Article publié le 5 décembre 2024 par Ouest-France
Nous la ressentons aujourd’hui comme faisant peser des risques sur notre avenir et en même temps nous craignons son abandon. Voici que la France entière se dit opposée à l’accord de libre-échange avec le Mercosur, mais notre agriculture importe autant qu’elle exporte : l’agriculture comme le reste des activités économiques, et nous avec, sommes insérés dans les filets de la mondialisation.
Le piège de la mondialisation
Lors de la pénurie de masques pour la Covid ou quand Michelin supprime des emplois, nombre d’entre nous rêvons de restaurer notre souveraineté industrielle c’est-à-dire d’abandonner la mondialisation. Mais son abandon nous inquiète s’il procède de la menace protectionniste de Trump.
La mondialisation de l’économie, de quoi s’agit-il ? L’INSEE l’explique en indiquant que la France exportait ou importait 14 % de son PIB en 1965, et que c’est aujourd’hui 35 %. En 1962, les ventes de produits manufacturés étaient à 82 % made in France, en 2019 ce n’était plus que de 38 %. La tendance a été la même ailleurs, mais plus modérée en Italie (51 %) en Allemagne (52 %) et surtout aux États-Unis (66 %) moins désindustrialisés que nous. Même nos exportations de produits ont un contenu en composants importés qui s’est élevé, passant de 15 % en 1965, à 30 % en 2019.
La dépendance vis-à-vis de l’étranger
Dans un monde de coopération, en paix, sans catastrophe, cette dépendance de l’étranger serait sans problème. Mais dans le monde tel qu’il est, c’est synonyme de risque. Et on voudrait y échapper en appelant à la souveraineté industrielle comme Elie Cohen dans son livre de 2022. Appel justifié de facto par l’étude que publie en 2023 la commission européenne qui souligne la dépendance stratégique de l’Europe dans plus de 200 produits.
Si on quitte le point de vue des classes dirigeantes, pour celui des populations, même en situation de paix et de coopération internationale, la mondialisation inquiète. En revanche, elle est indispensable aux grandes firmes qui l’ont forgée pour faire face dans les années 1970 à la crise de croissance dans les pays riches. Elles ont alors fait naître des lignes de production mondialisées pour réduire leurs coûts. Grâce à elles et à des innovations numériques, la production mondiale a pu croître, certes aux dépens de l’environnement. Mais la réduction des coûts a permis aux consommateurs d’acheter, même avec un salaire réduit.
Baisse des pouvoirs d’achat, gains des actionnaires
Les gains de pouvoir d’achat des salaires, après la fin de la croissance forte, ont en effet été stoppés avec la mondialisation. En France, ce pouvoir d’achat a stagné après 1978 puis baissé à partir de 2017 (IRES, 2023). Déclin du pouvoir d’achat, du taux de croissance et forte augmentation des inégalités, en premier aux États-Unis. Tandis que, hormis la Chine -ayant su bénéficier des stratégies des firmes multinationales- et quelques pays d’Asie du Sud Est, le « Tiers-Monde » se traînait. Dans son rapport 2024, la FAO indique que 30 % de la population mondiale vit dans l’insécurité alimentaire.
Privés de croissance forte, les capitaux ont réussi, avec la libéralisation financière et grâce à l’invention des produits financiers dérivés sans contrepartie réelle, à trouver des paradis de valorisation artificielle. En 2022 leur montant atteint selon la BRI, 7 fois le niveau du PIB mondial.
Pour attirer des investissements dans leurs firmes, celles-ci durent les rémunérer au-delà de ce que permet le rythme annuel de la croissance mondiale : 3,4 % entre 1980 et 2022. Par des gains en capital et des dividendes. L’indice boursier américain S & P 500 a cru sur la période de 8,2 % par an. La rentabilité du CAC40 en France est du même ordre. Cet écart de rythme signifie extraction nette de valeur par la sphère financière sur l’économie réelle et donc sur le travail des salariés.
Cette mondialisation n’a pas apporté le bien-être des populations, mais en outre elle est un piège dont on ne peut sortir sans une refonte profonde du système économique et financier mondial.
Crédit illustration : https://www.lopinion.fr/economie/monde-dapres-mondialisation-le-retour
En 2007, Jean Ziegler écrivait « L’empire de la honte », où il montre bien que derrière des choix prétendûment économiques, il y a des choix de société(s), où le droit, la faim, la misère, le vivant tiennent peu de place face à l’appétit des « néoféodalistes ». Certains exemples sont datés mais toujours pertinents pour éclairer le présent.
Est-ce que les Convivialistes ont trouvé des remèdes, voire des vaccins contre l’Hubris ?
La mondialisation nous enserre parce que les détenteurs des pouvoirs de régulation, les Etats et les accords entre Etats ont autorisé tout cela et que les majorités dans les pays démocratiques ont donné le pouvoir à des élus qui ont approuvé, voté en ce sens; peut être pas toujours en se rendant compte ou en croyant ce dogme libéral: si les pays sont liés par des noeuds d’intérêts commerciaux ils ne se feront plus la guerre (militaire).
En France par exemple c’est le ministre de Mitterrand, l’ancien ouvrier Bérégovoy qui a acté libéralisation de la circulation des capitaux en 1986. Quelques décennies plus tard Hollande proclame haut et fort mon ennemi c’est la finance, c’est à dire ce que Bérégovoy a aidé à se constituer…
Quant à l’hubris, le manifeste convivialiste incite à sa maîtrise, mais il n’y a évidemment pas de vaccin connu, le premier pas pour retrouver la modération passe certainement pas un renforcement de l’éducation ou de la formation de base….bien convivialement Marc Humbert
Le piège de la mondialisation est parfaitement incarné par le tournant néolibéral pris dans les années 80 en Europe avec l’acte unique, qui inscrit en dur les théories néolibérales dans les traités et circulaires qui vont en découler. Dans ses différents ouvrages l’économiste David Cayla rend parfaitement compte de comment l’UE est devenue une mini-mondialisation en s’inspirant des travaux des penseurs les plus néolibéraux. La gauche française ayant activement concouru dans les années 80 à cette trajectoire pour viser un destin fédéraliste s’est séparé des classes populaires qui sont très largement parties vers l’extrême droite. Les partis de droite et de gauche ayant participé à ce grand mouvement néolibéral européen sont aujourd’hui impuissants et incapables de mener des politiques de type mix-policy. On pourra lire « populisme et néolibéralisme » de David Cayla, qui reprend de manière documentée cette dérive néolibérale en Europe et la situation que nous connaissons aujourd’hui en France. Sans remise en cause des traités européens, et une reprise en main par les Etats d’une bonne partie de leurs prérogatives pour gérer l’économie, il n’y a aucun miracle à attendre. Il faut aussi sortir du piège de l’Union Européenne néolibérale et au fédéralisme rampant.