.

Vendredi matin, je suis revenue, toujours touchée par ce drame car j’avais rencontré Charb au Lycée et que j’avais créé une relation avec lui. De plus, mon proviseur avait décidé de projeter les dessins que Charb nous avait laissés à la fin de la rencontre. Donc, dès l’arrivée au lycée, tout me remettait dans l’émotion liée à ce drame. J’avais cours d’Histoire avec une de mes classes de Seconde. J’avais apporté mon exemplaire du livre “Charlie Hebdo, les 20 ans” avec une dédicace personnelle de Charb. Sur la première de couverture, on a une caricature des trois représentants religieux. Certains de mes élèves ont tenu des propos dérangeants (je ne suis pas dans l’angélisme béat). Mais, je tiens à dire que le groupe classe a su m’écouter. Ils ont regardé le livre, ils ont ri de toutes les caricatures. Certains ont dit : “madame, c’est drôle, mais…”. J’ai rebondi, en leur disant “tant que tu en ris, c’est que tu sais bien que ta croyance n’est pas vraiment insultée”. C’est un des cours où je n’ai pas eu à faire le flic. Ils m’ont écoutéé, respecté ma douleur car je leur ai dit que je connaissais Charb. Je pleurais en leur expliquant les choses. Cette première heure s’est conclue par la remarque d’un de mes élèves très énervé au départ contre Charlie Hebdo : “mais madame, je ne savais pas qu’ils insultaient tout le monde dans leur journal ?”. Je lui ai demandé “tu savais quoi sur ce journal”. Il m’a répondu “ce que tout le monde sait sur l’Islam”. Je lui ai dit “et maintenant alors ? “. Il m’a répondu” Je suis Charlie”. Ensuite, j’ai réuni mes classes qui avaient rencontré Charb avec ma classe de Première Carrosserie. J’ai projeté la rencontre. Un moment de discussion à la fin a eu lieu par petits groupes dans notre grande salle de réunion au lycée. Un groupe d’élèves est resté après la sonnerie de 12h. Un élève continuait à dire “mais c’était un journal contre l’Islam, et ce sont ses camarades qui lui ont expliqué en quoi ce n’était pas vrai…” Je ne suis pas intervenue et j’ai laissé les élèves argumenter sans excés, avec douceur et intelligence. Je suis fière d’eux et je pense que c’est aussi ça nos élèves. La seule arme contre l’ignorance, c’est le dialogue, l’échange, la connaissance.

A titre personnnel, je n’étais pas toujours d’accord avec Charlie Hebdo, j’en avais discuté avec Charb car je suis musulmane et croyante. Mais, j’ai toujours su que le regard de Charlie Hebdo n’avait rien à voir avec le racisme de l’extrême droite.

Je tiens aussi à signaler que je refuse de me définir comme musulmane aujourd’hui et je suis allé à République mercredi comme citoyenne du monde, comme libertaire, comme ce que vous êtes tous… Je ne veux pas d’une étiquette identaire, je veux manifester ma colère comme Humaniste.

Désolée pour ce message très intime mais je pense que j’avais envie de mettre par écrit tout je que je vis depuis mercredi

Bien à vous

Farida Gillot, lycée professionnel, Aubervilliers, 93

32)

Chère Farida

Merci pour ce témoignage si personnel et bouleversant par la présence de Charb.

Je voulais vous poser une question: est-ce que le fait d’enseigner conjointement les Lettres et l’Histoire vous aide à pallier certaines difficultés de votre tâche ?

Bien amicalement à vous

Suzanne Citron

33)

Bien sûr que l’enseignement des deux disciplines facilitent les choses. On a plus de temps avec les classes et c’est une dimension très importante pour aborder les questions en profondeur. De plus, on peut se servir de l’une ou l’autre discipline pour compléter une séance ou séquence sur un sujet précis. Par exemple, dans le programme de première Bac Pro, j’aborde en Histoire le sujet d’étude ” Les femmes dans la société française de la Belle Époque à nos jours ” en lien avec celui de Lettres “Les philosophes des Lumières et le combat contre l’injustice”. Ainsi, je peux élargir le combat des Femmes notamment en utilisant la Déclaration d’Olympe de Gouges ou Condorcet ou encore travailler une oeuvre de NIki de Saint Phalle. Je ne peux tout faire en Histoire donc, je complète en Lettres.

J’ai commencé ma séquence sur les Lumières donc je vais bien évidemment utiliser cette séquence pour aborder la liberté religieuse et la liberté d’expression avec Voltaire, quelques caricatures du début du 20è. et de Charlie Hebdo. Je réfléchis à élargir ma séquence notamment en utilisant le film “Le Destin” de Youssef Chahine. J’ai jusqu’à vendredi pour monter quelque chose de pertinent. Malheureusement, en Histoire je suis sur les Femmes et je ne fais le Fait religieux qu’en mars. Donc, je pense que je vais utiliser quelques séances en Lettres pour préparer ma séquence sur la République et le fait religieux.

J’espère que je réponds à votre question Suzanne.

Farida, lycée professionnel, Aubervilliers, 93

34)

Oui, merci Farida, ce texte est vraiment très beau, il montre deux choses sans doute qui sont très importantes à exprimer à un moment où les médias pointent systématiquement du doigt, d’une façon pour le moins simpliste, les établissements où la population scolaire est en déshérence sociale:

1. l’importance de la construction d’une démarche pédagogique, qui ne serait pas que circonstancielle, l’importance du dialogue et de l’humanité

2. la grande disponibilité qu’avait Charb par rapport aux acteurs de l’éducation et qu’il a montrée à de nombreuses reprises dans des contextes différents.

Vincent Mespoulet, collège, Rousset, 13

35)

Bonsoir à tous,

J’ai vu mes classes jeudi (2nde, TS et TES) ou vendredi (1STMG), et nous avons fait la minute de silence avec les TS (largement respectée, à part quelques sourires qui semblaient plutôt une manière de cacher une gêne et qu’un regard appuyé a permis de calmer).

Je cherche habituellement à faire comprendre aux élèves tant en histoire qu’en géo (et bien sûr en ECJS) que ce qu’ils font au lycée n’est pas déconnecté de ce qui se passe à l’extérieur (au moins autant pour essayer de les intéresser que parce que j’en suis convaincu) et peut être lié de manière plus ou moins directe avec l’actualité. Je cherche à leur montrer que l’approche critique de nos disciplines peut s’appliquer à ce qu’ils peuvent voir et entendre par ailleurs et je n’imaginais donc pas faire cours comme si de rien n’était. Certes, je pensais d’abord consacrer une petite partie des cours à discuter des événements de mercredi et je n’ai finalement pas fait grand-chose d’autre quand je les voyais une heure en raison des discussions engagées.

À vrai dire, je suis allé voir les élèves plus comme citoyen et adulte que comme prof : pas d’analyse de caricatures, pas de retour historique de grande ampleur sur la liberté d’expression ou autre. Je voulais plutôt entendre ce qu’ils avaient à dire et répondre comme je le pouvais aux questions. Et surtout, je voulais entendre quelques horreurs prévisibles et pouvoir y répondre, pour ne pas laisser les élèves discuter en vase clos ou en ayant comme principale source d’info des sites internet ou les posts d’amis ou d’inconnus sur Facebook ou Twitter. Je voulais notamment désamorcer (autant que possible) les inévitables théories complotistes (et j’en ai eu, mais je passe sur Dieudonné même s’il a été très présent) et non faire une étude de documents d’histoire du temps présent….

Aucune réaction ouvertement favorable à l’attaque contre l’équipe de Charlie Hebdo. À l’inverse, beaucoup de réactions de rejet total de tels actes. Ce qui m’a un peu surpris c’est que le plus souvent elles se faisaient plus au nom de principes religieux qu’au nom de valeurs républicaines ou d’une simple humanité. Est-ce parce que les élèves qui se définissent comme musulmans ont intériorisé l’injonction faite à une supposée “communauté musulmane” de se “désolidariser des terroristes” ? Cela semble possible d’autant que dans mes classes de lycée de Créteil (où la part d’élèves qui se revendiquent musulmans est souvent importante) l’une des premières réactions, bien compréhensible, est de craindre une nouvelle augmentation de l’islamophobie.

Une interrogation : j’ai souvent eu le refrain du “vrai islam” tolérant et ouvert opposé au “faux islam” des islamistes, ou les phrases du style “ça n’a rien à voir avec l’islam”. J’avoue avoir beaucoup de mal à entendre cette idée de vérité appliquée à l’islam (ou à toute autre religion). Il est évident que je préfère que les élèves considèrent comme “vérité” une interprétation tolérante et humaniste de leur religion mais est-ce qu’accepter l’idée d’une “vraie religion” opposée à une “fausse religion” djihadiste, idée largement véhiculée ces derniers jours, ne pose pas un problème ?

Par ailleurs, une réaction très largement entendue (et déjà évoquée par d’autres) a été “je ne cautionne pas, mais quand même, les caricatures du prophète allaient trop loin”. Et en essayant de creuser un peu j’ai rapidement constaté que pour beaucoup la liberté d’expression devrait être largement limitée. Certains s’étonnaient que le blasphème ne soit pas condamné par la loi française (et le souhaiteraient). Je ne suis pas certain que les remarques de quelques camarades de classe et de moi-même sur l’importance pour la démocratie de la liberté d’expression (y compris et surtout à propos des religions) n’aient ébranlé les consciences… J’ai été frappé par le fait que la morale religieuse soit si importante aux yeux de certains et passe bien avant toute “valeur républicaine” (j’utilise ce terme pour aller vite). Alors quand ce sont ces mêmes élèves qui disent “je suis Charlie” on se dit que le slogan ne veut vraiment pas dire grand-chose et que l’”unité nationale” est une mauvaise blague.

Je ne vais pas m’aventurer dans des pourcentages mais c’est loin d’être un cas isolé. Certes, ce sont souvent les élèves qui intervenaient le plus ce qui peut fausser ma perception, mais j’ai la triste impression que les grandes valeurs dont il a beaucoup été question depuis quelques jours ne sont pour une part de mes élèves que du vent que l’on agite, notamment à l’école, mais qui ne les concernent pas plus personnellement que les dirigeants socialistes allemands du XIXe ou les flux d’IDE à destination de la Chine… Ce constat pessimiste ne fait que confirmer ce que j’ai vu et entendu depuis quelques temps, notamment en ECJS, à propos de la peine de mort, des droits des homosexuels, de la laïcité ou des intégrismes religieux. Il y a une déconnexion parfois profonde entre les valeurs républicaines que l’on porte en tant que profs (certes, chacun à sa façon) et celles de certains élèves qui n’y voient qu’une autre convention arbitraire à laquelle ils se plient au lycée parce qu’il faut bien le faire, mais sans trop y croire. Et je parle aussi bien d’élèves qui se définissent comme musulmans que d’autres qui sont orientés par leur croyance évangélique ou catholique. Je ne sais pas s’il s’agit d’un “retour du religieux” ou si c’est surtout moi qui découvre un monde qui n’est pas vraiment celui que je connais mais c’est bien compliqué d’argumenter face à un livre sacré…`

Dernière réaction surprenante venant de mes 1STMG vendredi matin : une bonne partie de la classe était d’accord pour dire qu’on (les profs ? la télé ?) en faisait beaucoup autour de cette histoire. En parler le soir et pourquoi pas le lendemain, mais encore deux jours après ?! Est-ce une simple habitude du rythme des médias dans lesquels une pseudo-exclusivité historique est vite remplacée par un non-événement en direct…? Pour finir sur une note moins défaitiste c’est peut-être aussi lié au fait que dans mon lycée les profs d’HG n’ont pas été seuls à évoquer plus ou moins longuement le sujet en cours ce qui pourrait expliquer une certaine saturation… Enfin, je vais essayer d’y croire.

Bonne semaine.

Axel Berra-Vescio, lycée, Créteil, 94

36)

Pour compléter j’ai été ébahie lundi par une classe de première très critique par rapport à la marché de dimanche. Questionnant la récupération politique, la présence de dignitaires internationaux qui ne respectent pas les droits fondamentaux dans leurs propres états. Enfin beaucoup de réflexions sur la présence du chef d’état dans une synagogue mais sans équivalent à la mosquée pour les victimes de l’islamphobie. Tout ça en dénonçant l’abjection des actes terroristes. Ce qui revient toujours c’est la légitimité des caricatures, le rapport à leur foi. On a aussi beaucoup parle du rôle de la presse sans la stigmatisation des élèves de seine st Denis…

Dans d’autres classes la théorie du complot politique reste difficile à combattre chez quelques uns. Beaucoup de doutes sur ce que relatent les médias mais aucune analyse critique face aux réseaux sociaux.

Bref c’est riche!

Bonne journée.

Laetitia Léon-Benbassat, lycée, Stains, 93

37)

Bonjour
En ce qui me concerne, je suis vraiment pas à l’aise pour parler des évènements, de Charlie Hebdo et de la liberté d’expression, et l’argument “oui mais Dieudonné bla bla bla” suffit à me faire taire. Dans ces cas-là, le mieux c’est de préparer et de laisser la parole aux élèves. Donc j’organise un débat la semaine prochaine. Le thème : “vous êtes journalistes au monde, en conférence de rédaction. La proposition suivante est faite : publier tous les mercredis pendant un mois une une de Charlie Hebdo à la place de la caricature de Plantu. D’accord ou pas d’accord ?” Pour préparer le débat ils doivent faire la une qu’ils proposeront à la conf de rédaction. Avec ce scénario, je voulais éviter des positionnements stigmatisants. Donc en étant membres d’un même journal, les participants partagent des valeurs communes : liberté d’expression, condamnation des attentats.
Pour l’organisation, on reprendra sans doute la même que celle qu’on a habituellement pour les débats et que les élèves connaissent (on a fait un débat en novembre sur le barrage de Sivens) : la classe est partagée en deux parties. Au milieu deux challengers et un élève qui attribue la parole, pose les questions. Derrière, les deux groupes. Le débat est noté. Toute la classe part à 10. Avec le tract ils peuvent avoir +/- 2 (- 2 s’ils ne l’ont pas fait, + 2 s’ils l’ont “bien fait”). Tous les élèves peuvent intervenir pour aider leur “challenger”. Chaque élève qui propose un argument pertinent gagne un point. Au cours du débat, je demande à certains élèves de changer de “camp”. Un élève filme (avec un smartphone) et réalise ensuite un montage de qques minutes (en général cet élève là a une très bonne note …).
Après le débat les élèves doivent rédiger un compte rendu. Ils peuvent discuter du débat, de l’intérêt de faire un débat, de l’intérêt de faire ce débat là, faire une caricature. C’est ensuite publié dans le journal du lycée. Les séances d’ECJS permettent de préparer le débat.
Voilà. Je vous raconterai. C’est mardi prochain.
Sophie Gaujal, lycée, Boulogne, 92

38)

Bonjour à tous,

Dans mon lycée de banlieue (Montrouge-Bagneux) qui accueille une population très métissée, nous avons été nombreux à mener des discussions en nous appuyant sur un petit dossier de 4 pages réalisé par un collègue de SES . Cela s’est plutôt bien passé. Pourtant nombre de nos élèves sont sensibles aux thèses Dieudonéo-soraleinnes, d’autres très religieux et braqués sur ces questions sans parler de l’éthnicisation des rapports sociaux dénoncée par le document 6 qui nous touche de plein fouet.

Les discussions ont souvent permis de dissiper des malentendus et de gagner la confiance de certains (certaines en fait) plutôt hostiles au départ. Bien sur tout le monde ne s’est pas exprimé et tout est loin d’être réglé mais plusieurs sont venus nous remercier et nous dire combien il leur semblait indispensable d’en parler, de mettre les choses au point sur la laïcité, la liberté d’expression, le racisme, les discriminations…

Bref, un peu d’espoir dans un océan de tristesse.

Olivier Barberousse, lycée, Montrouge, 92

39)

Je suis totalement favorable à cette mise en forme. Je n’ai pas vu mes classes le jeudi, mais assisté (dans le cadre d’un tutorat aide pro) au cours d’un collègue. Seulement quelques mots en intro, peu de questions des élèves. J’ai retrouvé mes collégiens le lendemain. Pas mal d’interrogations, un peu d’indifférence. Je me suis appuyé sur le travail d’Emmanuel Grange sur le web pédagogique pour expliquer simplement ce qu’était Charlie H, ce qu’est la presse satirique puis une mise en contexte sur le terrorisme. Avec des collégiens, l’essentiel était surtout de revenir sur les mots, leur signification. Dans l’esprit de l’excellent article d’Olivier Roy paru dans Le Monde (“La peur d’une communauté qui n’existe pas”), j’ai aussi accompagné la parole afin de lutter contre les amalgames, de chasser quelques idées fausses dans un établissement de Haute-Savoie lémanique où les minorités sont peu nombreuses et inversement très visibles dans le regard parfois teinté de racisme de leurs camarades.

Samuel Kuhn, collège, Bons en Chablais, 74

40)

“Oui mais quand même m’dame, Charlie Hebdo y z’avaient dit des choses pas justes sur les musulmans.”

Regards perdus de l’enseignante…

Je m’avance tranquillement vers l’enfant, il a 8 ans.

” Dis-moi bonhomme, comment t’appelles-tu?

- Farès.

- Ok, c’est quoi pour toi Farès “des choses pas justes”?

- Ben sur le prophète, fallait pas dessiner ça.

- Tu n’es donc pas d’accord avec ce que publiait le journal Charlie H, c’est ça?

- Oui moi je suis musulman et mes parents y z’ont été choqués par les caricatures.

- Pour tes parents c’était choquant donc. Et toi, quand tu es choqué, quand tu penses que les choses ne sont pas justes, tu fais quoi?

- Ben, je le dis.

- Et tu as bien raison d’exprimer ce que tu penses quand tu n’es pas d’accord, c’est ton droit hein?

- Ben oui!

- Là, c’est la même chose, entre adultes, quand il y a un problème de justice, on peut le dire, ça s’appelle déposer plainte. Ça évite de se tuer dès qu’on n’est pas d’accord ou qu’on se sent insulté.

- Ah, c’est bien ça

- Oui, c’est juste. Alors pour l’attentat et pour ces hommes qui sont morts tu penses que dessiner des caricatures ça vaut la mort?

- Ben non!

- Ok Farès, alors maintenant si je reprends ta phrase de début quand tu disais “oui mais quand même ils n’avaient pas à faire ça” moi je pourrais comprendre que tu trouves ça juste qu’ils soient morts alors que tu viens de me dire le contraire.

- Non c’est pas juste.

Alors comment tu pourrais redire une phrase pour exprimer plus justement ce que tu penses maintenant?

- Ben moi je suis musulman, je ne suis pas d’accord avec Charlie mais ça vaut pas de mourir.

- Ok Farès là tu t’es exprimé et tu as laissé à Charlie le droit de s’exprimer. Tu comprends?

- Oui M’dame!”

Ostiane Mathon, CE2, Paris

41)

Je suis arrivée le jeudi, très très mal.

Je les ai fait entrer et je me suis assise sur ma toute petite chaise, pour être à leur niveau et je leur ai dit : « Aujourd’hui on va parler. Est-ce que vous savez ce qui s’est passé hier ? Je m’excuse par avance, mais je risque de pleurer dans la journée, je ne pourrai pas faire autrement. »

Ils ont été ma catharsis ce matin-là. Vraiment. Leurs réactions spontanées, leurs questions (cf. les photos). Aucun débordement, aucun propos négatif, raciste ou de cet ordre. Un de mes élèves m’a dit que sa maman avait pleuré toute la journée. Un autre m’a apporté le lendemain le « petit quotidien » auquel il est abonné « Tiens maîtresse, c’est pour toi ».

Nous avons donc discuté pendant près d’une heure, puis je leur ai demandé de faire « un dessin pour Charlie », soyez drôles et impertinents. Ils ont tous produit quelque chose, et certains ont effectivement été drôles et impertinents J

Il y a eu la minute de silence, qui a été totalement respectée.

Depuis j’ai engagé un travail plus long sur toute la question de l’apprentissage à la citoyenneté (je travaille à mi-temps, sur la fin de semaine) : nous avons commencé avec la liberté de la presse.

Voilà, bisous.

Marie Gloris Bardiaux Vaïente, CM2, Bazeilles, 47

42)

J’ai pris ma classe de seconde samedi matin. Une classe qui condense à elle seule une misère sociale comme j’en avais rarement vu depuis 18 ans à Nanterre. Des mômes “insupportables” (me dit-on) souvent, dédoublés dans toutes les matières sauf la mienne, et dont j’ai le privilège d’être la professeure principale.

J’avais demandé à mes collègues de me laisser aborder le sujet avec eux.

Ce samedi donc, ils sont arrivés l’air d’être déjà passés à autre chose pour eux, et, moi, saisie par une immense tendresse.

j’ai commencé par leur expliquer ce que je souhaitais qu’il se passe :”nous allons essayer ensemble de mettre des mots sur un évènement, simplement parce que la conviction d ‘être au coeur d’un évènement qui se joue n’est pas si fréquente dans une existence, et que, dans la panique et l’urgence, partager des mots, identifier, nommer, aide un peu mieux à saisir des enjeux”.

Je leur ai promis une totale liberté d’expression, ils sont assez grands pour identifier les frontières de ce qui peut ou ne peut pas se dire. Je leur ai simplement rappelé la présence de la loi qui elle aussi fait barrage ; que je pourrais faire un “rappel à la loi” mais il ne serait qu’une manière de les ramener sur le chemin du dicible.

Je n’ai interdit que le rire, sans morale ; juste en leur expliquant que ça, c’est moi qui ne pourrais pas le supporter.

J’ai donc proposé à celles et ceux qui le souhaitaient de sortir s’ils avaient envie de rire. Tout le monde est resté.

Nous avons installé les tables en cercles rectangulaires (jamais compris cette image du cercle :-)) et je me suis placée comme eux, dans le rectangle.

I. s’est désigné comme distributeur de la parole.

I. a fait l’objet de deux signalements ASE depuis le début de l’année. C’est le seul dont je n’arrive pas à voir les parents. J’en suis à croire qu’il n’en a pas.

Je leur ai d’abord proposé un moment écrit, pour quelques minutes. Comme eux, j’ai écrit sur ma page blanche. Puis, j’ai triché aussi, j’ai regardé la feuille de mon voisin où il n’y avait qu’une seule ligne : “C’est un complot”.

Le débat a commencé. 10 premières minutes où je me suis cramponnée à la table, silencieuse. Tous en unisson m’expliquent pourquoi “c’est bizarre”… Je laisse dire, impuissante.

Ayant lu la veille tous les sites conspirationnistes, je savais exactement quels allaient être leurs arguments.

Mais j’avais promis la liberté d’expression.

20 gamins convaincus, 5 silencieux.

J’ai demandé la parole, expliqué calmement que moi je ne pensais pas qu’il s’agisse d’un complot. Je n’ai pas démonté un à un leurs arguments, ce sera pour plus tard, j’ai préféré tenter un pas de côté en leur faisant part de ma surprise de toute leur méfiance. Méfiance vis à vis de qui ? De quoi ? pourquoi ? Puis j’ai introduit un petit paramètre supplémentaire dans le débat : “ne pas dire “on”, ne pas dire “ils”, se forcer à nommer les acteurs.

Alors le débat s’est poursuivi sur la stigmatisation. “Regardez l’image que les médias donnent de nous madame !”

[NB : moment savoureux où je redemande la parole en leur demandant quelle image des journalistes auraient donné d’eux s’ils n’avaient assisté qu’aux dix premières minutes de débat ?]

Le racisme, l’islamophobie etc. Tout ça illustré par de très nombreux témoignages. Rien de bien nouveau, j’ai évidemment très souvent entendu ce genre de choses.

Nous nous sommes entendus sur un petit dénominateur commun : “Personne ne méritait la mort”.

Puis, la religion, la comparaison avec Dideudonné, l’humour, etc.

1h30 de débat que j’ai enregistré intégralement. Je ne sais pas encore ce que j’en ferai. Je le retravaillerai avec eux sans doute. Des passages sont tellement forts. Je me suis aperçue que j’oubliais les silencieux-ses.

S. l’un des grands bavards, les yeux rouges (pourquoi ? je ne sais pas, shit ou larmes, impossible de distinguer) a juste dit cette phrase si troublante :

“Mais moi madame, je ne sais pas quoi en penser”.

Oui, comme si tout le monde devait savoir quoi en penser hein.

Je suis sortie vidée et assommée surtout par leur sentiment d’impuissance. Ils sont convaincus d’un fatalisme qui fonctionne sur une tautologie assez inextricable : l’Etat (ils ne savent pas ce qu’est l’Etat, il faudra y réfléchir) ment mais l’Etat fait. Donc eux n’ont rien d’autre à faire qu’à attendre que l’Etat fasse mais l’Etat ne fera rien d’autre que mentir. CQFD. Inertie.

Voilà, c’est à réfléchir. Ce n’est qu’un début mais ça pose de solides jalons du chemin qui reste à parcourir.

Bonne journée

Laurence De Cock, lycée, Nanterre, 92

43)

Pour ma part , mes craintes étaient à la fois fondées , j’ai du faire face à certaines questions auxquelles je m’attendais, sur la comparaison avec Dieudonné, sur la méconnaissance de mes élèves de cet esprit charlie que certains élèves considèrent comme raciste , voir à des élèves qui considèrent que tous cela est une mise en scène orchestrée par les média, mais globalement la parole a été mesurée et constructive, mais hélas ce n’est pas aussi simple partout (voir le témoignage d’une prof de philo sur inter vers 19H 30 qui a du faire face à des élèves qui estiment qu'”ils” l’ont un peu cherché…).

Je continue de penser qu’il faut impérativement et collectivement bâtir un discours fort pour répondre à la Dieudonnéisation d’une partie de la jeunesse et à la banalisation d’un discours de haine chez certains élèves, je ne sous-estime pas non plus la part de provocation que contiennent ces discours mais cela n’explique pas tout…

JY Mas, lycée, 93

44)

(…) Pouvons-nous complexifier l’analyse sur une liste d’adultes, professeurs de sciences sociales ou devons-nous rester dans l’émotion ?

A mes élèves jeudi et vendredi, j’ai dit que c’était le vivre ensemble et la liberté d’expression qui étaient mis à l’épreuve et que l’école et ses enseignants se devaient de prouver dès le lendemain que, la micro-société qu’est une classe (certes pas mixte socialement) se devait d’éprouver ce vivre ensemble, que chaque élève avec sa grille de lecture personnelle/familiale, puisse , dans le respect de la constitution, parler et écouter ses camarades qui ne pensent pas forcément comme lui (et j’ai essayé d’intervenir le moins possible).

Je pense que c’est la même chose pour la mini-société que nous formons ici. Ce texte (écrit avant la tuerie) de cet ancien de Charlie, me semble éclairer nos discussions. Ai-je dit que ce que ce texte développe légitimait la tuerie ? Ou même permettait de la comprendre ? Non.

Je n’aimais et ne lisais plus Charlie depuis ce virage obsessionnel sur l’islam. Je pense qu’il faut se battre pour que Charlie et la presse en général puissent caricaturer les religions et leurs prophètes. Mais je souhaite garder mon esprit critique face à cette déferlante d’unanimisme que je trouve suspecte et dangereuse en ce qu’elle nous enferme dans le simplisme qui est dangereux si on veut éviter, à long terme, une fois passée la sidération collective, le basculement de «l’opinion » vers les extrémismes.

Certains s’étonnent que des adolescents, pour la plupart français ou nés sur le sol français, issus des catégories défavorisées de notre société, descendants de parents ou grands parents immigrés de culture musulmane disent « ils l’on bien cherché » ou « on refuse de faire la minute de silence ».

Personnellement ce qui me surprend c’est que cela étonne. Ne sait-on pas quel malaise frappe une partie de notre jeunesse ?

Ce qui m’intéresse c’est ce que fait la société (l’Etat, l’école notamment) pour intégrer ses jeunes, et pour ce faire il faut analyser ce qui, dans nos sociétés, fabrique de tels individus. Mythifier la ligne éditoriale de Charlie Hebdo me semble être un mauvais départ.

Je suis Charlie.

Anonyme, lycée, Strasbourg.

45)

Avec les 6e et les 5e, il a surtout fallu faire beaucoup de sémantique :
-expliquer que Charlie n’était pas un être humain mais un journal (et oui, ça a l’air idiot, mais pour eux, ce n’était pas évident) ;
-expliquer la différence entre arabe et musulman (surtout en 6e, mes 5e ont intérêt à le savoir !) ;
-faire comprendre à certains 6e que les frères Kouachi étaient français, que l’Islam n’était pas leur pays natal, ni un quelconque refuge étatique vers lequel ils fuyaient (on a même regardé le planisphère pour s’en convaincre !) ;
-rassurer des gamines dont certains parents vivent à Paris (surtout vendredi, journée hyper stressante, tout le monde était rivé à son smartphone) ;
-rassurer quelques élèves musulmanes qui commençaient à raser les murs. Elles ont pu trouver un grand réconfort auprès de leurs camarades de classe, dont une immense majorité se fout de Dieu comme de sa première culotte.

La minute de silence a été digne. Depuis, beaucoup d’élèves me montrent des images de la manifestation du 11via leurs smartphones. Certains ont même marché à Lens ou à Béthune. C’est une entrée comme une autre dans la citoyenneté active.

Pour ma part, je n’ai pas voulu, ou pas pu, engager un débat structuré avec mes classes. J’ai refusé l’idée même de débattre. On ne débat pas face aux meurtres. On les condamne, on tente d’expliquer leurs circonstances.

J’ai géré ça comme j’ai pu, en ravalant mes larmes, en expliquant pourquoi j’étais -nous étions, nous profs – à côté de nos godasses. Pourquoi, par exemple, la mort de Cabu, mon maître es-caricature, signifia mercredi après-midi la mort d’une partie de mon enfance. Pourquoi Wolinski a eu autant d’importance pour moi, le jeune ado si coincé (les 3e ont compris ça en rigolant). Pourquoi la voix atypique de Bernard Maris me manquera en ces temps de pensée économique unique. Ces séances m’ont fait penser aux enterrements organisées par ma famille d’origine polonaise. On pleure nos morts en parlant, en se souvenant, en riant.

Le temps des séquences savantes sur les médias viendra plus tard, dans quelques jours. Nous avons, tous, beaucoup de choses à digérer. Mais j’ai été fier de mes gamins, les élèves actuels comme les ancien(e)s, devenu(e)s parfois des ami(e)s. J’ai été fier de leurs réactions, en classe comme sur les réseaux sociaux.

Gabriel Kleszewski, collège, Sains-en-Gohelle

46)

Jeudi 8 janvier 2015 : comment aller au-delà du silence minuté ? 
Pendant 1 h 30, des élèves de 3e observent, commentent, réagissent, s’indignent ou rient des caricatures présentées suite à l’attaque des locaux de Charlie Hebdo.
Puis chacun en choisit une et vient écrire une trace au tableau autour du mot “caricature”.

Grégory Chambat, collège (classe d’accueil), Mantes la Jolie, 78

47)

Je travaille depuis 8 ans dans un collège classé REP+ – Etablissement Préfigurateur, dont je suis la coordonnatrice de réseau : j’ai une décharge de 9h et j’enseigne l’histoire-géographie-éducation civique en classes de 6è, 4è et 3è.

L’établissement est localisé entre deux quartiers populaires de la ville de Lyon, concentrant des populations pauvres et immigrées. Le collège présente les difficultés symptomatiques de ce type d’établissement : la sur-représentation des familles défavorisées, et donc l’absence de mixité sociale, voire l’absence de mixité socio-ethnique. Le Service Prospective et Statistique de l’Académie de Lyon indiquait environ 75% de familles défavorisées en 2010. Nous sommes dans un contexte de ségrégation à la fois sociale et scolaire : à peine 40% d’élèves admis en seconde générale, des résultats au DNB d’environ 60%.

Les conditions d’enseignement sont pénibles, mais avec un peu d’ancienneté, de la fermeté, des éclats de rire, une dynamique de projets, de l’ambition pour elles et eux qui en ont peu ou pas du tout, ça fonctionne bien … avec parfois un gros ras-le-bol.

J’apprends ce mercredi soir que Hollande a décidé pour le lendemain une journée de deuil national qui devra se traduire par une minute de silence dans les établissements scolaires: j’ai peur, peur de l’amalgame, peur des dérapages. Je suis lâche : puisque je commence à 13h30, je ne la ferai pas cette minute de silence et d’ailleurs je n’en parlerai pas à mes élèves. Mais impossible de ne pas y aller, de rester prostrée, de pleurer toute seule dans mon coin. Mais impossible de ne rien penser, de ne rien « préparer » : Emmanuel Grange propose des outils dont je m’inspire et je m’appuierai sur ce texte de Robert Badinter, « Les terroristes nous tendent un piège politique », paru dans Libération (7 janvier 2015). Mais il y a cette difficulté d’adapter mes paroles à l’âge des élèves. On verra bien, de toutes façons je n’arrive pas à réfléchir.

J’arrive au collège à 11h30. Mes élèves de 6ème dont je suis professeure principale sont … à la piscine. La principale m’interpelle: dans une classe de 3ème 5 que je n’ai pas, la professeure de SVT a montré des caricatures de Mahomet, pour expliquer, et les réactions ont été très violentes: entre les élèves, entre la professeure et la classe. La principale a dû intervenir et me demande de soutenir la collègue lors de cette minute de silence.

Je demande à ma collègue si elle accepte ma présence, fort peu légitime, dans son cours. Silence pesant lorsque j’entre dans sa classe, regards gênés entre élèves. Midi, j’explique aux élèves ce que nous allons faire ensemble, je lis un texte où il est question de république, de solidarité, de « contre le racisme », de je ne sais plus quoi. Je cherche à dissimuler mon immense tristesse: je pense que les adolescents sont trop submergés par leurs propres émotions, inhérentes à leur âge, pour avoir la moindre empathie pour les émotions des autres, des adultes et surtout des profs. Je bute sur chaque mot, j’ai la voix tremblante, ma collègue est en larmes à côté, les élèves sont surpris mais très calmes. Nous faisons cette minute de silence qui dure en fait bien plus longtemps, le temps que je me ressaisisse. Je les remercie. Un élève me dit : « Mais madame, c’est normal ». Nous les raccompagnons dans le hall du collège en silence. Globalement aucun incident n’a été à déplorer dans l’établissement pendant cet instant.

J’ai cependant quelques échos sur ma classe de 4è où certaines réactions ont été virulentes : je monte en classe la boule au ventre, si les choses se passent mal, l’année est foutue.

13h30, cours de 3eme 2. Etonnement de ma part : deux élèves de la classe de 3ème 5 me demandent s’ils peuvent assister à mon cours au lieu d’aller en permanence.

Dans cette classe, Ahmed (un vrai emmerdeur mais très intéressé) a fait l’analogie entre EI et les régimes totalitaires, lorsque nous avons travaillé sur les lois de Nuremberg et le pogrom de novembre 1938 en Allemagne, je l’ai entendu murmurer : « les Juifs en Allemagne, c’est comme les musulmans en France ». En même temps, il demande beaucoup d’explication hors-programme sur les Séfarades, les Ashkénazes, la diaspora. Nous sommes en train d’étudier l’Autoportrait au passeport juif de Felix Nussbaum après avoir travaillé sur le témoignage de Samuel Adoner (je n’ai jamais entendu la moindre réflexion choquante ou déplacée de leur part). Je leur dis que nous allons interrompre le cours pour revenir sur ce qui s’est passé hier. Jordan grommelle : « Ah ouais! on va encore chanter la République ». Je souris. Ça ne me choque pas. La provocation est trop évidente. Il est libertaire sans le savoir. Je lui dis que je vais essayer de leur expliquer ce qui s’est passé. Je leur dis qu’hier j’ai pensé à Théo qui m’avait dit en début d’année : « Franchement, l’histoire, ça sert à rien, ils sont tous morts ». A partir de là, nous échangeons dans un grand calme, avec parfois quelques rires étouffés de leur part (une façon d’évacuer aussi l’atmosphère pesante). Nous évoquons pêle-mêle : le journal satirique, ce qu’est Charlie Hebdo, la caricature, le 2nd degré, les caricaturistes, les terroristes, l’intégrisme, l’Islam, nous lisons le texte de Badinter, l’émotion suscitée qu’il faut décrypter (Je suis Charlie), la justice, la liberté de la presse, le risque de l’amalgame. Julien me demande pourquoi je n’ai pas montré de caricatures. Je lui explique que cela pourrait choquer certains de ses camarades qui sont de confession musulmane. Nous parlons du blasphème.

Et j’embraye sur les 6ème. Deux questions : qui est Charlie ? Pourquoi les terroristes ont-ils fait cela ? Rebelote. Je me rends compte que certaines élèves ont vu des caricatures et qu’elles ont été choquées. Je leur dis qu’elles ont le droit de l’être, nous évoquons entre autres la difficulté de comprendre un dessin bien plus que de comprendre un texte, la liberté de la presse, les débats nécessaires au fonctionnement de la démocratie : Hafsa me dit, « la presse, c’est comme l’Ecclésia ». Nous réfléchissons sur les différentes façons de pratiquer sa foi : l’intégrisme n’est pas l’Islam.

16h30-17h30 : 4ème . Je suis claquée. Je sens que ça va être dur : la professeure de français m’a prévenue. Ines est très virulente. C’est une classe digne des « héritiers » (le film), insupportable, parfois ingérable, violente, des élèves en grande souffrance, le niveau est très faible. Mais avec un projet à la Maison de la Danse, certains dansent comme des dieux (D’où : Spectacle Pixel de Mourad Merzouki, d’où Le Hip hop culture urbaine mondialisée – à venir – ), en rebondissant sur les idées/provocations : « et si on faisait le canal de Panama ? » (D’où étude de cas), « et si on parlait de la drogue dans le monde ? » (D’où la mondialisation de la criminalité – à venir- ). Bref, la « classe challenge ».

Ils entrent en classe dans un silence rare. Ils savent que nous allons EN parler. Je les laisse s’installer et je leur relis, dans un silence pesant, l’article « Torture » de l’Encyclopédie. Ils sont interloqués : « c’est bon, on l’a déjà fait », mais comme en début d’année, ils trouvent la sanction disproportionnée, « nulle », « ce sont des fous ».

– Moi : De quoi est mort le chevalier de La Barre ?

– Eux : ba, on lui a coupé la langue, on lui a arraché les bras, faut pas déconner, après ça on meurt

– Moi : non, non, et non

– Hadda : je sais !!!!!, il est mort parce qu’il a cru que la liberté d’expression existait.

Ouf. Je rebondis. Ines me coupe la parole : « c’est interdit ce qu’ils ont fait ». Et c’est reparti : liberté d’expression, islamistes/musulmans (« ha bon, c’est pas la même chose ? »), les différentes façons de croire, le rôle de la justice. Bouchra se lâche : « ils ont eu une fatwa, on les avait prévenu, voilà ce que j’en fais de votre liberté d’expression et de penser ».

– Mais tu as effectivement le droit Bouchra. Mais je peux porter plainte pour atteinte à la dignité humaine.

Dylan et Abelhamid se marrent : « 80 ans, c’est bon, il avait fini sa vie ».

La sonnerie retentit (ouf). Ils sortent. Sauf Walid, prototype de l’élève immature. Il attend que les autres soient tous partie :

– Madame, « Le coran c’est de la merde, il n’arrête pas les balles », ils ont écrit ça, ça ne se fait pas, ça manque de respect.

Je réexplique le contexte, le 2nd degré. Nous parlons de la représentation de Mahomet dans l’Islam, du blasphème, pendant une demi-heure. La conversation la plus intéressante que je n’ai jamais eue avec un élève de collège. Il n’est pas convaincu, mais il écoute, je l’écoute.

Cette journée est la plus difficile jamais vécue en classe. Mais à chaque fois, j’ai eu la nette impression qu’évoquer avec eux le risque de l’amalgame les soulageait, comme si, ils et elles étaient rassuré-e-s que leur prof ne se trompait pas, ne les confondait pas avec « les autres ».

Et le jour d’après :

Les élèves 3ème arrivent en classe en souriant, agréables, leurs regards sont presque tendres. Ils se mettent à bosser (Les espaces productifs, il faut le faire) comme ils ne l’ont jamais fait auparavant. Le cours est apaisé, comme s’ils me reconnaissaient une « légitimité », comme s’ils me remerciaient de leur avoir parlé de ces sujets graves, comme s’ils avaient compris à quoi servaient l’histoire et l’éducation civique. Une vraie complicité s’est établie.

Avec les élèves de 4ème , je suis plus mal à l’aise. Je fais le cours le plus nul que je n’ai jamais fait « Les moments forts de la Révolution française » (Dommage). A la fin du cours, une jolie surprise : dix élèves restent, se massent autour de moi, comme s’ils avaient des choses à dire, revenir sur l’heure d’hier. Encore cette impression de tendresse entre nous. « on a Bouchra » soupire Farès, « mon père, il pense comme vous, il lit Charlie d’ailleurs » (Walid, dont j’apprendrais qu’il était à la marche silencieuse ce dimanche, avec son père), « je suis Charlie, moi, madame … Morgiane, elle a pleuré » (Hadda). Tout doucement : « Et vous, madame, vous avez peur de quoi ? » (Adel). Je suis tellement étonnée, je lâche dans un souffle, les larmes aux yeux : « Mais j’ai peur pour vous ». Car les « musulmans de France », pour moi, ce sont des milliers de gamins avec qui je travaille depuis 15 ans.

Et les mois d’après :

Le programme de 3ème me permettra largement d’utiliser à de nombreuses reprises des caricatures de Charlie et même l’histoire du journal. Quant aux 4ème, nous commençons le cours sur les libertés la semaine prochaine… La compréhension de ce qui s’est passé doit être appréhendée comme un processus, notamment multiplier les angles d’approche en histoire et en éducation civique. Après l’urgence, la détestable impression de tout dire et de ne rien dire, la nécessité absolue de réfléchir.

Isabelle Bourdier-Porhel, collège, Lyon

48)

Bonsoir,

je n’avais pas cours jeudi, mais les collègues m’ont expliqué que la proviseur avait rassemblé tous les élèves dans la cour pour une minute de silence à 9h et leur avait adressé quelques mots au micro, pas des plus habiles ni des plus intelligibles.
L’élève président du CVL a demandé à chanter La Marseillaise, qui a apparemment été reprise (dans quelle proportion ?)…

Lorsque j’ai appris cela aujourd’hui, j’ai exprimé ma surprise et mon désaccord à ce propos auprès des collègues présent-e-s : quel rapport entre La Marseillaise, hymne certes national mais néanmoins guerrier, surtout dans le contexte actuel (“qu’un sang impure…”, etc.), et l’expression d’une quelconque émotion ou d’une quelconque manifestation de solidarité envers la liberté d’expression ? Quid du risque de réaction nationaliste et d’amalgame islamophobe et xénophobe ? Quid de l’universalité des valeurs à défendre ? Quid, au moins, d’une discussion après coup entre les profs présents et les élèves sur le sens de ce chant dans les circonstances du moment (facile à dire, je sais, j’y étais pas…) ?
Je leur rappelle que les tentatives pour entonner La Marseillaise mercredi soir à République ont vite été découragées par la masse des participant-e-s car c’était un contre-sens total et dangereux.

Deux collègues se récrient littéralement : c’est normal que les élèves aient pensé spontanément à ça, c’est l’hymne national, tout de même ! D’ailleurs, on ne le met plus assez en valeur aujourd’hui à l’école et c’est bien dommage, même si les paroles, bon…

Comme quoi, il est grand temps que la réflexion de fond reprenne le pas sur l’émotion et le compassionnel, d’abord auprès des adultes et des éducateurs-trices !

Sinon, j’ai consacré une heure au sujet avec mes 2ndes aujourd’hui – après être moi-même sortie de l’abattement et avoir repris un peu de poil de la bête, donc de capacité à expliquer et à écouter.
Devant l’absence de réactions spontanées à la très bête question “que souhaitez-vous dire sur ce qui s’est passé ou sur ce que vous ressentez ?”, je leur ai distribué comme base de discussion un article de Mediapart revenant sur les 10 années de polémique qui ont conduit à l’attentat contre Charlie Hebdo, caricatures incluses.
Aucune réaction outrancière ni intolérante. Une attention et une écoute mutuelle rares dans cette classe très potache, même si seule une minorité d’élèves a pris la parole. Voici brièvement ce qui a émergé de la discussion :
– ça devait arriver depuis un moment, ce n’est pas étonnant car la police sait qu’il y a des “personnes comme ça” qui préparent “ce genre de choses”
– des caricatures qui choquent les croyants (musulmans et chrétiens)
– on ne peut pas se moquer des religions, ça ne se fait pas.
Mais aussi :
– refus de l’amalgame (là, c’est surtout moi qui ai parlé)
– les terroristes ne sont pas de vrais musulmans et font du tort aux musulmans du monde entier. Ce sont des fous.
– on n’a pas le droit de tuer dans l’islam.

J’ai projeté et commenté un numéro de L’Assiette au beurre de 1905 sur le Vatican, violemment anti-clérical, afin de montrer dans quelle tradition bien française s’inscrivait Charlie Hebdo, à la différence des pays anglo-saxons. Pas sûr qu’ils aient bien compris le rapprochement, mais bon, j’aurais essayé.
http://www.assietteaubeurre.org/vatican/vativan-f1.htm

Pour finir, au chapitre peur et théorie du complot :
– il va se passer quelque chose dimanche, c’est sûr ! (Ricanements et exclamations mi-excités, mi-gênés)
– d’ailleurs, un “compte à rebours” a été lancé sur les réseaux sociaux mais on sait pas ce que c’est…
– un ou deux élèves disent quand même qu’on peut aller manifester dimanche pour montrer qu’on n’a pas peur.

Quelques élèves restent autour de moi à la fin de l’heure, sans avoir quoi que ce soit de précis à dire pour la plupart, comme si les mots leur manquaient pour le moment.
Echange à mi-voix entre élèves sur le pas de la porte : “Moi, je suis pas Charlie, et toi ?”, “moi je suis Untel, je suis pas Charlie !”.
Donc une injonction moutonnière, excessive, contraignante en effet pour beaucoup, comme vous l’avez si justement signalé au début de ce fil.

Demain, classe de Terminale, où j’ai 1 ou 2 “clients” dont je me méfie.
Les réactions de chacune et chacun sur la liste fournissent des pistes de réflexion voire des propositions intéressantes pour se sentir moins démunie face à des réactions parfois imprévisibles. Merci.

Carine Gabayet, lycée, Colombes

49)

Bonjour à tous,

1) Jeudi dernier, soit le lendemain de l’assassinat de l’équipe de Charlie Hebdo, je n’ai pas tenu à en parler avec mes élèves, ou plutôt je n’ai pas voulu que les élève débattent de l’événement. Je leur ai simplement dit en une phrase que j’étais horrifié par ces meurtres…

Le lundi suivant, j’ai laissé les élèves dont je suis PP en parler librement lors de l’heure de vie de classe. Le débat fut calme et plutôt ennuyeux au bout d’une demi-heure : la quasi-totalité des élèves n’avaient rien à dire sur le sujet et moi je n’avais pas vraiment de billes. Bref, une séance un peu ratée comme tant d’autres…

2) Des collègues qui souhaitaient aborder le sujet avec les élèves avaient dès jeudi commencé à préparer un document collectif avec des Unes de Charlie, des citations des dessinateurs et des extraits de textes sur la liberté d’expression. J’avais averti mes collègues que je ne me joindrais pas à cette initiative, car j’avais un désaccord de fond avec Charlie Hebdo dont je considère nombre de ses dessins comme au mieux remplis de haine et de mépris envers les religions et leurs adeptes, au pire tout simplement islamophobes. Mes propos ont jeté un petit froid mais bon, je ne vois pas pourquoi on se devrait, en classe, de montrer des dessins, qui de mon point de vue, piétinent les croyances et tournent en dérision les croyants. Je précise tout de suite que je n’ai cessé, à chaque phrase, de préciser : « les assassins sont des salauds » ou « ce sont des criminels », etc. parce que c’est évidemment ce que je pense mais aussi parce qu’avec mon nom, il me fallait peut-être, plus que d’autres, montrer patte blanche.

3) Les jours passent : la manif, ma séance du lundi avec ma classe (cf. plus haut), mardi, mercredi… Mercredi soir, je me décide à consulter le fichier créé pour l’occasion par mes collègues : et là stupeur ! Non seulement ils avaient mis des unes que je trouve pariculièrement insultantes, mais ils avaient inséré une Une intitulée : « Shoah Hebdo ». Or pour ceux qui ne le savent pas, cette Une est une « parodie » antisémite de la Une Charia Hebdo avec comme titre : « 1 million de rabais sur les 6 en échange de la Palestine ». Cette Une a été concoctée par Joe Le Corbeau, un dessinateur soralien et dieudonniste, qui a été condamné pour avoir fait une quenelle devant l’école où Mohamed Merah a assassiné des élèves et des professeurs juifs.

Bref, mes collègues, pour « prouver » que Charlie riait tout autant des juifs que des musulmans et des chrétiens, ont diffusé de la propagande soralienne…

J’ai immédiatement envoyé un mail à ces collègues en leur donnant les informations que j’avais sur cette Une.

Quelle morale tirer de cette semaine ?

A / Les élèves ont été choqués mais l’injonction à débattre n’a pas eu beaucoup d’effets (ou c’est moi qui n’ai pas su m’y prendre…)

B / Les plus craignos ne sont pas mes élèves, ce sont les profs dont aucun n’a lu régulièrement Charlie Hebdo. Je suis le seul à l’avoir acheté régulièrement (j’était même abonné dans les années 1990). Ils se sont emparés du sujet et ne connaissant pas la ligne éditoriale du journal ont cru bien faire en voulant montrer que Charlie se moquait autant des juifs que des musulmans, etc.

C / Ces « analphabètes politiques » (Brecht) ne savent donc pas distinguer une Une de CH d’une Une d’extrême-droite… Telle fut ma 1ère réaction, à la fois effaré et choqué que la différence entre les 2 Unes ne soit pas perceptible par des adultes ayant fait des études supérieures…

C / Puis je me suis dit qu’au fond, cela révélait peut-être une vérité : finalement, entre une caricature islamophobe (du vrai Charlie Hebdo) et un détournement antisémite de cette caricature, n’est-ce pas normal, au fond que les gens ordinaires, je veux dire la majorité des gens, les non-lecteurs de Charlie, ne puissent pas faire de différence ? C’est normal mais inquiétant : aucun de ces racismes n’a été repéré comme tel par mes collègues qui étaient d’une part choqués que je leur dise que Charlie Hebdo était raciste et qui d’autre part, n’ont pas vu l’antisémitisme de la fausse Une.

5 / Ce matin, à l’issue d’une discussion sur ce sujet, une collègue m’a fait la remarque suivante : « finalement, si c’était pas Charlie Hebdo qui publiait ces caricatures, on aurait dit que ces dessins étaient racistes »…

A méditer !

Anonyme, collège, Paris

50)

Bonjour,

si j’apprécie très souvent la qualité des échanges et des interventions sur le site du groupe de réflexion, je n’ai pas souvent l’habitude d’écrire sur cette liste. Pourtant, en ce moment, le besoin d’échanger sur nos pratiques est d’autant plus fort et je te remercie d’ailleurs Laurence pour l’article paru sur le site d’aggiornamento. Je n’en peux plus d’entendre les remarques alarmistes sur les jeunes qui seraient livrés à eux mêmes et dont les interviews express illustrent le prêt-à-penser de l’info continue plutôt que de poser les vraies questions, la pédagogie et les réponses sur le temps long apportés dans nos classes.

Je ne suis pas pour autant dans un angélisme béat et j’ai tout de suite pensé aux élèves qui m’avaient interpellé en collège l’an dernier encore, suite à l’interdiction du spectacle de Dieudonné à Nantes. Il y aurait alors, selon un élève, deux poids deux mesures en France mais à qui profite les théories conspirationnistes? Il semble aussi que ce soit sur ce terrain que le dialogue avec les élèves et entre eux puisse être fructueux.

Pour ma part,aujourd’hui, j’ai choisi d’aborder la caricature de Plantu en début de cours datée du Monde de vendredi et faisant référence au tableau de Delacroix. Ensuite j’ai essayé de remettre en perspective la caricature avec la bande-annonce du docu « caricaturistes, fantassins de la démocratie » (je n’ai malheureusement pas pu mettre la main sur le docu en entier). Nous avons ensuite vu l’histoire du journal depuis 1970 et depuis 1992, nous avons vu que ce journal satirique a connu des procès depuis 1992 d’abord de la part des partis d’extrême-droite, des associations catholiques et des médias (http://abonnes.lemonde.fr/societe/article/2015/01/08/charlie-hebdo-22-ans-de-proces-en-tous-genres_4551824_3224.html) pour faire comprendre à des élèves étonnés que le journal s’attaquait à tous les symboles de l’autorité politique, religieuse, familiale dans un ton libertaire qui s’inscrit dans l’après-mai 68 et dans le climat ambiant de censure. Les élèves étaient surpris par le grand nombre des procès. Seul un élève m’a demandé si des associations juives avaient porté plainte et j’ai avoué mon ignorance sur ce point tout en lui rappelant la moquerie à l’égard de toutes les religions; de quoi ce genre d’insinuations est-elle l’expression? J’ai peut-être la réponse mais c’est à nous de ne pas tomber dans cette concurrence ou cette confrontation des mémoires et des souffrances.

Dans la suite, nous travaillerons sur la liberté d’expression et ses limites à partir des textes de lois fondateurs, des débats concernant Dieudonné mais aussi sur le spectacle Golgotha Picnic, les débats qui se sont fait jour sur l’islamophobie de Charlie Hebdo et le départ de Philippe Val en 2011. Cette séance est encore en cours de construction mais au risque de donner le sentiment aux élèves d’éviter les questions, je pense qu’il faut essayer d’y répondre, y faire face et surtout leur donner les moyens de se renseigner et de s’informer.

Enfin, certains collègues ont commencé à m’évoquer que cette théorie conspirationniste est remontée à leurs oreilles via une minorité d’élèves; je serai aussi intéressé par le travail de Servane et prêt bien sûr à échanger sur le sujet. J’avais déjà rencontré cette théorie du complot lors d’un cours de 3ème sur la « géopolitique post-guerre froide » en abordant les attentats du 11 septembre et, mis à part le renvoi sur un site de rue 89 http://rue89.nouvelobs.com/desintox-11-septembre-2001/2009/02/04/le-vrai-et-tous-les-faux-complots-du-11-septembre , je m’étais retrouvé assez impuissant. La seule chose à laquelle l’élève avait été sensible c’est que je n’avais pas balayé ce qu’il disait d’un revers de la main mais lui ai dit qu’il fallait agir en historien qui fait un travail d’enquête et a besoin de preuves et non partir d’une théorie pré-conçue à justifier a posteriori. Dans le cas de Charlie Hebdo, il semble pour le coup que ses théories conspirationnistes se soient propagées très vite.

Je ne veux pas non plus laisser de côté l’islamophobie ambiante et rampante depuis plusieurs années et vous renvoie vers deux articles, écrits avant les attentats de janvier 2015:

- http://blog.mondediplo.net/2013-11-05-L-islamophobie-Le-Monde-et-une-petite-censure

- http://lmsi.net/Pour-la-defense-de-la-liberte-d

Enfin, ce site m’a permis de voir un dessin d’Uderzo que je trouve scandaleux sur le Brave Astérix donnant un gros coup de poing à un type en babouches… Bref, j’aimerais bien faire mon boulot de prof : après l’émotion la réflexion…

Un peu confus sûrement, en tout cas je m’interroge…

Merci à tous pour vos messages qui participent de cette saine réflexion.

Et cette phrase glanée sur France inter ce week-end qui serait de Camus « Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l’ignorance. »

Défendin Détard, lycée, Noisy-le-grand (94)

51)

Bonjour,

Je suis avec attention les échanges d’Aggiornamento et suis tout à fait d’accord avec ta proposition. J’ai juste du mal à oser franchir le pas de la publication de mon opinion en ligne…
Pour ma part, je t’envoie le document que je soumets à tous mes élèves depuis hier. Nous y passons 45 mn environ avec chaque classe:

1) 15 mn où j’expose la gravité de la situation à Charlie pour la démocratie: par le biais de la liberté d’expressionpuis par celui de la nécessité de l’humour en démocratie.

2) Temps de questions éventuelles (ils n’y en a presque aucune)

3) Lecture du “Discours à la jeunesse” de Jean Jaurès (que j’ai retravaillé) phrase par phrase, par chaque élève à son tour et à voix haute…

Ça fonctionne: ils sont attentifs, sérieux, émus, concernés et sans voix…

Bises,et belle année malgré tout, :-)
Stéphanie Maffre, lycée, Toulouse

 

[1] http://www.education.gouv.fr/cid85394/mobilisons-l-ecole-pour-les-valeurs-de-la-republique-discours-de-najat-vallaud-belkacem.html

[2] http://rue89.nouvelobs.com/2015/01/13/jenesuispascharlie-les-profs-savent-comment-reagir-257067

[3] http://www.gouvernement.fr/partage/3118-seance-speciale-d-hommage-aux-victimes-des-attentats-allocution-de-manuel-valls-premier-ministre

[4] http://www.vousnousils.fr/2015/01/14/incidents-dans-les-ecoles-reactions-politiques-560725

[5] http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/01/13/comment-avons-nous-pu-laisser-nos-eleves-devenir-des-assassins_4555061_3232.html

[6] La page dédiée sur le site du Ministère ne donne à voir qu’une compilation de photos et en aucun cas le processus qui a conduit aux réalisations : http://www.education.gouv.fr/cid85323/-jesuischarlie-les-eleves-reagissent.html

[7] On pourra lire celui d’un prof d’anglais ici : http://blogs.rue89.nouvelobs.com/monsieur-le-prof/2015/01/14/mon-dialogue-avec-les-eleves-propos-de-charlie-hebdo-234073

[8] http://eduscol.education.fr/cid85297/liberte-de-conscience-liberte-d-expression-outils-pedagogiques-pour-reflechir-avec-les-eleves.html#lien0

[9] Voir notamment le témoignage ci-dessous de Farida Gillot, message 31

 

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