Rino Levesque, fondateur et leader, Idée éducation entrepreneuriale. Texte paru dans L’École branchée le 29 avril 2020.
L’entrepreneuriat conscient[1] consiste en un modèle d’apprentissage conçu de façon à éduquer pour des environnements viables. Autrement dit, d’apprendre à agir pour le développement durable et le bien commun des milieux de vie humains. Aujourd’hui, nous voyons l’importance que s’installe, tout au long du parcours scolaire, un mode d’enseignement qui éduque à la conscience de soi, de sa communauté (son entourage), de la planète sur laquelle nous vivons, et qui forme à un entrepreneuriat conscient pour agir de manière solidaire et responsable envers les autres et la nature. L’espoir est qu’un tel esprit, soit l’idée d’une culture entrepreneuriale consciente, puisse s’étendre largement dans les divers systèmes qui structurent nos sociétés – éducation, entreprise, état. Étant porteur d’une marque indélébile d’optimisme, l’entrepreneuriat conscient a pour but particulier, à l’école, de « faire apprendre et de donner le droit à rêver ». Notamment, de voir le défi qui se pose à soi comme possible à relever.
Posture entrepreneuriale consciente
Pour l’enseignant, c’est choisir d’insuffler une énergie et d’animer pour que s’allume l’imagination des jeunes. C’est d’activer leur curiosité à l’égard de phénomènes qui deviennent prétextes à la réalisation d’apprentissages plus globaux, et pour les engager envers leurs apprentissages scolaires. À diverses occasions, la classe – à l’école, dans la communauté ou en pleine nature – est un espace de créativité où le jeune (l’adulte) se voit autorisé et invité à agir en innovateur responsable. Ses idées, quel que soit l’âge de l’élève, sont les bienvenues alors qu’elles pourront être mises en valeur dans le cadre d’une activité de réflexion ou d’action, d’un projet ou encore d’une microentreprise en entrepreneuriat conscient. Par exemple, « liée à l’environnement fut imaginée en maternelle la mise sur pied de la microentreprise « Mini-ferme inc. »; en sciences naturelles (5e et 6e année du primaire), le projet horticole « Brico fleurs inc. » fut expérimenté; au début du secondaire, en littératie (Français), le projet entrepreneurial culturel « Nuit de la poésie » a pu prendre forme. Ici, il s’agit de poèmes d’enfants portant sur un événement de leur vie personnelle, souvent touchants, lus devant public. Chacun d’eux illustre son poème au moyen d’un dessin ou d’une peinture qui est numérisé et présenté sur un grand écran pendant la lecture de l’enfant, et parfois accompagné de musique. À d’autres occasions, il y a eu la création d’une mini maison d’édition à l’école, au primaire et au secondaire. Cette similitude entrepreneuriale adaptée au contexte scolaire prendra diverses appellations, dont celui de « Petite plume » et de « Crayon magique inc. » par exemple. » [2].
En somme, c’est oser mettre de l’avant dans sa classe un mode éducatif, puis une organisation cohérente, qui génèrent de l’enthousiasme, de l’émerveillement et de l’engagement (facteur E3), où jeunes et adultes en apprentissage sont appelés à être initiateur, réalisateur et gestionnaire de leur créativité entrepreneuriale. Ils apprennent à S’ENTREPRENDRE, à ENTREPRENDRE et à CRÉER DE L’INNOVATION de façon consciente, responsable et autonome. Souvent, leurs projets se réalisent en équipe. Adopter une telle approche nécessite une « posture entrepreneuriale consciente » qui a pour avantage de s’éviter d’enfermer [malgré soi] la créativité, et d’éteindre [malencontreusement] les passions.
Conscience globale… faire sa part !
Une autre spécificité de l’approche entrepreneuriale consciente consiste en une profonde détermination des éducateurs et des jeunes, à vouloir poser sa pierre pour contribuer à rétablir les équilibres déstabilisés autant au niveau de l’environnement éducatif (école, partenaires du milieu, maison), de l’environnement humain (communauté, société, monde) qu’au regard de l’environnement de vie naturelle (la nature, la biosphère). Essentiellement, parce que tout est lié, interconnecté, interdépendant. La situation sanitaire mondiale autour de la Covid-19 en témoigne avec force. Indéniablement cela rejoint, au moins en partie, l’esprit scientifique expliquant l’effet papillon3.
Une vision basée sur l’idée que, même à l’école, il est tout à fait possible d’apporter sa contribution, de « faire sa part ». En résulte l’espoir suivant : une culture de citoyens épanouis porteurs de nouvelles capacités [compétences], et conscients de leur devoir de s’investir pour un avenir et des économies viables.
Un nouveau modèle d’entrepreneuriat pour l’humain
En parallèle, il importe de nous réjouir des immenses changements4 d’ores et déjà en cours au Québec et partout dans le monde. Ils sont de tous ordres. Les idées se bousculent, beaucoup d’entre elles sont encourageantes. Certaines jumèlent la recherche scientifique et l’ entrepreneuriat tels que la production d’un carburant à partir du CO2[3] ou la création [et les améliorations constantes] de la voiture intelligente : autonome et connectée[4]. De plus en plus d’« entreprises conscientes[5] » voient le jour. Certaines intègrent les principes de l’économie circulaire. Un exemple intéressant au Québec est l’entreprise Loop[6], composée d’un groupe de rêveurs qui se sont rassemblés pour une cause qui leur tient à cœur : mettre fin au gaspillage alimentaire. Au Canada, le projet Plastic Oceans[7] vise à réduire l’entrée du plastique dans nos océans de 75% d’ici 2025. Dans le monde, pensons à l’idée de formes de pétrole vert[8] au Maroc ou encore, en France, à des projets liés à de l’énergie locale, renouvelable et davantage décarbonisée[9] pour remplacer le pétrole brut émetteur de grande quantité de CO2. L’espoir est encore permis.
Mais que diable peut donc y faire l’École ?
D’abord, pour l’École, c’est de retrouver un équilibre au niveau même de l’environnement éducatif auquel elle participe. Par exemple, en prenant en compte l’apprentissage scolaire et l’apprentissage global (éducation globale), et ce, sans les opposer. Une approche intégrée, telle l’approche pédagogique et éducative en entrepreneuriat conscient, permet une contribution pour un tel équilibre lié à ces deux champs d’apprentissage. À l’école, à la maison ou dans un service de garde (3 à 12 ans), le projet J’AI UNE IDÉE ! illustre comment de multiples champs entrepreneuriaux peuvent être exploités pour qu’ils contribuent à trois dimensions participant à l’équilibre évoqué : 1) Éducation; 2) Santé et bien-être; 3) Entrepreneuriat et économie viable. En entrepreneuriat artistique, c’est l’exemple d’une petite œuvre d’art pouvant se transformer en un vernissage, et être partagée à la communauté proche (sa classe, l’école, sa famille) et éloignée (quartier, village) au moyen du numérique. En entrepreneuriat solidaire, c’est l’exemple d’un projet de cuisine prenant la forme d’une mini-entreprise de service (Mini-traiteur Inc.) pour sa classe, son école ou, à la maison, pour sa famille ou son entourage (ex. : les personnes âgées, les mères et les pères seuls). En entrepreneuriat écologique / communautaire / agroalimentaire, c’est l’exemple d’un projet d’agriculture urbain ou rurale que devient un jardin biologique à l’école ou à son domicile, ici sur son balcon ou bien dehors derrière ou devant sa maison… et se transformant en une mini-entreprise agroalimentaire pour la famille ou son entourage. Les exemples sont nombreux au sein des écoles communautaires entrepreneuriales conscientes. En effet, qu’ils se rattachent à l’entrepreneuriat sanitaire, à l’entrepreneuriat touristique, à l’entrepreneuriat culturel, à l’entrepreneuriat numérique ou encore à l’entrepreneuriat humanitaire, les jeunes apprennent à imaginer, à créer, et être quelque peu révolutionnaire. Leurs créativités entrepreneuriales conscientes, responsables ou communautaires ne finissent jamais de surprendre alors qu’elles contribuent à des apprentissages dynamiques.
Cependant, seule, une approche en soi ne peut pas suffire. C’est l’ensemble des actions philosophiques, éducatives et organisationnelles que mettent de l’avant toute l’école et sa communauté partenaire qui rendent possible un meilleur équilibre, puis un succès pédagogique d’ensemble.
Un projet éducatif nouveau et fédérateur est impératif. Et cela parce que la réussite scolaire ne peut plus être la seule finalité sur laquelle il faut insister, voire en être l’unique résultat. Œuvrer à une vision de l’Éducation mettant également l’accent sur la réussite éducative (ex. apprentissages en profondeur[10], compétences du 21e siècle) ne crée pas de désavantages envers les apprentissages scolaires. Il s’agit bel et bien de renforcer les enseignements en lecture, écriture, mathématiques, sciences, sciences humaines, et ceux liés à diverses connaissances générales. En effet, une telle conception de l’éducation favorise des formes d’apprentissage variées. De plus, aujourd’hui, dans nos écoles, il y a également l’urgence d’accompagner l’apprentissage du numérique. Apprendre à en faire un usage éthique, responsable et innovant ne peut plus être négligé. Une littératie numérique est indispensable, mais à condition d’éduquer et de former pour en augmenter les compétences cruciales qui lui sont associées; et cela dans l’esprit d’une efficacité faisant intervenir l’entrepreneuriat conscient pour des environnements viables.
À l’heure où le compteur universel montre que nous avons gaspillé trop de temps à ne pas vouloir revoir la manière dont nous habitons les territoires, le numérique, fruit de l’ingéniosité humaine, a un double avantage : 1) la vitesse et 2) l’efficience. Il doit servir intelligemment et participer à transformer notre modèle économique au moyen d’un entrepreneuriat nouveau.
Interdépendance de l’école envers le modèle économique actuel : un bref regard
Nul doute qu’en ce début de XXIe siècle l’humanité fait face à des problèmes complexes qui mettent de plus en plus en cause sa propre survie. Le philosophe hongrois, Ervin LASZLO[11], disait d’ailleurs à peu près ce qui suit :
« Le monde que nous avons créé, de puis les soixante-dix dernières années, est non-viable. Nous vivons dans un monde étrange et nous avons une attitude toute aussi curieuse à l’égard du monde. L’environnement est en pleine dégénérescence, le climat change profondément mais la plupart d’entre nous sommes préoccupés par faire de l’argent et maintenir nos privilèges. On se chamaille pour avoir une place confortable sur le pont du Titanic ».
Ervin LASZLO (traduction libre)
Le modèle économique lié aux évolutions de la révolution industrielle (4 phases – 1769 à aujourd’hui) [12], et pour lequel l’école fut asservie [en l’ayant principalement réduite à « scolariser » au dépend d’un équilibre prenant davantage en compte l’« éducation globale »], nous met face à des défis d’envergure. Leur interdépendance montre des limites telles les phénomènes d’ennui, d’anxiété et de décrochage dans les écoles. Parmi elles, plusieurs se cherchent une nouvelle voie et, en particulier, pour que puisse se vivre plus de bien-être dans ses espaces éducatifs. Des limites également d’ordre socioéconomique alors que les inégalités au sein des communautés-écoles, à l’intérieur et entre les nations se creusent jusqu’en devenir indécent. Par exemple, les 1 % les plus riches possèdent plus de deux fois les richesses de 6,9 milliards de personnes.[13]Un manque d’équilibre, de réalisme voire d’empathie rend les environnements humains instables. Plusieurs nations se retrouvent en danger de chaos à court ou moyen terme. Pour en montrer un exemple frappant, pensons au concept mathématique servant à calculer le produit intérieur brut[14] d’un pays. Un modèle de calcul qui ne tient aucunement compte de l’affaissement de la biodiversité (depuis 40 ans, elle fut réduite de 60 % dans le cas des invertébrés), des dangers pour la santé et l’environnement qu’engendre la pratique d’une agriculture intensive[15], et de l’épuisement des ressources dans tous les pays, sur et dans nos sols, de même que dans et sous nos eaux. Ni les liasses de dollars générées ni leurs valeurs numériques inscrites et comptabilisées ne pourront, en soi, servir de nourriture à consommer. Retrouver un nouvel équilibre pour ce qui concerne nos modes de vie paraît d’une urgence sans précédente.
Bien-être humain
Des phénomènes nouveaux se multiplient, par exemple l’état d’urgence climatique[16] est déjà déclaré par un nombre croissant d’universités et de villes et, chose encore inimaginable à concevoir il y a à peine quelques années, des pays joignent le mouvement. À cet égard, nous voyons déjà se présenter des phénomènes sociaux impensables il y a encore 5 ou 10 ans. En effet, de nombreuses personnes songent ou prennent la décision de ne plus prendre l’avion, de ne plus manger de viande. Plusieurs jeunes inquiets de la situation s’interrogent sur leur avenir et reconsidèrent l’idée de mettre au monde des enfants (Britt Wray, TEDx)[17]. Un contexte d’ensemble qui déjà engendre un stress de plus en plus important dont l’ « écoanxiété[18], [19] ». Le bien-être des populations, pauvres et riches des deux hémisphères, de même que des organisations de tout ordre pourrait en être affecté considérablement.
Conclusion
L’école gagne à faire sa part, tout comme les citoyens, les entreprises, les organisations de tous ordres et les états. Les efforts combinés joueront un rôle structurant et favorable aux équilibres environnementaux[20]. Il faut s’y engager. Beaucoup d’écoles communautaires entrepreneuriales conscientes (ECEC)[21] en montrent l’exemple, et elles ne sont pas les seules. Déjà, au Québec et dans le monde, se multiplient des écoles conscientisées à l’idée d’agir pour l’environnement – éducatif, humain, naturel (biosphère) -, le bien commun et le développement durable des communautés.
Bravo aux jeunes ! Chapeau aux communautés-éducatives (enseignants, directions, parents, partenaires des environnements scolaires) !
[1] Levesque, R. « Écosystème « éducation – entreprise – état » pour un environnement viable ». L’École branchée : 31 octobre 2018. [En ligne]
[2] Source : extrait de l’article Le Facteur E³ : ou quand l’innovation pédagogique crée un plus grand bonheur à l’école, Éducation Canada, par R. Levesque (décembre 2019). [En ligne]
[3] « Le CO2 comme carburant » (24 mars 2019), La Presse +, écran 15, section actualités – Sciences, par Mathieu Perreault. [En ligne]
[4] Positionner le Québec et sa métropole comme leaders des transports électriques et intelligents (mai 2019). Étude de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain et de Propulsion Québec, 145 p. [En ligne]
[5] L’entreprise consciente & responsable s’affirme (12 juin 2018), Décideurs Magazine, section Ressources humaines. [En ligne]
[6] LOOP, mission de l’entreprise québécoise [En ligne]
[7] Plastic Oceans Foundation Canada, Federal non-profit organization [En ligne]
[9] OUEST-France (24 février 2018). Salon de l’agriculture : Les fermes françaises, un gisement de pétrole vert, par Franck Jourdain [En ligne]
[10] Voir travaux de Michael Fullan sur le « Deep learning » (Apprentissage en profondeur). Livre référence : Apprentissage en profondeur : s’ouvrir au monde, changer le monde (septembre 2018) [En ligne]
[11] LASZLO, Ervin (2009), Worldshift 2012 – Making Green Business, New Politics & Higher Consciousness Work Together, McArthur & Co, Toronto, Canada. Traduction libre. pp. xix et 1. Ervin. LASZLO est le fondateur du Club de Budapest qui regroupe plus 40 personnes publiques et engagées tels Mikhail Gorbatchev, Edgar Morin, Desmund Tutu, Mohamad Yunus, Mary Robinson, Peter Gabriel, Jane Goodall, etc. qui font la promotion de la nécessité d’instaurer, de façon urgente, des modèles durables de développement, modèles qui respectent les êtres humains, la nature et la planète.
[12] Schwab, Klaus (2017). La quatrième révolution industrielle. World Entrepreneurship Forum (2016, version anglaise), Dunob, Malakoff, pour la traduction française, 207 p.
[13] Davos 2020 : Nouveau rapport d’Oxfam sur les inégalités mondiales (19 janvier 2020), Oxfam France, communiqué de presse. [En ligne]
[14] Pourquoi l’indicateur du PIB est inepte face aux enjeux écologiques, par Éloi Laurent, YouTube [En ligne]
[15] Radio-Canada, section Société, santé publique (8 janvier 2020). Trop de pesticide dans certains agrumes, par Alain Roy [En ligne]
[16] État d’urgence climatique, dans Wikipédia [En ligne]
[17] Wray, B. (Mai 2019) How climate change affects your mental health. [En ligne]
[18] Gauvreau, C. (novembre 2019). Êtes-vous éco-anxieux ? Actualité UQAM. [En ligne]
[19] Écoanxiété : La Terre souffre et moi aussi, dans ELLE Québec (12 février 2020), par Julie Champagne. [En ligne]
[20] Levesque, R. « Transformer et apprendre à s’adapter tel un équilibriste ». Carrefour Éducation : 11 mars 2019. [En ligne]
Belle perspective. Dommage que les ponts ne soient pas établis avec la tradition de la coopération à l’école, qui malheureusement n’est plus très vivace mais demeure: http://www.occe.coop