Résorber le trou de la Sécu en allant vers un 100 % SS ? 

Nous reproduisons ici une discussion qui s’amorce entre convivialistes à partir d’un appel à référendum, lancé par le professeur Ambré Grimaldi, infatigable animateur des luttes hospitalières. Appel commenté par l‘économiste Léon Régent auquel A. Grimaldi apporte une première réponse.

André Grimaldi

Pour ou contre la Sécu 100% ?

La France est le seul pays à avoir pour le même soin deux sources de financement, l’Assurance maladie obligatoire (la Sécu) et les Assurances maladies complémentaires (les Mutuelles, les Instituts de prévoyance et les Compagnies d’assurance) en concurrence sur le marché. Nous payons donc deux fois les frais de gestion, soit au total plus de 8 Milliards pour les Complémentaires qui remboursent 13% des soins et près de 7 milliards pour la Sécu qui en rembourse 80%. Moins chère, l’Assurance maladie obligatoire est aussi plus égalitaire, remboursant les soins réalisés en fonction des besoins de santé et pas en fonction du niveau du contrat souscrit par l’assuré. Plus égalitaire, la Sécu est aussi plus solidaire puisqu’elle réalise une double solidarité entre riches et moins fortunés, chacun payant en fonction de ses moyens, et entre bien portants et malades sans augmentation du montant de la cotisation chez les personnes âgées. La fusion des Mutuelles dans l’Assurance maladie obligatoire permettrait donc de réaliser la Grande Sécu 100% économisant au moins 7 milliards du doublon de frais de gestion inutiles et remboursant intégralement le ticket modérateur, le forfait hospitalier et l’ensemble des actes de prévention, de soins et de soins de support validés. Elle doit être financée par une cotisation généralisée portant sur l’ensemble des revenus avec un taux progressif conforme au principe de solidarité des citoyens face à la maladie ainsi que par des taxes sur la production et la publicité sur les nocifs pour la santé. Ses recettes doivent être sanctuarisées avec une compensation à l’euro près de toute décision gouvernementale d’exonération partielle ou totale de cotisation. Ainsi la Sécu 100% permettrait à la très grande majorité des assurés d’être deux fois gagnant, à la fois en payant moins de cotisation et en étant mieux pris en charge. Ce serait en particulier le cas pour les deux millions de citoyens trop pauvres pour se payer une complémentaire santé et trop riches pour avoir droit à la complémentaire santé solidaire.

Léon Régent

La Sécu à 100 % ?

La situation actuelle, avec des complémentaires « obligatoires », présente de graves inconvénients. Le surcoût d’une double gestion des dossiers de santé a été dénoncé en janvier 2017 dans un article du Monde par Martin Hirsch resté sans suite (c’était avant qu’il ne soit nommé à la tête de l’APHP). Il est de 7 à 8 milliards par an : frais de gestion, frais commerciaux et bénéfices des complémentaires santé, et aussi taxes spécifiques sur les complémentaires santé que l’État ne cesse d’augmenter ! Ces milliards correspondent à 100 000 emplois inutiles… mais existants.

Le comble, c’est que l’État paye une partie des cotisations aux complémentaires santé dans le cas de très bas revenus.

Les professionnels de santé passent beaucoup de temps à facturer soit l’usager (que la SS et les mutuelles remboursent), soit la SS en tiers payant complet, soit en tiers payant partiel : l’usager doit payer ce que la SS ne prend pas en charge et se retourner vers sa complémentaire pour un éventuel remboursement. Le circuit prend deux mois avec lettres, rappels… Les frais administratifs sont souvent dix fois supérieurs aux qq € réclamés par l’hôpital. Si l’usager n’est pas attentif, la mutuelle ne lui remboursera pas ce qu’il est en droit d’attendre. Certaines lourdeurs de gestion trouvent peu à peu des solutions informatiques.

Au final, le citoyen qui aimerait connaître ses dépenses annuelles de santé réparties en trois chiffres, SS, complémentaire et reste à sa charge, ne dispose que de « listings » alignant d’innombrables montants inférieurs à 10 €. Il constate sans comprendre que, sauf accident, sa complémentaire santé coûte deux à quatre fois plus qu’elle ne lui rapporte. Mais c’est peu visible quand l’employeur en paye la moitié ou plus.

Le récent 100 % santé sur les lunettes et les appareils auditifs est d’une incohérence invraisemblable. Des appareils auditifs à 1900 € sont intégralement remboursés, sans que l’usager n’ait connaissance de ce qui est répercuté sur sa complémentaire. Mais s’il choisit des appareils à 1901 €, il ne bénéficie plus du « 100 % santé ». Si son contrat « complémentaire » est minimal, il assumera un reste à charge d’environ 1000 €.

L’ensemble de ce système n’est critiqué ni par les assurances privées qui voient leur part du gâteau augmenter peu à peu, ni par le public (administration, syndicats…) dont le souci premier n’est pas la bonne gestion.

Que faire ?

Pour rationaliser, il faut un système unique.

Pour Étatiser, il faut que ce système unique soit la SS. Il y a deux questions, et non pas une seule.

Hypothèse 1 : des assurances privées, la SS n’existe plus

C’est l’hypothèse la plus simple à décrire. Chacun choisit son assurance, soit minimale (minimum imposé par la loi), soit plus confortable. Chacun paye (éventuellement l’employeur participe). L’État, ayant moins de dépenses, baisse les impôts et augmente les minimas sociaux de manière à ce l’équilibre financier de chacun soit globalement inchangé.

L’usager se trouve automatiquement responsabilisé au-delà d’une prise en charge minimale.

Le cas des usagers « à risque » (vieux, handicapés, malades chroniques…), rejetés par les assurances privées, pourrait être problématique.

Peut-on éviter la situation des USA : un système de santé élitiste et cher ?

Hypothèse 2 : la SS, les assurances privées n’existent plus

Il faut alors définir ce qui est remboursé et ce qui ne l’est pas, par exemple : avortement (être enceinte n’est pas une maladie), PMA (ne pas avoir d’enfant n’est pas une maladie), montures de lunettes, chirurgie esthétique… Cela se fait déjà plus ou moins bien. L’usager qui ne paye pas (et les professionnels parfois intéressés) demande toujours plus.

Il faut aussi définir un reste à charge qui évite les abus.

Serait-il possible d’éviter des frais administratifs conséquents pour des montants minimes ?

Dans l’hypothèse 100 % SS, je ne suis pas d’accord avec des recettes dédiées et une gestion par des « représentants ». Le budget de l’État est unique. Il doit y avoir un seul mécanisme atténuant les écarts de revenus, géré par Bercy (RSA + IR aujourd’hui, revenu universel demain). C’est le budget unique de l’État qui doit financer la SS (et qui devra financer un revenu universel). La non-affectation des recettes aux dépenses est un principe de comptabilité publique trop souvent perdu de vue, mais essentiel. On ne peut pas « sanctuariser » un budget écologique, un budget santé, un budget retraites etc. La dette de l’État est unique.

Conclusion

L’idée « 100 % SS » est intéressante, mais pose des questions trop difficiles et trop clivantes pour qu’elle puisse voir le jour. Hélas.

Pourrait-on réfléchir à rapatrier dans la SS ce qui est jugé essentiel (un noyau dur de santé), et à rendre les complémentaires facultatives – ce qui était leur situation au départ ? Je ne sais pas si ce serait faisable.

L’arbitrage par référendum me semble une mauvaise idée. Le référendum n’est pas le « juge » quand nos élus (et les spécialistes) sont incapables de traiter une question. Il est adapté, peut-être, à des choix éthiques, du type peine de mort.

Vu la situation budgétaire, je pense probable que la part SS se réduise toujours davantage au profit des complémentaires. C’est très loin d’être idéal. Mieux vaudrait payer 1 € d’impôt de plus que 1 € + X de plus à sa complémentaire.

André Grimaldi

Réponse à Léon Régent

Ce qui est pour le moins interpellant, pour ne pas dire choquant, c’est qu’il n’y ait jamais eu de débat national sur ce sujet majeur notamment lors des élections présidentielles y compris lors de l’élection présidentielle de 2022 suivant la pandémie. Alors qu’en 2020, avant l’arrivée du vaccin, le Président Macron avait tenu des propos définitifs sur « les biens et les services qui doivent être placés hors des lois du marché », « l ’Etat providence qui n’est pas une charge mais une chance quand le destin frappe », et promettait des « décisions de rupture » en ajoutant « nous devrons nous réinventer, moi le premier ».

En ce qui concerne l’analyse de Léon Régent, trois commentaires de son commentaire :

1 La concurrence en santé, parce qu’il s’agit du bien supérieur dont la possession conditionne les autres biens, ne diminue pas les coûts mais tend à les augmenter (cf. les USA mais aussi la Suisse…). Non seulement elle augmente les coûts mais elle a tendance à détériorer la qualité des soins en plaçant les professionnels de santé sous la férule des assureurs. Raison pour laquelle, exemples à l’appui, j’ai l’habitude de dire « qu’un système de santé égalitaire et solidaire est une chance pour que les riches soient soignés aussi bien que les pauvres ».

2 L’hypothèse 2 est une défense de l’étatisation de la sécurité sociale achevée par Emmanuel Macron par la suppression de la loi Veil de 1994 qui imposait à l’Etat de rembourser à l’euro prêt toute exonération de cotisation. Alors que l’esprit du CNR était une cogestion entre les représentants des partenaires sociaux et l’Etat (pas une autogestion par les assurés selon la version racontée par Bernard Friot et Nicolas Da Silva). Cette cogestion pourrait être modernisée en ajoutant aux représentants de la démocratie sociale ceux de la démocratie sanitaire (professionnels et usagers) et en appliquant la règle d’or de l’équilibre des comptes entre les recettes et les dépenses (contrairement à la financiarisation de la CADES remboursée par l’impôt CRDS). Quant à la « responsabilisation » des assurés par les franchises, elle est évidemment inefficace pour les riches et aggrave seulement le retard de recours aux soins des pauvres (cf. IRDES). Mais surtout ce ne sont pas les assurés qui prescrivent les médicaments, les examens complémentaires, les arrêts de travail, les bons de transports, ce sont les médecins. C’est eux qu’il faudrait responsabiliser. Mais nous n’avons pas de réelle politique nationale de pertinence des prescriptions et des actes dont 20 à 30% seraient injustifiés, d’autant que le paiement à l’acte et la T2A poussent au contraire à la « production ». La seule « responsabilisation « des assurés devrait logiquement porter uniquement sur ce qui dépend d’eux c.a.d. sur leurs prises de rdv (et leurs « lapins »)

3 La manière de procéder pour aller vers la Sécu 100% serait la création d’une assurance complémentaire OBLIGATOIRE gérée par la Sécu selon le modèle du régime Alsace Moselle ( à l’équilibre financier) que l’on pourrait à la fois améliorer et généraliser (c’était en 2012 la position du candidat François Bayrou). Cela permettrait d’ailleurs de revoir la « gouvernance » de la Sécu en y introduisant un peu de démocratie sanitaire. Les convivialistes devaient être particulièrement sensibles à cette thématique de la « démocratisation de l’Etat », à l’opposé de la verticalisation du pouvoir en cours allant du présidentialisme macronien à l’autoritarisme trumpien. Les assurances complémentaires actuelles deviendraient des assurances supplémentaires pour ce qui ne relève pas de la solidarité nationale (soins de confort, bien être, médecines dites alternatives…).  

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