Article publié dans Ouest France le 30/01/2024
Arriverons-nous, face à la colère, cette fois des agriculteurs, à percevoir l’ampleur du drame dont ils sont des jouets plus que des acteurs ? Ils vivent avec douleur la terrible séquence d’un drame aux multiples scènes et dans lesquelles, nous sommes tous pris.
Disons-le tout net : nous n’y mettrons pas fin en bloquant le prix du gasoil non routier, en mettant des prix plancher ou en simplifiant les formulaires pour obtenir une aide de la PAC, si inégalement répartie entre les agriculteurs. Pas plus en supprimant les normes et en permettant l’usage du glyphosate et autres produits dangereux en premier pour les agriculteurs. Encore moins en autorisant la mise en place de très grandes bassines, ou de fermes de mille vaches.
Nous avons sacrifié nos valeurs
Leur drame, qui est nôtre, est d’abord celui du productivisme, responsable de la crise écologique dont nous sommes alertés depuis cinquante ans. Avec le premier sommet sur l’environnement en 1971 et le rapport au club de Rome de 1972 sur les limites de la croissance. Les responsables politiques qui en ont pris conscience se sont laissés convaincre par toutes les forces qui prospèrent sur la poursuite du productivisme et qui se mobilisent pour inciter à poursuivre une croissance perpétuelle. Kenneth E. Boulding, interrogé par le congrès américain après le rapport de 1972 a déclaré : « celui qui croit &agr ave; une croissance infinie dans un monde fini est soit un fou soit un économiste ».
Notre drame est aussi lié à ce que nous avons sacrifié nos valeurs pour aider ce productivisme à dépasser ses limites montrées par la crise de 1973. Nous avons permis la financiarisation de l’économie instaurant une économie d’endettement, la numérisation permettant d’inciter à la sur-consommation et accepté la révolution Thatchérienne avec ses privatisations, déréglementations, dérégulations et mondialisation des marchés. Y compris la réforme de la PAC sous la pression américaine, à partir de 1989.
Ce mal qui nous ronge tous
Tout ceci a remis en cause l’effort lancé en 1946, mais inachevé, de plus de justice sociale : les inégalités économiques sont reparties à la hausse partout dans le monde, accompagnées du détricotage des protections sociales., Notre drame est en effet celui d’une injustice sociale, que quelques décennies de croissance régulée avaient adoucie, mais que la dérégulation a renforcée, alors même que la croissance dérégulée patine malgré tout. Et se heurte désormais aux limites de l’habitabilité de la planète.
Notre drame est donc celui d’une incapacité à quitter ce modèle productiviste anti-social et fauteur de catastrophes environnementales. Y parvenir exige d’en reconnaître la nécessité. De ne pas se contenter du discours de la Cop 21 à Paris en 2015 ou de convoquer une convention citoyenne sur le climat sans en suivre les recommandations, en 2020. La mobilisation nécessaire est du type de celle lancée en 1946 pour la « modernisation » de la France. Il faut convoquer tous les partenaires économiques et sociaux, à tous les échelons du pays, avec un cap clair. En finir avec le productivisme et l’aggravat ion de l’injustice sociale. Et se mettre au chantier.
Ce n’est pas une mince affaire. Elle va bien au-delà du drame de l’agriculture, mais il y est lié et ne pourra être surmonté sans s’attaquer à ce qui le suscite. Les expédients ne seront que des baumes sur les douleurs, car le mal qui ronge l’agriculture c’est celui qui nous ronge tous et auquel il nous faut sans plus tarder décider d’y remédier.
Ce 6/2 au soir il est encore possible de voir sur Youtube : « Tu Nourriras le monde » , documentaire d’1H30 qui donne bien à voir le processus productiviste qui a piégé les agriculteurs depuis l’après-guerre (de 40). Très clair, du témoignage de terrain de trois générations d’agriculteurs en Champagne. Et quelques politiques. Le bouquet quand un certain E. Macron clame haut et fort que « l’avenir de l’agriculture c’est la robotique, le numérique et les biotechnologies ». On a envie de lui en faire bouffer…
Et pourtant, c’est bien l’option choisie !!!!
Objectif, 100 000 à 150 000 fermes dans 10 ans !!! En 2024 nous avons déjà moins de 300 000 fermes, soit moins de 350 000 paysans !
Ces 100 000 fermes ou 150 000 fermes, même immenses et accompagnées de robotiques, de numériques et de biotechnologies, ne pourront pas subvenir à nos besoins alimentaires, d’où la raison du libre échange. Et, après, on vient nous « baratiner » sur la souveraineté et la sécurité alimentaire !!!! Là, on se moque ouvertement de nous ( paysans ET consommateurs).
Bonsoir M Humbert.
Je partage totalement votre constat. Effectivement, les problèmes de l’agriculture sont les problèmes de tous et c’est bien au-delà de ce que vous pouvez penser!!!
Les manifestations des quinze derniers jours ont échoué! RIEN n’a avancé! Sinon, quelques » cacahuètes », et ….le grand recul des normes d’utilisation des pesticides. RIEN sur le revenu des agriculteurs,, RIEN!
Donc, le constat est posé, mais maintenant, on fait quoi?
Les organisations agricoles diverses manifestent envers le gouvernement
et on n’en obtient rien, pour de multiples raisons à mon sens,
peut-on s’y prendre autrement pour améliorer la situation des agriculteurs – et de tous puisque je prétends que c’est aussi notre drame?
Une idéé c’est une « campagne » d’explication de communication menée par des organisations agricoles et des organisations citoyennes pour faire comprendre qu’on est dans le même bateau
et par exemple qu’améliorer le revenu des agriculteurs passe nécessairement par l’augmentation du pouvoir d’achat du plus grand nombre.
Dans mon articile je me contente de suggérer que l’Etat pourrait organiser une concernation – pas un Grennelle avec les seuls agriculteurs- de toute la nation, c’est à dire une planification qui prenne les problèmes à bras le corps….
Il faut que les idées infusent dans suffisamment de têtes ou qu’un leader charismatique réussissent à pousser à la roue…
Bien à vous
MH
Il faudrait repenser la relation entre l’agriculteur et l’industriel, ce qui n’a même pas été évoqué lors de ces manifestations…. Et pourtant c’est le nœud du problème !
Deuxième axe, le libre échange qu’il faut absolument stopper et enclencher un commerce basé sur la coopération entre nations, qui est codifié par la charte de la Havane.
Tant que nous laisserons la FNSEA mener les discussions et les négociations nous n’arriverons à RIEN, comme les dernières manifestations le démontre parfaitement !
Cordialement.
Pierrick Berthou.