Trois propositions de réforme synthétiques faites par L’Association des convivialistes au Pacte du pouvoir de vivre

 

Le Pacte du pouvoir de vivre a fait l’expérience il y a quelque temps qu’il est complexe de communiquer simultanément sur 90 mesures défendues par une soixantaine d’organisations membres, et qu’il pourrait être utile de dégager quelques mesures phares. L’Association des convivialistes, partenaire du Pacte du pouvoir de vivre, lui a proposé de mobiliser les compétences de certains de ses adhérents pour tenter d’aller dans ce sens. Proposition acceptée. Voici donc trois premières propositions. Elaborées par un petit groupe de travail elles n’ont pas été adaptées formellement et à l’unanimité de convivialistes (200 personnes environ).  Certains d’entre eux ont, bien évidemment, des réserves sur tel ou tel point. Mais personne ne s’est opposé à ce qu’elles soient soumises au PPV de la part des convivialistes. Tous espèrent qu’elles puissent servir à ouvrir une discussion nécessaire. Même si elles devaient être finalement rejetées par le PPV, en tout ou en partie, les convivialistes auraient joué leur rôle en permettant de débattre. Par ailleurs, il faudra bien sûr travailler aussi dans d’autres directions, écologiques notamment. Mais testons déjà cette première étape. En précisant d’entrée de jeu que si certains (beaucoup…) jugeront sans doute insuffisant le montant de 540 €/mois que la mesure 2 propose d’attribuer inconditionnellement à tout adulte de plus de 18 ans, la mesure 3 doit permettre de dégager 100 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires.


Première mesure : instaurer la codétermination dans les entreprises.

Une des raisons les plus fortes de l’opposition à la réforme des retraites, portée et en définitive imposée par le gouvernement, tient à une pénibilité du travail particulièrement forte dans nombre d’entreprises françaises. Le climat y est tout sauf coopératif. Les managers français, purs produits du système des grandes écoles et vite convertis à la doxa néolibérale, sont dans l’ensemble peu appréciés de leurs salariés. Les choses changeraient radicalement si les entreprises s’ouvraient à la codétermination.

Paradoxe :  le droit ne connaît pas l’entreprise, il ne connaît que les sociétés. En sont membres les seuls actionnaires, pas les salariés, qui eux appartiennent à l’entreprise. Le droit des sociétés doit évoluer vers un droit de l’entreprise, pour prendre en compte le point de vue des salariés, desserrer l’étreinte de la finance et préparer la transition écologique. C’est ce que font les douze pays d’Europe qui pratiquent la « codétermination », partiellement et trop silencieusement : ce sont pourtant des pays particulièrement performants dans la mondialisation. Il est grand temps de la généraliser en France

A cette fin il pourrait être instituée dans les sociétés anonymes une codétermination plénière. Ce qui implique : 1°) Au sommet : un partage 50/50 du conseil d’administration (ou de surveillance) entre représentants du travail et du capital, qui choisit un directoire en fonction de ses compétences seules ; 2°) À la base : un conseil d’établissement (Betriebsrat en allemand, Works Council en anglais), composé uniquement de salariés, et avec des prérogatives importantes en matière d’organisation du travail. Le conseil d’administration surveille la bonne gestion de l’entreprise, mais aussi qu’elle ne nuise pas aux intérêts des diverses parties prenantes concernées – salariés, collectivités locales, consommateurs, sous-traitants, actionnaires. Il s’appuie pour cela sur un Comité des parties prenantes désigné par lui et sur de nouvelles normes comptables qui ne mesurent pas seulement la valeur financière de l’entreprise, mais aussi sa valeur sociale et environnementale.

Certains trouveront peut-être timide une mesure qui semble se borner à reprendre ce qui est déjà pratiqué en Allemagne (où les administrateurs salariés représentent 50 % du CA ou CS dans les entreprises de plus de 2000 salariés, et 30 % dans les entreprises de 500 à 2000 salariés) ou dans l’Europe du nord. Mais ce serait déjà une mutation plus que bienvenue en France où les rapports entre les managers et le reste des salariés sont notoirement problématiques. D’autres, les mêmes souvent, voudront aller plus loin dans la représentation des parties prenantes (consommateurs, associations écologiques, collectivités locales, etc.). Le danger est qu’ils ne soient soutenus par un patronat français, totalement réfractaire à la codétermination, qui verra là le moyen de l’éviter en noyant les administrateurs salariés dans un brouet de parties prenantes désignées par les directions d’entreprise.

Point important : l’insaturation de la codétermination permettrait également de brider l’explosion des inégalités qui sont d’autant plus fortes que les rémunérations des instances dirigeantes se décident sans contrôle de la part des salariés. L’adoption d’une telle mesure contribuerait donc à la réalisation des propositions… du PPV.

Cette mesure va dans le sens des propositions 6 du PPV (« encadrer les écarts entre les plus hautes et les plus basses rémunérations), 9 (« mieux articuler les temps de vie pour tous »), 12 « lutter contre les contrats courts et le temps partiel subi » ») du PPV (5 novembre 2021). .

Pour plus de détails, cf. Annexe 1


Deuxième mesure : simplifier radicalement le système fiscal

Le système fiscal français est un maquis impénétrable, truffé de chausse-trappes et de faux-semblants. Personne n’y comprend plus rien, ni ne sait clairement qui reçoit ou qui paie quoi, à quel titre et pour quel montant. Une réforme, très simple dans son principe permettrait de remédier radicalement à tous ces défauts en assurant par ailleurs aux plus démunis ou aux classes populaires à la fois lisibilité, visibilité et sécurité de leurs ressources de base[1]. En particulier elle supprimerait à la racine le non-recours aux aides sociales dénoncé par plusieurs organisations du PPV.

On présente ici une version volontairement minimaliste de la réforme envisagée qui a l’énorme avantage d’être réalisable à pression fiscale à peu près constante. L’augmentation souhaitable des minima sociaux (par exemple jusqu’à la moitié du revenu médian comme le suggère la proposition n° 1 du PPV) suppose un accroissement sensible des impôts payés par les classes moyennes et supérieures. Si cette perspective n’était pas politiquement envisageable il serait déjà bien se battre pour cette version minimale. En tout état de cause, elle a, croyons-nous, l’avantage de permettre la discussion. Sur quelles ressources fiscales faudrait-il compter pour  instituer un revenu minimal à hauteur de la moitié du revenu médian ?

Comment opérer cette simplification ?  En versant automatiquement à toute personne de plus de 18 ans un revenu de base d’un montant de 540 € par mois (le montant actuel du RSA[2]). Tous les revenus supérieurs à 540 €/mois sont taxés à 32 %. Les familles, par ailleurs, recevront 200 € par enfant de 0 à 14 ans, et 250 € de 14 à 18 ans. Ces revenus sont cumulables avec l’APL et la CMU.

Cette mesure est intégralement financée en portant la tranche actuelle d’imposition de 30 % à 32 %[3].

On peut juger son montant faible. Rien n’empêche de l’augmenter en trouvant d’autres recettes fiscales dédiées.  Mais, telle quelle, déjà :

  • Elle facilite la vie de millions de personnes parmi les plus démunies, incapables de s’orienter dans le maquis des régimes d’aide sociale différents et qui, trop souvent (dans un tiers des cas), n’osent pas demander et faire valoir leurs droits.
  • Elle accroît le niveau de vie des salariés du bas de l’échelle qui vivent en couple. Par exemple, un couple formé de deux personnes au RSA percevrait 307 € de plus qu’aujourd’hui. Un couple de salariés dont l’un est au SMIC et l’autre sans emploi au SMIC percevrait ainsi 297 € en plus par mois s’ils sont propriétaires, et un couple de deux smicards locataires 421 €[4].
  • Elle contribue efficacement à réduire la misère des jeunes, comme celle des agriculteurs ou des petits commerçants au bord de la faillite.
  • Elle permet de contourner bien des débats insolubles sur le fondement philosophique possible du RU. Sa première justification est ici d’instaurer une transparence fiscale qui permet de voir clairement qui paie quoi et qui reçoit quoi. Condition sine qua non de la justice fiscale et donc de la démocratie.
  • Un enjeu central, bien sûr, est la question du rapport au travail. Toutes les expériences menées à ce jour semblent montrer que la certitude de pouvoir compter régulièrement et à long terme sur un socle de revenu minimum favorise le retour à l’emploi et à l‘activité. Il sera bon que celui-ci soit aidé. Il le sera certainement mieux par des incitations positives que par une obligation de travail dont personne ne  sait qui l’organisera ni pour faire quoi.
  • Le passage de la tranche d’impôt sur le revenu de 30 à 32 % touchera (légèrement) les classes moyenne et supérieures. Mais les familles bénéficieront d’une aide sérieuse aux études de leurs enfants puisque ces derniers toucheront 540 € par mois à partie de 18 ans.
  • Et, bien sûr, c’est là une contribution décisive à la lutte contre la misère des jeunes.
  • Cette mesure doit permettre par ailleurs de lutter contre l’engorgement des universités en les dispensant de l’obligation d’accueillir des étudiants qui ne s’y inscrivent qu’en vue de bénéficier de la sécurité sociale étudiant ou de bourses.

Cette réforme va dans le sens des propositions 1 (« revaloriser les minimas sociaux »), 2 (« permettre l’autonomie dès 18 ans en instaurant un revenu minimum garanti »), 4 (« garantir l’accès et l’effectivité de nos droits en luttant contre le non-recours »), 62 (« réformer l’impôt sur le revenu pour plus de justice fiscale » du PPV (5 novembre 2021)[5].

Pour plus de détails, cf. l’annexe 2


Troisième mesure : Lutter contre les inégalités par la taxation des patrimoines

               Les travaux de Thomas Piketty l’ont assez montré, le plus grand facteur de l’inégalité économique et sociale aujourd’hui, c’est l’inégalité patrimoniale. Comment s’y attaquer sans susciter aussitôt l’opposition farouche, irréductible   de tous ceux (la majorité des Français) qui possèdent un petit quelque chose qu’ils ont peur de perdre ou de ne pas pouvoir le transmettre à leurs enfants ?  Très probablement, si l’on veut formuler une mesure populaire, en proposant de supprimer les droits d’héritage en dessous d’un niveau élevé de patrimoine qui reste à déterminer.

La 3ème mesure consiste à remplacer tout un ensemble de taxes et d’impositions, souvent inefficaces, voire contreproductives, par la taxation du patrimoine immobilier et mobilier. Un taux de 0,1 % par mois permettrait de dégager environ cent milliards d’euros de recettes fiscales nettes par an[6].Et en remplaçant les taxes foncières par un mesure simple.

– Cette imposition se substituerait aux droits de succession, sauf pour les très gros patrimoines.

– Elle remplacerait les taxes foncières et l’impôt sur les loyers

– Elle pourrait porter également sur les plus-values latentes

Si le PPV se faisait porteur d’une telle mesure, il y a fort à parier que son image possible d’inventeur d’impôts au profit uniquement de plus pauvres en serait profondément modifiée !! 

Elle permettrait, notamment de remédier en partie à la pénurie de logements locatifs dans l’esprit des mesures 15 (« faciliter notre accès à des logements financièrement abordables ») et 16 (« réguler les marchés immobiliers en réformant la fiscalité foncière » du PPV. Elle contribuerait également aux mesures 65 (« mettre en place une imposition rénovée sur les grandes fortunes ») et 66 (réformer la fiscalité des grandes successions ») même si ce point demande à être encore précisé.


[1] Le maquis des aides sociales ou des allocations familiales, par exemple, est à peu près inextricable. Pour les aides sociales il existe à l‘heure actuelle près de 200 cas de figure différents, et pour les allocations familiales une dizaine.

[2] Le montant officiel du RSA pour une personne seule est de 598,54 €/mois, mais le montant du « forfait logement » est déduit dans plus de 90% des cas = 71,82 €/mois. La différence est le montant maximal pour une personne seule, qui est soit propriétaire, logée gratuitement ou bénéficiaire d’une aide au logement = 526,72 €/mois. A quoi on peut ajouter 1/12e de la Prime de Noël, https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1325 :- 152,45 / 12 = 12,70. TOTAL = 539,42 €/mois. Chiffres de mars 2023.

[3] Et en conservant les tranches d’imposition à 41 et 45 %.

[4] En revanche, en raison du très haut niveau de la prime d’activité décidé pour apaiser la colère des gilets jaunes, un smicard célibataire propriétaire toucherait 22 € de moins et un locataire 92 €. C’est le seul cas de figure problématique. Mais, pendant toute la période de transition, personne ne pourra être contraint de sortir des dispositifs actuellement existants ‘il sont plus avantageux.  On trouvera le chiffrage de tout un ensemble de cas types dans la deuxième partie de l’annexe 2. 

[5] Elle entre également en forte résonance avec le travail mené par Daniel Verger et le Secours Catholique pour le Pacte du pouvoir de vivre. Les conclusions de ce travail, auquel ont participé ATD Quart Monde, France Terre d’asile, USH, Aequitaz, Centres sociaux, Solidarités Nouvelles au logement, et la CFDT, est présenté dans le document intitulé « Solidarité à la source », début avril 20923.

[6] A titre indicatif, les impôts à verser à ce titre seraient pour : 1. Ceux qui possèdent la moitié du patrimoine médian = 70.000 € (4e décile de patrimoine). RUP = 70 €/mois

One Reply to “Trois propositions de réforme synthétiques faites par L’Association des convivialistes au Pacte du pouvoir de vivre”

  1. j’approuve les 3 mesures proposées et dans l’ordre où elles sont proposées.
    il me semblerait utile de mieux montrer leur impact sur le dérèglement climatique en cours
    pour les rendre encore plus attractives.
    Cordialement
    Miuchel ADAM

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