Hommage à l’un des derniers grands résistants

Claude ALPHANDERY vient de nous quitter à l’âge de 101 ans.

Il fut le représentant de Jean Moulin dans la Drôme et, le 14 juillet 1944, bravant les nazis, il était sur la place de la République de Die, drapeau de la France à la main.

Il fut un inlassable militant pour la paix et la justice jusqu’à ses derniers jours : son « tout dernier appel, avec les forces qui me restent » nous invite à ne rien lâcher.

Nous vous invitons à partager notre émotion en compagnie de Pierre, son fils, et de Sylvie, sa belle-fille. Et aussi avec l’intervention de Bastien Sibille, co-auteur avec Claude, de l’appel « Nous résistons, Opération Milliard pour une transformation écologique juste ».

Cet hommage est organisé par les associations Drômoises Ecologie au Quotidien et Le Laboratoire de la Transition en partenariat avec le groupe local des lecteurs d’Alternatives Economiques, l’association des Convivialistes, Grands-Parents pour le Climat France.

Rejoignez-nous le 8 mai 2024 à 17 heures :

https://us02web.zoom.us/j/81878994606


Hommages à Claude Alphandéry


Très cher Claude, mon ami

Ta famille, tes amis, nous tous qui t’aimons si fort avions fini par te croire immortel. Ton incroyable force de vie nous empêche de penser que cette journée avec toi puisse être la dernière. Après chaque alerte de santé ces dernières années, tu réapparaissais l’esprit clair, toujours jeune, plus résistant que jamais. Et tu lançais de nouveaux projets, convoquais des petits déjeuners quai Voltaire pour travailler à la métamorphose du monde.

On te vit émerger en pleine nuit de l’incendie de ton appartement, célébrer magnifiquement tes 100 ans, lancer les nouveaux clubs de France Active, venir à notre campagne de Montfort et le 20 janvier dernier tu étais, à 101 ans, à l’Assemblée du Labo, parlant debout, vif, inspirant. Oui tu semblais immortel !

Cette incroyable résilience te venait d’une forme de foi, non pas religieuse car tu étais agnostique, mais « d’une foi du goût des autres ». Tu aimais les hommes et les femmes tels qu’ils sont. Et parce que tu les aimais profondément, tu voulais leur construire un monde meilleur. Tu t’es inquiété pour l’humanité jusqu’à ta dernière heure, cherchant à provoquer un «  prodige de résistance » face aux catastrophes annoncées. « Prodige de résistance » étaient les mots ultimes que tu me confiais à l’hôpital. Tu disais te reprocher de n’avoir pas assez fait et voulais encore et encore convaincre de ne jamais baisser les bras.

Depuis la guerre, ton envie d’être pleinement dans le monde, t’irriguait année après année d’une force de renaissance : tu n’auras jamais cessé de renaitre au monde.

Cher Claude après cet Art pour Vivre et résister, titre de ton merveilleux Livre qui nous inspire tant, je t’ai vu mourir en résistant. Tu t’es préparé au grand passage, tu es parti la tête haute, jusqu’au bout tu n’as rien lâché. Merci pour cette ultime leçon de courage et d’immense dignité face à la mort, ami si cher à mon cœur.

Tu as vécu plusieurs vies, tu fus lieutenant-colonel de la résistance, énarque, communiste, banquier, président du conseil de l’insertion, fondateur de France Active, créateur du Labo de l’ESS, et bien d’autres choses encore en soutien d’innombrables projets. De toutes ces vies nous reparlerons.

La résistance de 1940 à 1944 fut pour toujours ton école de l’engagement. Je t’imagine dans les maquis de la Drôme, arborant une gabardine sur laquelle étaient cousus tes galons de lieutenant-colonel des FFI. Tu n’avais pas 20 ans. Je te devine la nuit avec tes hommes face à de terribles camions allemands blindés ; je te suis dans le Palais des Papes avec les comités de libération de la Zone Sud ; je t’admire lorsque le chef de la France Libre te remet la légion d’honneur.

Ces dernières années, tu puisais, dans l’expérience du Conseil National de la Résistance, du programme des Jours Heureux, une inspiration de ce qui devrait être fait aujourd’hui.

Lorsque je venais te voir à l’hôpital, tu tenais ma main dans la tienne, nous nous regardions au fonds des yeux pleins d’amitié et je te disais : Claude ma main serre la tienne mais imagine derrière elle des centaines d’autres qui font une chaîne vers toi. 

Je le redis ici : les mains qui te disent adieu dans ce cimetière sont celles de femmes et d’hommes qu’à travers tes engagements, tu as inspirés, soutenus, accompagnés. Je les connais. Ce n’est pas une armée des ombres mais une armée de vivants qui croient qu’un autre monde est possible pour « buen vivir », pour vivre bien. 

Au cours de tes innombrables engagements, tu as donné sans compter à tous et à chacun ton goût de la lutte, ton envie d’entreprendre, ton esprit de résistance et cette maxime si forte de Churchill de penser et d’agir comme si l’on ne pouvait pas échouer. 

Aux générations montantes, de poursuivre de nouveaux engagements, inspirés par ton exemple, dans un monde en grands dangers d’où peuvent surgir les monstres que tu redoutais.

Mon cher Claude, notre peine est immense et nos cœurs sont en miettes. Mais tu nous laisses l’espérance la plus robuste , celle des heures sombres, qui implique d’aller puiser dans la profondeur des réserves de courage. Souvent tu as raconté à quel point l’année 1942 avait été noire et pourtant vous n’aviez rien lâché.

Le chant des partisans nous habite donc en ce jour de deuil : 

« Ici chacun sait ce qu’il veut, ce qu’il fait, quand il passe 
Ami si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place »

Nous témoignons aujourd’hui que ta leçon de vie et de résistance nous inspirera demain, que nous repartons dans un combat pacifique de défense du vivant, comme tu le fis chaque fois qu’un camarade tombait. 

Merci Claude, pour ta légèreté d’être et ton rire,
Merci pour ton art bienveillant de la Cité qu’on appelle politique,
Merci pour ta liberté de pensée,
Merci pour ton amour infini de la vie
Merci pour cette amitié unique et si forte que tu m’as donnée sans compter

Du fond de mon cœur endolori je t’embrasse, nous t’embrassons tous. 

Hugues Sibille

Cimetière du Montparnasse, 3 avril 2024


Claude Alphandéry et moi sommes entrés à vingt ans en résistance, lui dans le maquis de la Drôme, moi dans la clandestinité en ville.

Nous avons l’un et l’autre vécu dans ces années l’expérience décisive de nos vies, celle qui a inscrit en nous le besoin de liberté et celui de la fraternité.

Nous avons cru pendant les victoires soviétiques que le communisme rompant avec l’implacable stalinisme apporterait liberté et fraternité au monde

Nous nous sommes détrompés peu d’années après la libération, et nous avons presque simultanément rompu, lui révolté par les mensonges économiques, moi révolté par les procès où des innocents s’avouaient coupables.

Ses compétences économiques en ont fait un banquier au visage humain, sensible aux détresses et misères. De mon côté je me préoccupais du problème de l’erreur et de l’illusion en travaillant sur leurs sources cognitives et j’ai pratiqué des enquêtes sociologiques ; 

Puis Claude a accompli sa grande œuvre « le lancement et le développement de l’économie sociale et solidaire » qui seule pourrait remédier aux maux du profit capitaliste déchaîné ;

L’un et l’autre avons pris parti simultanément contre les deux barbaries qui menacent la France et le monde, la barbarie cruelle conquérante et dominatrice venue du fond des âges et la barbarie moderne où toutes connaissances et toutes actions sont réduites au calcul.

Nos pensées avaient évolué de façon identique et nous nous sommes retrouvés, fraternels, nous unissant dans les mêmes aspirations, les mêmes exigences, les mêmes combats, formant un trio de réflexion. et d’action avec Patrick Viveret.

Nous sommes devenus centenaires l’un et l’autre à une année de distance avec la même jeunesse d’esprit et notre résistance aux barbaries n’a cessé d’être nourrie par la présence en nous de l’expérience résistante des années de guerre. 

Atteint d’une implacable maladie en cette année, Claude a envoyé de l’hôpital ses ultimes messages, admirables de pertinence et animés du souci de l’avenir.

Quelle vie exemplaire ! Quelle superbe carrière ! Quelle noblesse de l’esprit !

Que ton exemple et tes messages inspirent les nouvelles générations !

Je te salue mon cher frère avec un immense chagrin et une immense fierté.

Edgar Morin

Cimetière du Montparnasse, 3 avril 2024


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