mardi 17 décembre 2019

Parmi les questions cruciales qui se posent aujourd'hui à nous, il y a celles qui se rapportent aux moyens de la lutte contre le terrorisme, sur notre propre sol national aussi bien que sur les lieux où les démocraties occidentales, et la France en particulier, s'autorisent à intervenir militairement (Afrique sub-saharienne, Proche Orient).

Une première interrogation, évidente, porte sur l'articulation entre garanties des libertés individuelles et sécurité. Quelle que soit la manière dont on estime que cet équilibre doive être trouvé, ce ne peut être que sur la base d'un respect des principes de la limitation de la souveraineté, de la séparation des pouvoirs et du contrôle démocratique par des instances réellement indépendantes. Le maintien d'un état d'urgence pour une période illimitée, de même que la loi sur le renseignement, plus intrusive encore que le Patriot Act voté par le Congrès américain en novembre 2001, posent d'évidents problèmes à la préservation d'un Etat de droit démocratique, en même temps qu'ils interrogent la passivité avec lesquelles ces dispositions législatives ont été acceptées par les citoyens.

L'approche convivialiste admet certainement les contraintes liées à des situations de menaces réelles, mais quelle approche privilégier ? Comment répondre à  l'argumentation dite « pragmatique » ou « réaliste » qui fait appel à l'argument apparemment imparable de la « nécessité » ? Le respect des principes structurants du droit – par exemple, l'indépendance de l'autorité judiciaire – doit être posé comme une exigence inconditionnelle. On ne saurait raisonner simplement en termes d'efficacité. L'argument de l'efficacité  est bien trop « malléable » pour servir de norme.  Et il se révèle en définitive…inefficace.  Après tout, c'est ce type d'argument que la CIA a servi pendant des années à l'administration Bush pour justifier le recours à la torture [Voir le rapport du Sénat américain, déclassifié en décembre 2014]. De là, la nécessité d'instances indépendantes de contrôle qui devraient inclure des citoyens (sur la base de quelle désignation ? Le tirage au sort ?).

Un aspect des politiques sécuritaires mérite une attention particulière : le ciblage des citoyens par des moyens de surveillance (électronique et/ou drones) qui concernent, non pas les actes qu'ils ont effectivement commis, mais leur comportement, leur schème de vie. Il y a là des pratiques qui vont totalement à l'encontre du principe convivialiste de légitime individuation car, visant non pas des personnes connues dans leur individualité mais désignées dans leur « identité numérique » et qui les réifie, elles ouvrent à un type de société dont il y a sérieusement lieu de s'inquiéter. 

Dans la mesure où le convivialisme propose un changement radical de paradigme, il faudra se demander quelle alternative il peut apporter aux réponses militaires au terrorisme, dont on sait d'avance qu'elles ne résoudront pas les problèmes qui expliquent, pour une part son émergence et qu'elles contribuent à alimenter. La vérité, c'est que ici tout le monde cale, dès lors que la question se pose de savoir comment faire concrètement, ici et maintenant. Une chose est sûre, c'est qu'on ne saurait se donner comme fin « d'éradiquer » le phénomène puisque, dans les faits, une telle fin conduit à « éradiquer » des êtres humains. Je ne vois pas que le principe convivialiste « d'opposition maîtrisée » soit compatible avec une politique de type ouvertement « sécuritaire », surtout lorsque le sécuritaire tourne au sanitaire. Il n'y a pas de meilleur moyen d'alimenter des logiques de rivalité destructrice et de haine sans fin.

Ces questions, où s'articulent la philosophie politique, la philosophie du droit, l'éthique n'ont été abordées qu'à la marge, il me semble, par le convivialisme. Dans la mesure où elles interrogent l'avenir de nos sociétés démocratiques, elles sont pourtant centrales.

 

Michel Terestchenko

 

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