L’alimentation, thème désormais installé au cœur du débat public, nous renvoie à la problématique plus large de l’évolution des systèmes agroalimentaires et donc à la production, la transformation, la distribution et la consommation de nos aliments.
La crise sanitaire a mis en évidence l’importance du concept de résilience alimentaire, c’est-à-dire de capacité de notre système à continuer de nourrir les populations dans de bonnes conditions en cas de crise majeure ; elle nous a aussi rappelé l’importance des équilibres des systèmes vivants et celle d’associer aux décisions les concernant tous les acteurs sans oublier les agriculteurs et les consommateurs.
L’avenir des systèmes agroalimentaires doit prendre en compte des conflits et des tensions : en termes de finalités, s’affrontent deux visions de l’économie : d’une part, celle de l’agriculture paysanne associée à des modes de transformation/distribution de proximités se réclamant souvent de l’Économie Sociale et Solidaire; d’autre part celle de l’agro-industrie, de plain-pied dans le camp du capitalisme libéral, s’auto-justifiant par la nécessité de baisser le coût de l’alimentation et par celle de nourrir le monde en détresse avec ses surplus. Sur le plan des stratégies, il existe une confrontation entre des visions montantes des problèmes à partir du terrain et des visions descendantes à partir des institutions, des technostructures, des lobbys, mais aussi entre des approches techno-solutionnistes, où la seule technologie serait en mesure de régler tous les problèmes et des approches socio-relationnelles, où les interactions des individus et des groupes constituent le moteur.
Une évolution majeure du système agroalimentaire est probable, mais sa direction reste incertaine. En France, deux scénarios pour nourrir la population française peuvent être proposés : un premier scénario (dit « ouvert et spécialisé ») qui consiste dans la poursuite du mouvement de spécialisation, de déconnexion de l’élevage d’avec l’agriculture et d’ouverture sur les marchés internationaux ; un second scénario (dit « autonome, reconnecté, demitarien») suppose au contraire une réorientation profonde du système agro-alimentaire français qui accroîtrait l’autonomie en intrants des exploitations et des territoires, diversifierait les rotations culturales en y intercalant des légumineuses fixatrices d’azote, fourragères (luzerne, trèfle…) ou à graines (lentilles, pois…) ou des arbres, selon les principes de l’agroécologie et de l’agroforesterie. Il est désormais acquis que les changements dans le domaine de la production sont en étroite interaction avec ceux qui relèvent des évolutions sociétales, culturelles et politiques. Par exemple, le régime alimentaire des ménages influence plus directement qu’auparavant les choix des acteurs de la production, de la transformation et de la distribution.
Malgré de multiples initiatives prometteuses le système économique dominant continue d’être celui de l’agriculture intensive tournée souvent vers plus de production et vers l’export et non vers la satisfaction des besoins liés à une production de qualité et une alimentation saine. Le choix qui s’ouvre devant nous au sujet des évolutions du système agroalimentaire français comme international est beaucoup plus qu’un choix économique à impact fort sur le climat et sur notre organisation spatiale. C’est un choix fondamental de civilisation pour l’avenir de l’humanité tout entière. La « grammaire des civilisations » de Braudel montre bien à quel point les évolutions agricoles ont, dans l’histoire de l’humanité, non seulement façonné les territoires et les concepts spatiaux, mais ont été des facteurs clés pour façonner la société tout entière et sa culture.
Pour aller vers un système agroalimentaire durable et résilient le plus rapidement possible, à un moment où la précarité alimentaire s’élargit et coexiste avec davantage de gaspillages, il est proposé le lancement d’un processus démocratique à la hauteur des enjeux (celui qui vient de s’opérer au sein de la Commission Nationale du Débat public en est une amorce), un changement de vision territoriale pour donner toute sa place à l’agriculture et au rural, quelques mesures « basculantes » susceptibles d’aider à l’accélération du changement dans une perspective de démocratie et de justice alimentaires, et situées au croisement d’un cadre national et des apports de l’action locale comme
- La mise au point d’un système de sécurité sociale alimentaire,
- Une réforme foncière qui aborde la terre nourricière sous l’angle de sa préservation, mais aussi de sa répartition et de ses usages.
Si des convivialistes ont tenu à s’exprimer sur les nécessaires mutations du système agroalimentaire, c’est parce qu’ils considèrent que l’on touche par là des éléments essentiels et assez fondamentaux qui illustrent certains des principes de leur Manifeste :
- Le principe de commune humanité appliquée à une activité universelle par nature mais qui requiert la prise en compte de la diversité des situations, des histoires, des cultures, des convictions, confrontée à des propositions globalisantes et uniformisantes
- Le principe de commune naturalité appliqué à une activité économique fondée en partie sur des cycles et des équilibres naturels, d’où l’importance de la recouvrance de nos liens avec la Terre doit changer notre regard sur l’agriculture, à l’heure où artificialisation des processus de production alimentaires est défendue par certains
- Le principe de commune socialité appliquée à un secteur qui requiert de faire société et communauté pour valoriser les initiatives et maintenir la cohésion sociale face aux dérives individualistes et corporatistes et face aux dominations des puissances politiques et économiques.
- Une légitime individuation à sublimer dans la recherche d’une commune humanité, socialité et naturalité.
Les transformations personnelles et les transformations sociales et structurelles doivent être pensées de façon complémentaire et non contradictoire. Et il n’y a pas pour cela de plus beau terrain d’expérimentation, d’invention et de débat politique que la manière de se nourrir, de nourrir les humains et de partager nos repas.
Le Conseil Économique Social et Environnemental (CESE), représentation de la société civile, vient d’adopter un avis « pour une alimentation durable ancrée dans les territoires » . Cet avis débouche sur trois préconisations :
- Renforcer la démocratie alimentaire
- Développer les systèmes alimentaires locaux et durables
- Mettre en cohérence les politiques publiques au service d’une alimentation rapide vers une alimentation durable
Ces préconisations doivent être entendues par les pouvoirs publics et se retrouver dans des dossiers comme la réforme de la PAC et dans notre politique d’aide au développement.
Pour l’instant, cela ne semble pas être le cas. Le débat amorcé doit s’amplifier : le dossier difficile et complexe de l’agriculture durable et de l’alimentation saine demande, pour être traité de façon approfondie, de décloisonner les échanges entre acteurs divers concernés en les aidant à débattre et à travailler ensemble. C’est sans doute dans les territoires, là où des initiatives nombreuses et prometteuses sont déjà en cours, que les nécessaires évolutions prendront corps pour amorcer une dynamique vertueuse.
Ce que je veux dire c’est que, même si personnellement je suis profondément contre l’industrialisation de l’agriculture, à mon niveau je fais ce que je peux pour cela. Néanmoins, je reste persuadé que l’agriculture sera industrialisée. En 2010, Bruno Le maire a mis en place la L. M. A. 2010 qui oblige la contractualisation. Le problème n’est pas la contractualisation en elle même mais la façon dont elle est faite. Or cette loi a donné la part du lion aux industriels, et croyez moi ils ne se privent pas pour se servir.
Il y avait d’autres solutions qui ont été soigneusement éviter. Il ne fallait pas que les agriculteurs puissent s’organiser et se défendre.
Cela va entraîner un agrandissement massif des exploitations agricoles et aura des conséquences sur notre alimentation et notre environnement.
Je pourrais parler des accords de libre échange qui vont abonder encore dans ce sens. Tout est fait pour industrialiser l’agriculture donc notre alimentation.
J’ai écrit tous les intrants toxiques !
Je suis impliqué depuis 1976 dans les premières associations purement bénévoles comme La Doucette à Cognac puis coopératives de diffusion de l’agriculture biologique. Notre Biocoop a aujourd’hui 12 salariés et soutient de très nombreuses initiatives locales et régionales dont Terre de Liens ANLP, etc.
Cordialement,
Michel
Il est permis de rêver à une agriculture paysanne, oui mais.
Oui mais, parce qu’il y a un MAIS!
Nous pouvons penser que l’agriculture est à la croisée des chemins, parce que la situation actuelle met en évidence la nécessité, quotidienne, de se nourrir et que nous sommes fragiles. Sauf que l’organisation de l’agriculture, les choix politiques depuis 50 ans, les volontés du syndicat dominant, donc des industriels, et …..la démographie agricole feront que nous iront, et même très rapidement, vers l’industrialisation de l’agriculture. Vous pouvez espérer un changement de paradigme agricole, alimentaire et économique MAIS l’agriculture va s’industrialiser!!! Même très récemment encore la chambre d’agriculture de Bretagne derrière un discours prometteur, volontaire et tentant de faire croire à une réorientation de l’agriculture faisait comprendre que nous allons avoir des regroupements d’exploitations agricoles, donc des agrandissements qui conduiront l’agriculture à s’industrialiser!
En 1970 dans le Finistère il y avait 30 000 fermes laitières aujourd’hui il reste moins de 2000. La moitié de ces 2000 fermes verront partir à la retraite sous 5 ans l’ agriculteur qui les « bichonnaient ». Ces départs seront compensés par des regroupements encore et encore. En 2040 il ne devrait rester dans le Finistère qu’environ 300- 350 exploitations laitières. Il en sera de même dans les 4 départements bretons et sans aucun doute ailleurs en France.
Croire que plus de céréales et légumes et moins d’élevages sera une réponse aux défis qui nous attendent. L’avenir est aux herbages donc aux bovins, désolé de vous contredire. Les pâturages sont sans doutes la réponse au défi climatique que nous allons affronter.
en lien un petit texte explicatif.
https://wikiagri.fr/articles/leau-la-pluie-les-secheresses-les-inondations/20965
Les fermes françaises, bretonnes d’élevage porcins ou laitières fonctionnent pour une bonne partie pour alimenter les exportations françaises. Les porcines à de rares exceptions près sont bien incapables de vendre leurs porcs en raison des cours sur le marché de Francfort et se trouvent pour la plupart d’entre elles concernant leurs recettes entre les mains des gros abattoirs et pour leurs intrants entre celles des grands fabricants d’aliments. Les revenus de la plupart des agriculteurs – dont un grand nombre ne sont pas propriétaires de leurs installations en cours de remboursement bancaires, voit pas des terres et bâtiments occupés sont malgré la PAC et autres des revenus avec lesquels ils ont dû mal à vivre. Les éleveurs laitiers pour la plupart ici aussi il y a des exceptions surtout de gros élevage et d’élevage bio, sont aux mains de grand groupes comme Lactalis avec lesquels ils doivent signer des contrats léonins qui les laissent en grande difficulté, en moins grande s’ils ont des surfaces de pâturage et de cultures de fourrage et de maïs pour échapper aux fournisseurs. Mais on exporte le lait partout dans le monde, éventuellement après l’avoir réduit en poudre
Bien avant même toute idée de réduction de la sur consommation de viande, la France doit en revanche importer ses légumes d’Espagne, du Maroc et aussi d’Allemagne etc…
La souveraineté alimentaire et d’autres impératifs rappelés par ailleurs incite à un plan de conversion de l’agriculture française en particulier. Une ferme d’élevage convertie en fermer maraîchères peut permettre de donner du travail et un revenu décent à beaucoup plus de personnes, et plus encore si c’est en bio qu’en conventionnel. Je n’aime pas le terme de « gisement » d’emploi mais c’en est un.
Se lancer dans un tel changement est certes terriblement difficile et hypothétique? Les tendances lourdes emmènent plutôt vers l’industrialisation d’une agriculture exportatrice, de porcs, de lait avec de moins en moins d’agriculteurs de plus en plus mécanisés sur des exploitations de plus en plus grandes. Et une résistance difficile d’à peine quelques milliers maraîchers qui font face y compris dans le bio à l’émergence du bio maraicher de type industriel comme les fabricants bio de carottes et de jus allemand distribué par les bio coop par exemple en France.
C’est une question non débattue dans l’espace politique citoyen qui engage pourtant notre avenir et une discussion élargie mènerait peut être à imaginer des mesures pour aller vers autre chose que cette agriculture industrielle d’exportation, néfaste pour notre souveraineté alimentaire, néfaste pour la planète et néfaste pour notre santé.
Pourquoi ne pas envisager le développement agroécologique dans de grandes unités de production? Il me semble même que ce serait une condition favorable à son développement. Une grande unité de plusieurs dizaines de personnes permettrait de dégager plus de moyens, aussi bien humains (force de proposition, de connaissance, d’emploi du temps…) que matériels au service de ce type d’agriculture. N’envisager le développement d’une agriculture agroécologique sous le seul angle de petites unités ne me semble pas une bonne condition. Il faut des unités de toutes les dimensions pour asseoir le modèle, sa biodiversité en quelque sorte.
Je vous suggère de lire Une question de taille d’Olivier Rey
avant d’aller plus loin sur les rêves de grande taille qui conduisent souvent à la Tour de Babel…
Cordialement, Michel Adam
Il me semble qu’un des deux problèmes globaux posés par l’agriculture nourricière mondiale à la Terre et aux humains n’ont pas été abordés; le fait que 80% des terres arables sont utilisées directement ou indirectement pour nourrir des animaux d’élevage et l’émission de gaz à effet de serre. Doit-on continuer tant d’élevage au lieu de produire des céréales et des légumes pour nourrir plus sainement les humains. C’est à dire leur permettre d’accéder plus facilement au minimum de nourriture pour la population de nombreux pays du Sud soit pour en finir avec une sur consommation de viande source de diverses maladies, obésité et maladies cardiovasculaires. En outre la planète souffre de la déforestation notamment en Amazonie dont la production pour l’élevage et l’élevage lui même sont responsable et par ailleurs cette « agriculture surtout pour l’élevage » fournit une part importante des émissions mondiales de gaz à effet de serre (Agriculture actuelle 24% du total, Elevage directement 50% du CH4).
Que pensent les convivialistes du principe de précaution et de l’interdiction rapide – mais négociée – de tous les intrants toxiques de l’agriculture ?
Quels sont les intrants en agriculture?
les produits fertilisants : engrais et amendements,
les produits phytosanitaires, de la famille des pesticides : produits utilisés pour l’éradication des parasites des cultures.
les activateurs ou retardateurs de croissance,
les semences et plants.
Interdire tous les intrants n a pas de sens; Si on est bien d’accord pour éliminer tous les intrants nuisibles pour l’environnement, l’homme et la biodiversité, la recherche actuelle de nouveaux intrants durables ne doit pas être condamnée sur le principe