mardi 17 décembre 2019

La codétermination serait indispensable à une véritable réforme du travail

Quatre-vingt-onze universitaires, dirigeants d'entreprise, syndicalistes et personnalités politiques internationales appellent au renforcement de la présence des salariés dans la gouvernance des entreprises

La codétermination fait l'objet d'un mouvement de fond. Depuis quelques années, de nombreux chefs d'entreprise, dirigeants syndicaux, personnalités politiques, économistes, juristes et acteurs sociaux ont pris position en sa faveur en France. Ils demandent un renforcement de la présence des représentants des salariés dans les conseils d'administration ou de surveillance des entreprises, que ce soit sur le mode allemand (une moitié de représentants salariés dans les grandes entreprises) ou scandinave (un tiers de représentants dans les plus petites entreprises), ou selon des formes intermédiaires. L'idée n'est pas nouvelle, puisque sa mise en oeuvre dans le secteur privé date des années 1950. En Allemagne, en Autriche, en Scandinavie, en Finlande et aux Pays-Bas, elle participe d'un modèle qui s'attache à protéger les salariés tout en recherchant l'efficacité économique. En France, elle trouve des soutiens dans toutes les sensibilités politiques.

On lui reconnaît en général les quatre qualités suivantes. D'abord, elle donne aux salariés la possibilité de participer aux choix stratégiques de l'entreprise, conférant ainsi une voix aux salariés sur des décisions dont leur avenir dépend – ce qui est juste. Ensuite, elle permet au conseil d'administration de bénéficier de sources d'informations complémentaires qui lui sont précieuses – ce qui est efficace. En outre, elle incite les entreprises à mieux prendre en compte les variables non financières et les impératifs de leur responsabilité sociale et environnementale – ce qui est responsable. Enfin, elle crée en conséquence un effet de mobilisation pouvant renforcer la compétitivité de l'entreprise, tout en prenant en compte sa dimension humaine – ce qui peut être le fondement d'une dynamique vertueuse de confiance et d'innovation.

IL EST DIFFICILE D’IMAGINER UNE RÉFORME PLUS STRUCTURANTE 

Il est donc difficile d'imaginer pour l'économie et la société françaises une réforme structurelle… plus structurante. De fait, elle a été logiquement mentionnée dans le texte de la loi d'habilitation, et logiquement évoquée dans la phase de concertation. Son abandon à l'arrivée, inexpliqué, est dès lors incompréhensible. Les signataires pensent que cette absence est dommageable pour la France, ses entreprises et ses salariés.

La loi travail avait été annoncée sous le signe d'une volonté réformatrice -innovante et équilibrée. Le premier grand texte social du quinquennat a-t-il réussi le test de cette

exigence ? En particulier, comment renouveler le dialogue social au plus près de chaque entreprise, sans veiller à l'équilibre du pouvoir de négociation des acteurs que l'on souhaite voir dialoguer ? Comment créer une dynamique sans instaurer les conditions institutionnelles de la confiance ? Faudrait-il s'en remettre à la bonne volonté de chacun ? C'est une vision naïve, car si rien ne se crée sans les hommes, rien ne dure sans les institutions.

INSPIRER UNE EUROPE SOCIALE

Cette absence – par son manque d'ambition – est aussi dommageable pour l'Europe. Les discours du président au pied de l'Acropole et à la Sorbonne ont montré une volonté de relance du processus européen. Or, l'extension de la codétermination en Europe, et notamment en Europe du Sud, pourrait participer d'un projet faisant renaître l'Europe sociale de ses cendres, en introduisant progressivement et pragmatiquement le travail et l'emploi dans l'horizon de gestion de l'euro. Cela n'a rien d'une utopie : tous les syndicats italiens ont intégré l'an dernier la codétermination dans leur plate-forme commune de revendications, et on dit l'Allemagne prête à de nouvelles avancées.

La codétermination ouvre donc, non en mots mais en actes, la possibilité de fonder politiquement, en France d'abord, en Europe ensuite, un principe coopératif de même force symbolique que le principe concurrentiel. La codétermination est aujourd'hui une idée porteuse d'avenir. Elle doit trouver sa place dans la loi. La France et l'Europe du XXIème siècle le méritent.

Le Monde, octobre 2017

Premiers signataires : Christophe Clerc, avocat chez Descartes Legal et Olivier Favereau, professeur d'économie Paris Nanterre et co-directeur du département Economie et Société du Collège des Bernardins ; Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT ; François Hommeril, président de la CFE-CGC ; Joseph Thouvenel, vice-président de la CFTC.

Signataires : Michel Aglietta, professeur d’économie Paris-Nanterre et CEPII ; Jean Auroux, ancien ministre du Travail ; Tristan Auvray, maître de conférences en économie, Université Paris 13 ; Daniel Bachet, professeur de sociologie, Université d'Evry Val d'Essonne ; Bertrand Badré, ancien directeur général de la Banque mondiale, DG de BlueOrange Capital ; Christophe Bénavent, professeur de gestion, Université Paris Nanterre, directeur de l’École doctorale EOS ; Olivier Biencourt, maitre de conférences d’économie, Université du Maine ; Sandrine Blanc, professeur d’éthique des Affaires, INSEEC Business School ; Jean-Paul Bouchet, ancien secrétaire général de la CFDT Cadres ; Michel Bouchet, professeur de finance, Skema Business School et Université Côte d’Azur ; Jean-François Bouthors, journaliste, éditeur et écrivain ; Robert Boyer, directeur de recherches CNRS, Institut des Amériques ; Thomas Breda, chargé de recherche CNRS, Ecole d’économie de Paris ; Julia Cagé, professeur d’économie à Sciences Po Paris ; Valérie Charolles, philosophe, Centre Edgar Morin (CNRS/EHESS) ; Christian Chavagneux, éditorialiste, Alternatives Economiques ; Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre ; Dany Cohn-Bendit, ancien député européen ; Thomas Dallery, maître de conférences en économie, Université du Littoral ; Cesare Damiano, président de la commission Travail, Chambre des députés (Rome) ; Bertrand de Feydeau, administrateur, Fédération des sociétés immobilières et foncières ; Jean de Munck, professeur de science sociale, Université catholique de Louvain (Belgique) ; Michel de Virville, directeur honoraire du Collège des Bernardins, ancien secrétaire général de Renault ; Simon Deakin, professeur de droit, Université de Cambridge ; Claude Didry, directeur de recherche CNRS, ENS-Cachan ; Hubert du Mesnil, président de l’Institut de la gestion déléguée ; Pierre Ferracci, président du groupe de conseil ALPHA ; Cynthia Fleury, professeur de philosophie

 

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