Dans une tribune, Pierrick Berthou, paysan à la ferme de Poulfang, à Quimperlé, dans le Finistère, explique pourquoi le débat sur l’eau est mal posé, selon lui.
Des boulons, des boules de pétanques, des matraques, des grenades… 400 blessés dont 40 très gravement. C’est la guerre ? Non, juste un week-end de contestation à Sainte-Soline autour de l’eau : le combat de l’eau. Cet épisode nous explique où nous en sommes arrivés avec l’accès à l’eau, mais c’est surtout révélateur de ce qui nous attend et des violences potentielles. Et pourtant, nous ne manquons pas d’eau et nous n’en manquerons jamais… L’eau est un bien commun, personne ne peut, et ne doit, revendiquer sa paternité. L’eau obéit à un cycle, de ce fait ce n’est pas une ressource, ce n’est pas un volume quantifiable limité, qui pourrait faire défaut. Nous avons, depuis la nuit des temps, la même quantité d’eau à notre disposition. Pas une goutte d’eau ne manque à l’appel, c’est un fait. L’eau est là à notre disposition à tous en quantité illimitée, comme l’air que nous respirons. Cessons d’avoir peur et cessons de réagir aux peurs véhiculées et entretenues par des mercantis, le problème est là ! Cependant, le débat existe bien.
Entre sécheresses, canicules, inondations et… bassines, le débat est bien présent, tout à la fois irrationnel et passionnel que radicalisé. Irrationnel et passionnel parce que cela touche notre quotidien et notre survie, radicalisé parce que l’on doit être pour ou contre. Nous ne savons pas trop pour quoi, ou contre quoi, mais il n’y a pas beaucoup de place, dans ce débat, pour la temporisation, la modération et la lucidité. Cependant, c’est ce que nous allons tenter de faire… Dans les Deux-Sèvres, deux conceptions s’opposent de plus en plus durement. Les actes d’incivilité se succèdent. La situation des Deux-Sèvres est assez symbolique et représentative de ce qui se passe autour de la « guerre de l’eau ». Et pourtant, il ne manque pas d’eau et l’eau n’est pas une ressource, faut-il le rappeler ?
L’OUBLI DU COMMUN
D’un côté, nous avons des agriculteurs qui, afin de produire, affirment que le stockage de l’eau est vital pour eux. S’ils n’ont pas d’eau en réserve, ils ne pourront pas produire. Certes, ce n’est pas tout à fait faux, mais… mais, irriguer leurs cultures répond aux exigences des industriels qui collectent leurs récoltes (dates de récoltes, régularité, qualité, etc.). Il s’agit avant toute chose de préserver, quoi qu’il en coûte, l’agriculture industrielle. En effet, une grande partie de la production agricole qui sera irriguée n’est pas destinée à l’alimentation locale voire nationale mais va à l’export ou même participera à remplir les méthaniseurs ! En faisant du chantage alimentaire – pas d’eau, pas de nourriture – les partisans des « bassines » exacerbent les crispations. Au fond, ils ne veulent pas vraiment remettre en cause l’agri-business, qui, pourtant, est à l’origine de leurs maux, qu’il s’agisse de l’eau, ou de la façon d’aborder leurs pratiques agricoles ou encore de leurs relations aux industriels. L’irrigation n’est pas mauvaise en soi, c’est même une bonne chose, puisqu’elle permet, tout de même, de garantir des récoltes, en traversant les périodes sèches. Ce qui fait, et devrait faire, débat ce sont bien les conditions de remplissage des bassines, le mode de stockage (qui est fait par imperméabilisation du sol), et surtout l’accès à l’eau. Or, seuls ceux qui auront accès aux capitaux, auront accès à l’eau, donc pourront produire. Avoir accès à l’eau donnera un droit à vivre. Les autres pourront crever ! C’est tout simplement inacceptable, cette gestion de l’eau est inacceptable !
Les opposants aux « bassines », eux, ce qu’ils proposent en alternative, c’est l’application de la « continuité écologique ». Voilà une belle formule qui promeut un écoulement sans entrave de l’eau, et c’est la loi ! Autant dire que nous devons laisser couler l’eau librement. La « continuité écologique », telle que définie, appliquée et imposée, est un véritable bras d’honneur aux civilisations anciennes (Incas, Aztèques, Romains etc.) qui, par empirisme, avaient acquis une connaissance prodigieuse de l’eau. Il ne leur serait jamais venu à l’idée de laisser couler l’eau alors que justement ils en avaient besoin. D’un côté, ces mêmes personnes demandent l’économie d’eau, pour ne pas dire son rationnement, et de l’autre côté exigent que l’eau puisse s’écouler sans freins jusqu’à l’océan. Quel beau paradoxe ! En fait, les opposants aux bassines ont raison de s’opposer à ce type de gestion de l’eau, mais ils le font pour de mauvaises raisons.
Défendre la « continuité écologique », cette idée totalement saugrenue, qui part d’une idéologie farfelue érigée en dogme INCON-TES-TABLE, nous mènera tous à la catastrophe : le manque d’eau. Car nous allons accélérer le transfert de notre eau douce vers la mer. En fin de compte, nous organiserons l’expulsion de notre eau douce. Cette eau douce dont nous avons tant besoin. Il faut drastiquement ralentir son ruissellement et même la stocker, mais pas avec des « bassines ». Le combat des « anti-bassines » est faussé par leurs objectifs. L’ironie veut que leurs revendications et activisme feront le jeu de leurs adversaires « pro-bassines » et nous conduiront tout droit à la mise en place d’une logique monétisable d’un bien commun. Les belligérants de ce combat se rejoindront malgré eux. En filigrane de ces oppositions radicalisées se profile la marchandisation de l’eau, de notre eau, ce bien commun à tous.
DES SOLUTIONS EXISTENT
Mark Shepard, agriculteur américain à la New Forest Farm, nous rappelle, en guise de ligne de conduite, qu’« il faut faire en sorte que chaque goutte de pluie qui tombe sur votre ferme y reste le plus longtemps possible ». Par cette rhétorique, il faut comprendre deux choses. Tout d’abord, l’eau, de toute façon, nous échappera, soit par infiltration, soit par ruissellement, soit par évapotranspiration, soit par évaporation, et c’est justement cela dont nous avons besoin pour alimenter le cycle de l’eau. Mais, nous ne la retiendrons pas. In fine, l’eau terminera toujours son cheminement dans une rivière, toujours ! Ensuite, il faut concevoir que l’eau, avant de terminer son périple dans une rivière (afin de se déverser dans l’océan) – certes, l’eau n’est pas perdue, mais cela reste un immense gaspillage d’eau douce – doit être gérée dès que la pluie touche le sol.
En définitive, nous devons réparer et compenser, ce qui a été abîmé depuis 60 ans. À savoir, la rectification des cours d’eau, l’assèchement des zones humides, la destruction de nos sols et l’étalement sans cesse, sans fin, des surfaces artificialisées. S’intéresser à l’eau dans les rivières est louable, mais il vaudrait mieux s’intéresser à l’eau avant qu’elle n’arrive dans les rivières et cela dans l’intérêt de tous, y compris les poissons. L’eau est un bien commun, seuls son traitement et son acheminement doivent être facturés. Si nous acceptons de payer ce bien commun, nous mettrons le doigt dans un engrenage infernal. Aujourd’hui, c’est l’eau. Demain, ce sera l’air que nous respirons. Après-demain, la vie elle-même pourrait être une marchandise. Ne laissons pas nos émotions et la peur nous guider. Elles sont de bien piètres conseillères. Les solutions existent, sont simples, peu onéreuses et efficaces. Ne mettons pas nos vies entre les mains des mercantis.
Une tribune publié initialement ici : https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/gestion-de-leau-leau-nest-pas-une-ressource-faut-il-le-rappeler
Il y a quand même un oubli majeur dans tout ce que je viens de lire.
S’il n’y a pas de problème de quantité, quid de la qualité?
Bonjour.
Ce n’est pas un oubli, c’est même une des raisons du problème de notre mauvaise gestion de l’eau. Mais, je ne pouvais pas développer dans un même article…
Je trouve très intéressante cette distinction entre ressource : telle le bois, le pétrole les terres rares, le sable, ressources qu’il faut gérer et se partager au mieux. ce qui induit que le prix que l’on leur attribue peut être un outil pour cette répartition la plus juste possible.
Au contraire, si j’ai bien compris, l’eau est toujours là depuis la nuit des temps et sa quantité n’a pas changé, elle ne va pas disparaître. Par contre, elle est absolument vitale et sa qualité est très importante, c’est donc un bien précieux et un outil que les humains doivent se partager et gérer au mieux : on a besoin d’eau pour irriguer mais aussi comme force hydraulique et aussi pour nous abreuver en eau potable.
L’eau est aussi un fluide, cela veut dire qu’elle mouvante, qu’elle vient et qu’elle repart, et qu’elle peut se transformer en glace ou en vapeur et qu’elle est essentielle à la vie de tous les êtres vivants et en particulier à la vie des micro-organismes qui rendent la terre fertile et qu’en retour elle nous est redonnée sous forme de transpiration par les arbres.
Si j’ai conscience de ses cycles, de sa nature indispensable à la vie, cela m’inspire du respect et cela m’amène à la traiter avec attention et reconnaissance.
Je rêve que tous les êtres humains retrouvent cette conscience qui nous permettra de sortir des conflits stériles et retrouver la sagesse de la sobriété et de la gestion intelligente d’un bien si précieux.
L’eau d’un bassin versant doit être partagée harmonieusement entre les différents usages concurrents: irrigation agricole, production hydroélectrique, eau potable, etc… Trouver cette harmonie est parfois difficile et donner une valeur économique au bien commun est une manière, comme d’autres, de trouver l’optimum de répartition entre les différents usages.
Ainsi je ne pense pas qu’il faille refuser la marchandisation de l’eau par principe. Parfois, en cas de rareté, cela peut permettre de la répartir au mieux.
Ce qui serait très utile, c’est de savoir ce que vous proposez comme solutions simples, peu onéreuses et efficaces
Bonjour.
Merci beaucoup pour votre commentaire. Votre commentaire est vraiment très intéressant! Ce que vous dites est faux, mais très révélateur de la façon de penser, qui est la notre aujourd’hui , et c’est voulu!!! Ne vous en offusquez pas, à force d’utiliser les mauvais MOTS, nous aurons des MAUX! Je m’explique.
Tout d’ abord, il faut bien comprendre que l’eau n’est pas une ressource. Le pétrole est une ressource, si l’on consomme le pétrole plus vite que sa constitution, et c’est le cas, nous allons en manquer. Ce n’est qu’une question de temps! C’est la même chose pour le gaz, le bois, la nourriture etc. Par contre, pour l’eau c’est totalement faux. L’eau obéit à un cycle, il n’y a pas création d’eau. Nous avons la même quantité d’eau sur le globe depuis la nuit des temps. Ma voisine, qui est géographe, me disait » nous buvons l’eau que les Romains ont uriné ». Cette phrase à elle seule veut tout dire.
L’eau obéit à un cycle qui, sans fin, se renouvelle. Et l’eau, nous ne la consommons pas, nous l’utilisons! Chaque fois que nous buvons de l’eau , d’une façon ou d’une autre nous la restituerons ( urine, transpirations etc). C’est à partir de ces deux affirmations , ressource et consommation, fausses au demeurant, que tout le débat sur l’eau, notre eau, est faussé et biaisé. Et par conséquence, les solutions qui en découlent sont totalement aberrantes. L’économie d’eau est stupide, moins nous utiliserons l’eau moins nous aurons d’eau à notre disposition, moins nous aurons de pluies, plus nous aurons de sécheresses, de canicules et d’inondations.
Dans le même ordre d’idée, affirmer que l’évaporation de l’eau est de l’eau perdue est une tromperie largement véhiculée par les médias et pseudo hydrologues et écologistes! L’évaporation de l’eau est un bienfait. C’est par la transpiration que nous régulons notre température corporelle, c’est par évaporation de l’eau que les pompiers maîtrisent les feux, c’est encore par évaporation de l’eau que l’on peut limiter les canicules. Or, nous expulsons notre eau douce, nous ne la retenons pas. Une inondation c’est quand l’eau arrive trop vite, une sécheresse c’est quand cette même eau est repartie trop vite!!!
Nous devons, SEULEMENT, apprendre à gérer l’eau de pluie dès qu’elle touche le sol, et il y a du boulot….
La marchandisation n’est pas la solution, enfin tout dépend pour qui?
Ne nous laissons pas berner par ce sujet. L’eau nous appartient, à tous, nous devons tous la gérer ensemble.
Pierrick Berthou
Bonjour,
Je trouve votre analyse très intéressante, sur le sujet de l’eau.
Je suis depuis peu (février 2023) élue dans une mairie d’arrondissements à Marseille (loi PLM) et mon engagement s’appuie sur deux axes qui pour moi ne peuvent être dissociés : l’écologie et la participation des citoyens aux choses qui les concernent.
Vous évoquez des « solutions simples, peu onéreuses et efficaces ». Pouvez-vous m’en dire plus ?…ou m’indiquez le moyen de connaitre ces solutions que vous préconisez. Un grand merci
Merci pour cet article qui renvoie les extrêmes et qui « ressource » les débats,