mardi 17 décembre 2019

Lors de la séance de lancement du Club des convivialistes, le 18 janvier à Paris, deux interventions liminaires ont servi à lancer la discussion.

 Intervention d’Alain Caillé

 « Dans le vaste champ des alternatives au monde néolibéral qui se cherchent, quelle est notre spécificité ? Qu’est-ce qui nous permet de croire que nous avons une chance, même petite, infime, mais qui vaut la peine d’être tentée, d’aller plus loin que d’autres, avec eux, de les et de nous aider les uns les autres à avancer ?  À quoi peut bien servir un Club convivialiste ? Il me semble que notre spécificité  tient à deux points, l’un qui concerne le fond, l’autre la forme ou ses modalités de fonctionnement.

 Notre spécificité quant au fond

Quant au fond, l’élément déclencheur qui a présidé au lancement du convivialisme est la conviction qu’une des raisons essentielles de l’impuissance à imaginer et à faire naître un monde post-néolibéral, une raison jamais clairement identifiée et nommée, tient à la difficulté de coordonner, tant localement qu’à l’échelle nationale, européenne ou mondiale, les multiples tentatives ou initiatives qui se cherchent un peu partout – celles, par exemple, dont le film Demain donne une illustration si vivante et réussie. Pour être efficace une telle coordination doit pouvoir s’opérer à des échelles les plus vastes possibles. Potentiellement, c’est à l’échelle du monde qu’il faut espérer une mutation de l’opinion publique, un renversement de toutes les valeurs aujourd’hui dominantes, de tous les allants de soi néolibéraux.  Sans une telle mutation, sans la mise en évidence qu’il est possible de vivre autrement et mieux que sous le règne du néolibéralisme et que cette perspective est la seule chance d’éviter des catastrophes, toutes les initiatives alternatives resteront éparpillées et impuissantes à inverser le cours, très probablement dramatique, de l’histoire. Au mieux, on obtiendra des succès partiels et temporaires, mais jamais décisifs.

Quel type de coordination est-il permis d’espérer entre tous les porteurs d’un avenir post-néolibéral ? Assurément pas celle qui passerait par une organisation bureaucratique. Non, la seule forme de coordination envisageable est ce que j’appelle une coordination symbolique, une coordination par des valeurs et des symboles, i.e. des signes de reconnaissance partagés. C’est à une première définition de ces valeurs partageables, universalisables ou pluriversalisables qu’a procédé le Manifeste convivialiste. La suite des discussions a montré que les quatre principes convivialistes identifiés dans le Manifeste sont pertinents. À la réflexion, on s’aperçoit qu’ils rappellent les valeurs cardinales sur lesquelles se sont fondés les quatre grands discours de la modernité, respectivement le communisme, le socialisme, l’anarchisme et le libéralisme. Une des raisons de notre désarroi (et de l’hégémonie du néolibéralisme) est que ces quatre grands discours ne sont plus en phase avec ce que nous vivons. Ils ne nous permettent pas de poser correctement les problèmes nouveaux et colossaux qui s’ouvrent devant nous : comment faire face à la finitude de la planète ? Au déchaînement de l’hubris ? À la nécessité d’organiser une société post-croissantiste, une société de prospérité sans croissance ? Au défi d’aménager la coexistence mondiale entre cultures, idéologies et religions qui tirent souvent dans des directions opposées, ne serait-ce que parce qu’elles définissent différemment les rapports entre les sexes et les genres, ce que les hommes doivent aux femmes et réciproquement ? À la difficulté de sauvegarder un idéal humaniste actualisé  dans un contexte de montée en puissance exponentielle de l’intelligence artificielle et de la robotisation, etc. ?

Le mérite du convivialisme, je crois, est, quant au fond, de pointer du doigt l’absolue nécessité de fondements  théoriques et idéologiques radicalement renouvelés.

 

Notre spécificité quant à la forme

Quant à la forme, qu’est-ce qui permet d’espérer que ceux qui se réclament du convivialisme aient une quelconque chance d’avancer dans cette direction Plusieurs raisons permettent de nourrir des espérances.

Le fait que le noyau initial des convivialistes ait été composé d’intellectuels (alternatifs) professionnels est un avantage qu’il convient de ne pas sous-estimer. Les dits intellectuels professionnels ne sont pas nécessairement plus intelligents que d’autres. En termes sociologiques on pourrait même les soupçonner d’avoir une vision sérieusement tronquée, biaisée et étriquée des problèmes sociaux en raison de la place partiellement privilégiée qu’ils occupent au sein de la société et d’un habitus qui les pousse aisément à prendre les concepts pour les choses et leurs désirs pour des réalités. Mais, un premier avantage – outre le fait qu’ils savent écrire et mettre en forme des idées -, est qu’ils se connaissent les uns les autres à travers leurs écrits et peuvent donc se cordonner plus facilement que d’autres groupes sociaux. Le deuxième avantage est que leurs écrits sont lus par un public plus ou moins vaste et qu’ils exercent donc une influence non négligeable sur la formation de l‘opinion publique. Par ailleurs, les intellectuels mobilisés dans le convivialisme ne sont pas des intellectuels en chambre, coupés de la pratique, des universitaires n’ayant en tête que leurs chères études. Tous, à des degrés divers, sont aussi des militants, impliqués dans les mouvements sociaux et dans les multiples associations qui composent ce  que l’on pourrait appeler la société civile, ou, mieux, la société civique associationniste[1]. Cette implication les prémunit en partie contre la cécité structurelle des intellectuels.

Avec la création du Club des convivialistes, deuxième raison d’espérer, ce lien entre conceptualisation  et pratique devrait s’affirmer de manière décisive puisqu’il a vocation à recruter ceux qu’on pourrait appeler des intellectuels non professionnels, ou encore des intellectuels pratiques,  issus de toutes les sphères de la vie sociale. Un des objectifs du club pourrait être de tester, grâce à eux, la possibilité de rédiger des chartes de bonne pratique convivialiste pour tous les secteurs d’activité qu’ils représentent[2], sur le modèle, par exemple, de ce qui a déjà été fait dans le domaine du sport amateur (www.lesconvivialistes.org/societe-civique/les-reseaux-amis-2/148-grande-premiere-une-charte-du-sport-convivialiste). Plus généralement, grâce à cette circulation entre idées, pratiques et valeurs, le Club pourrait s ‘assigner comme objectif de rédiger, d’ici deux ans par exemple, un Second Manifeste du convivialisme qui, à la fois, approfondirait considérablement tout un ensemble de considérations théoriques seulement effleurées dans le Premier Manifeste, et ferait des propositions de réforme concrètes dans de nombreux secteurs d’activité.

La troisième raison d’espérer une certaine fécondité du Club convivialiste est que, dès à présent, comme dans le noyau originel d’intellectuels professionnels, il recrute des personnes (des personnalités) très diverses, tant par leurs compétences que par leurs orientations idéologiques. C’est d’ailleurs, très certainement, la principale réussite du convivialisme à ce jour : au-delà (ou en amont) de la rédaction du Manifeste et de l’explicitation des quatre principes nodaux du convivialisme, avoir su faire coexister des idéologies politiques bien différentes et parfois opposées, certaines s’inscrivant plutôt dans le champ de la gauche de gauche, d’autres d‘une gauche plus modérée, voire du centre-gauche, sans exclure des sympathies venues de la droite humaniste et civique. Extrapolons un peu : n’est-ce pas là la preuve qu’il est possible d’élaborer uns politique (très radicale à certains égards) de l’amitié[3] plutôt que de l’inimitié ou de la haine. N’est-ce pas au fond une des meilleures définitions possibles du convivialisme ? Une pensée politique qui, tout en n’ignorant rien des propensions de l’âme humaine à la violence, à l’hubris et au mal, ou, au contraire pour cette raison même, n’en fait pas moins le pari de l’amitié.

 

Conclusion : et plus concrètement ?

De ce qui précède, il découle que le Club des convivialistes n’est pas proche a priori  de tel ou tel parti, même s’il n’interdit évidement à aucun de s’inspirer des idées et des analyses qu’il développe. Il n’est proche d’aucun parti  particulier puisqu’il joue le jeu d’un vaste pluralisme. En un mot, sans méconnaître la légitimité et la nécessité des engagements politiques partisans, (cha cun en jugeant à sa guise) il traite de questions beaucoup plus amples que celles qui se tranchent plus ou moins bien à l’occasion de tel ou tel scrutin. Face aux périls gravissimes qui nous menacent son objectif premier est d’aboutir à un consensus minimal entre tous ceux qui luttent pour sauvegarder les idéaux humanistes et démocratiques en les refondant.

 Il n’est pas non plus un think tank. D’abord parce que, je viens de le dire, il n’est relié à aucun parti, et parce que, au moins pour l’instant et sans se l’interdire, il ne bénéficie d’aucune subvention et n’a donc pas les moyens de financer des études spécialisées. Nous ne nous y refusons pas et cela pourrait venir plus tard. Mais, en tout état de cause, le Club des convivialistes ne se présente en aucune manière comme un cercle d’experts spécialisés. Professionnels ou non, les intellectuels qu’il réunit peuvent être considérés comme des généralistes. Même s’ils sont impliqués dans un secteur de pensée ou d’activité particulier, le regard qu’ils portent sur lui est inspiré par des valeurs et des considérations beaucoup plus générales que celles qui animent les experts du champ en question. Le sous-titre du Manifeste du convivialisme est « Déclaration d’interdépendance ». Tous les membres du Club peuvent être vus comme des penseurs et des praticiens de l’interdépendance. De la complexité, si l’on préfère.

C’est dans cette perspective que nous pouvons dès à présent :

- Impulser la rédaction de chartes de bonnes pratiques convivialiste dans tous les secteurs de la vie sociales.

- Approfondir la réflexion proprement théorique pour amorcer la rédaction d’un Second Manifeste du Convivialisme même si celle-ci supposera la participation active de tous les amis non français que le Cercle convivialiste international (qui reste à lancer) se propose de rassembler sur une mailing list trilingue (anglais, espagnol,  français).

 

Intervention de Gustave Massiah

  1. Caillé passe ensuite la parole àGustave Massiahen rappelant que c’est ce dernier qui lui a suggéré  de créer un Club, sur le modèle du Club des Jacobins ou du Club Jean Moulin. G. Massiah rappelle qu’il a déjà tenté de créer un Club dans le temps, un Club qui, pour s’opposer au Club de l’horloge, s’est appelé le Club du réveil. Mais ce dernier n’est pas arrivé à faire grand-chose, faute sans doute d’avoir bien identifié le problème central qui n‘était pas tant, contrairement aux apparences, la lutte sur la question des migrations mais la lutte contre le racisme et contre la remise en cause de l’égalité comme valeur de référence. De même, aujourd’hui, si la Gauche ne réussit pas à opposer quoi que ce soit de solide au néolibéralisme c’est parce qu’elle lui abandonne le monopole de la modernisation. Il lui semble que le Club des convivialistes a des chances, lui, de parvenir à dessiner les traits d’une modernisation alternative qui reposerait sur l’extension du domaine des droits. Sur la façon dont le Club pourrait ou devrait fonctionner, G. Massiah reprend les grandes lignes du texte qu’il avait fait circuler au préalable sur la liste du Club.   

«  Du point de vue d’une stratégie nous devons prendre en compte trois horizons :

 

- à court terme, la priorité est de résister pied à pied à la contre révolution (racisme, xénophobie, idéologie sécuritaire) et à la modernisation régressive d’un néolibéralisme sécuritaire et autoritaire

 - à long terme, l’urgence est de définir et de construire une alternative. Il s’agit d’engager la résistance à l’hégémonie culturelle néolibérale et autoritaire en opposant des sociétés qui donnent la priorité au respect des droits fondamentaux par rapport au triptyque marchandisation, privatisation, financiarisation et de définir une transition écologique, sociale, géopolitique et démocratique. C’est l’objet du cercle convivialiste

 - à moyen terme, il s’agit d’affirmer que d’autres politiques sont possibles, dès maintenant, à partir des propositions et des mobilisations. C’est l’objet du club des convivialistes.

 

Pour le moyen terme, nous pouvons y contribuer de deux manières :

 - lancer un appel à des propositions de politiques alternatives soumises au débat public. L’affirmation que des propositions de modernisation alternative sont possibles, en opposition à l’affirmation qu’il n’y a pas d’alternatives autres que celles imposées par la modernisation néolibérale et sécuritaire. Un mouvement analogue à celui des Etats Généraux qui, à travers les cahiers de doléances, démontre que des propositions alternatives sont présentes et partagées. Il s’agit pour nous de lancer ces propositions dans le débat public et proposer à tous ceux qui le veulent de s’en emparer pour les faire progresser et les mettre en discussion.

 

- proposer des politiques alternatives qui seraient susceptibles d’être portées par l’opinion et qu’une instance politique, nationale ou locale, existante ou à venir, devrait prendre en compte. La référence serait analogue à celle du Club Jean Moulin qui avait préparé la modernisation de l’action publique dans les années 1950. Il s’agit d’affirmer que "par rapport à une modernisation régressive, il y a des alternatives concrètes, possibles et progressistes"

La proposition est de : 
- définir des thèmes concernant une politique et des mesures alternatives, (par exemple revenu universel ou minimum ; énergies renouvelables ; droit au logement ; suppression de la pauvreté ; extractivisme ; ..)
- constituer pour chaque thème un groupe de travail (paritaire en genre et en génération) avec six composantes : des "experts" ; des "mouvements sociaux" ; des administrateurs publics ; des acteurs économiques ; des "médias" ; des élus
- proposer une politique, des mesures, des pratiques alternatives
- débattre en assemblée du club et amender
- médiatiser ».

 

 

[1] Certains parleraient peut-être plus, aujourd’hui, de société civique des communs, ou du commun, mais ça revient au même.

[2] Des chartes de l’hôpital convivialiste, de la prison convivialiste, de l’entreprise convivialiste, de l’Ecole convivialiste, etc. etc.

[3] Certains convivialistes parleraient plutôt d’une politique de la fraternité.

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