mardi 17 décembre 2019

Je présente ici un CR un peu inhabituel, moins condensé que d’habitude, pour mieux faire place aux interventions de nos amis du monde du sport. La rencontre s’est tenue dans les locaux du Centre EPS et Société, 76 rue des Rondeaux, 75020. Elle a réuni une cinquantaine de personnes, en grande majorité venus du monde du sport. Jean-Philippe Acensi, représentant de l’APELS (Agence pour l’éducation par le sport) n’a pas pu y participer. Très mobilisé par et dans le rapport Borloo (avec l’insuccès final que l’on connaît) il s’est trouvé appelé à l’Elysée au même moment.

La séance s’est comme d’habitude déroulée en trois temps. Dans un premier, Marc Humbert a présenté le convivialisme aux personnes qui ne le connaissaient guère. Sont ensuite intervenu : Alain Caillé, Yves Renoux (FSGT, Fédération sportive et gymnique du sport), Jean-Pierre Lepoix (EPS et Société) et Philippe Segrestan (Association Escalade ROC 14). On trouvera ci-après un résumé de leurs interventions (rédigées par eux-mêmes).

Après un agréable buffet dînatoire, un troisième temps a été consacré à la discussion, avec, notamment  deux interventions de Marc de Basquiat et Daniel Bougnoux, qui ont bien voulu les rédiger après coup et que l’on trouvera ci-après.  A.C.

  1. Eléments présentés en introduction par Marc Humbert pour situer « le convivialisme » à l’intention des participants impliqués principalement dans les mouvements « sportifs ».

Le convivialisme est un terme issu d’une réflexion d’intellectuels – académiques et non académiques- tous en dissidence de la pensée unique. Je veux dire la pensée la plus audible partout et la plus en usage par les principaux décideurs économiques et politiques. Cette pensée qui nourrit depuis les années quatre-vingt la tendance générale à la mise en œuvre de politiques qui construisent ce monde néo-libéral.

Des politiques favorables aux plus riches, aux premiers de cordées et en aucune manière réductrices des inégalités et des discriminations. Des politiques supposées économiquement efficaces, mais qui n’ont pas restauré la croissance alors qu’elles poursuivaient la destruction de la durabilité de notre planète.

Il est apparu à ces intellectuels que les fondements mêmes du fonctionnement de nos sociétés étaient en cause et qu’il fallait non seulement affirmer qu’un autre monde plus égalitaire, plus écologique était possible, mais qu’il était nécessaire d’énoncer des règles minimales. Des principes à respecter pour que le fonctionnement des sociétés entraîne sur un chemin menant vers cet autre monde souhaité, un monde qu’on ne peut se contenter de décréter comme possible.

Un point crucial qui nous est apparu est celui du moteur, de la mobilisation sur autre chose que celui qui depuis des lustres met en mouvement toute la planète : le projet de croissance qui justifie toutes les mesures malgré leurs conséquences négatives tenues pour transitoires.

Ce qui nous a semblé pouvoir mobiliser les énergies, pour l’exprimer de manière positive, était de poursuivre la construction de sociétés où la qualité de la vie soit ressentie comme meilleure pour et par tous.

Il nous est apparu que c’était aussi ce qu’avait exprimé au début des années 1970 Ivan Illich qui forgea à cet effet le concept de « convivialité » et incita à construire des sociétés conviviales. Des sociétés où il fait bon vivre ensemble, travaillant en prenant soin les uns des autres et de la nature.

Ne trouvant pas parmi le grand éventail des doctrines, idéologies, religions existantes, une qui, à elle seule, propose un ensemble de principes suffisants, pour constituer un socle à la construction d’une société conviviale, nous nous sommes efforcés de les repérer et les énoncer.

Ce sont les quatre principes présentés dans le Manifeste convivialiste dont le respect, dans leur interdépendance, constituent le socle de base sur lequel il semble possible selon les convivialistes de construire un monde post-néolibéral. Je les présente très rapidement.

Le principe de commune humanité qui de manière radicale s’oppose à toute discrimination.

Le principe de commune socialité qui s’oppose au crédo de la pensée unique selon lequel au commencement était l’individu, qu’il est donc roi et qu’il n’existe pas cette chose qu’on appelle société. Nous ne sommes rien sans les autres qui nous accueillent et nous acculturent. Il s’oppose à l’individualisme forcené qui prévaut dans le monde néo-libéral.

Le principe d’individuation qui proclame la volonté d’offrir à chacun la possibilité de s’épanouir, de son « empowerment » et s’oppose à tous les totalitarismes et fondamentalismes qui écrasent la liberté individuelle.

Le principe d’opposition maîtrisée. Les trois principes précédents- et celui-ci – doivent être respectés dans leur interdépendance. Il est clair que le principe de liberté individuelle appliqué à chacun, amène nécessairement à des trajectoires qui se croisent avec des désaccords, des confrontations. L’harmonie n’est pas spontanée, il faut reconnaître les conflits et trouver les procédures de résolution. Reconnaître les divergences et les oppositions est nécessaire. Cela est largement inspirée de Marcel Mauss.

La manière de résoudre les conflits ne doit pas être la loi du plus fort, celle de la violence et de la guerre. Pas non plus celle de la pseudo douceur du marché, c’est-à-dire la loi de celui qui a le plus de pouvoir sur le marché dans un cadre supposé de libre concurrence non faussée. C’est évidemment la voie de la démocratie, c’est-à-dire de la délibération démocratique qui est celle que prônent les convivialistes.

Face au monde néo-libéral les convivialistes ne sont pas les seuls à tenter quelque chose.

Il y a de multiples oppositions et luttes, certaines pour renverser des oppressions, locales ou sectorielles ou des gouvernements. Parfois éclairées par des idéologies ou des religions historiques.

Il y a des résistances de toutes sortes, dans de nombreux domaines partout dans le monde, contre l’emploi des pesticides, contre le réchauffement climatique, contre les paradis fiscaux, la spéculation financière, le harcèlement sexuel, contre les multinationales, le nucléaire…

Il y a des aménagements qui sont obtenus et qui permettent une certaine dose de pluralisme au sein du monde néo-libéral, avec en quelque sorte des oasis plus ou moins étanches où il y a au moins un peu de convivialité, comme tous ces mouvements de l’économie sociale et solidaire.

Il y a des efforts de transformation radicale pour progresser en humanité : c’est ce à quoi contribue le convivialisme.  Rénover les bases de notre fonctionnement pour éradiquer les racines du mal qui ronge notre monde et le remettre en route vers une humanisation approfondie.

 

  1. Intervention d’Alain Caillé

Avec cette séance, pour laquelle nous sommes les hôtes d’EPS et Société, le convivialisme sort d’un certain entre soi et je m’en réjouis. C’est là l’occasion d’une rencontre entre ceux que j’appelle des intellectuels professionnels (des gens qui écrivent des livres) alternatifs, et des intellectuels pratiques, ceux qui pensent moins dans la généralité qu’à partir de leur connaissance profonde d’un secteur d’activité particulier, ici le sport. Mais le sport est-il un domaine d’activité particulier ? On pourrait en douter puisqu’il concerne en réalité une très grande majorité de gens. Or ce domaine entretient des affinités électives particulièrement intenses avec le convivialisme. Quand on demande aux gens ce qui les motive à adhérer à un club sportif, la réponse qui vient en premier est : la convivialité. À certains égards sport amateur et convivialisme sont en rapport étroit. C’est dans le sport que s’expérimente le plus clairement la culture de la convivialité, de la convivance et donc du convivialisme (la philosophie  de la convivance). Mais, nous le savons bien,  le sport est aussi le domaine de l’hubris, de la démesure par excellence. Il illustre au plus haut point les séductions du néolibéralisme et ses dérives. La séduction est évidente. Les grandes occasions sportives mobilisent des milliards de téléspectateurs. Le sport apparaît ainsi comme le seul langage mondial effectif ; le seul universel concret. Mais ses  dérives sont tout aussi évidentes. La médiatisation du sport fait apparaître comme seul idéal, comme seul modèle à donner aux jeunes, celui du champion surdoué, un parmi des milliers ou des dizaines de milliers mettant ses dons au service de sa seule fortune personnelle, soigneusement abritée, le plus souvent dans des paradis fiscaux. Inutile de développer.

La question qui nous réunit ici est celle de savoir comment préserver et faire vivre un sport non déformé par l’hubris. Et, réciproquement comment le développement de ce type de sport peut contribuer à l’avènement d’une société convivialiste post-néolibérale. Des pas importants ont déjà été faits dans cette direction avec la rédaction par Jean-Philippe Acensi, dans le cadre de l’APELS (Agence pour l’éducation par le sport) de la charte « Fais-nous rêver » qui peut légitimement être vue comme une charte du sport convivialiste (http://www.lesconvivialistes.org/societe-civique/les-reseaux-amis-2/148-grande-premiere-une-charte-du-sport-convivialiste). Une charte qui ne se contente pas de traduire les quatre principes du convivialisme en un langage plus simple et accessible, mais qui, surtout, définit tout un ensemble de critères permettant de savoir si ces principes sont effectivement respectés Il me semble que si dans chacun des grands secteurs d’activité, l’Hôpital, la Prison, l’Ecole, l’Entreprise, etc.,  nous parvenions à rédiger et à faire partager des chartes du même type, alors nous aurions fait un grand pas en avant en direction de la sociétés post-néolibérale dont il est si urgent de définir les contours. 

Je voudrais maintenant essayer de préciser mon intuition de départ, celle qu’il existe des affinités électives particulièrement fortes entre sport et convivialisme. Mais pour les comprendre, il faut faire intervenir un troisième terme : le don (pour faire bref, je ne distingue pas ici entre sport et jeu).  Ce dernier n’apparaît pas ici par hasard. C’est en effet à l’occasion de deux numéros de La Revue du MAUSS, « L’esprit du jeu » et « L’esprit du sport », que se sont noués ou consolidés les liens entre le convivialisme, la FSGT et l’APELS. La Revue du MAUSS (Mouvement anti-utilitariste en science sociale) se donne notamment comme objectif de développer toutes les implications des découvertes présentées par Marcel Mauss en 1924 dans son célèbre Essai sur le don. En un mot : au fondement du rapport social, dans les sociétés archaïques, montre l’Essai, on ne trouve pas le marché, le donnant-donnant, l’achat et la vente ou le contrat mais ce que Mauss appelle la triple obligation de donner, recevoir et rendre. Bref, l’obligation de se montrer généreux, de rivaliser de générosité. Il ne s’agit pas ici de charité mais d’un geste politique qui transforme les ennemis en alliés.  C’est  en entrant dans le  cycle du don que les humains deviennent proprement humains, qu’ils apprennent à vivre en société. Mais le sport à sa manière fait la même chose. Dans le premier cas, le plus général, celui du don, il faut apprendre à savoir alternativement donner, recevoir et rendre (et demander, aussi). Dans le cas du sport on apprend à gagner et à perdre.

On voit donc se préciser le rapport au départ déconcertant entre don, sport, jeu et convialisme. Dans tous ces cas on rivalise pour donner, dépenser ou se dépenser en vue de créer de l’alliance et de l’amitié à travers cette dépense. On pourrait donc dire, sans trop forcer, que les grands donateurs, l’abbé Pierre ou Joseph Wresinski sont de grands sportifs. Et, réciproquement, même si ça saute moins aux yeux, que les grand sportifs sont de grands donateurs. Au minimum, ils se donnent à fond,  ils veulent « tout donner ».

Précisons encore ce rapport entre sport (jeu) et don : 1. Dans les deux cas, on agit au-delà de la nécessité et de l’instrumentalité fonctionnelle. 2. Sport et don créent de la réciprocité et une alliance par la mise en évidence de l’altérité. Le donateur peut être le donataire, et réciproquement, et, le perdant le gagnant, et réciproquement. 3. Dans les deux cas il existe une marge de jeu, un part d’indétermination. On ne sait pas si le don reviendra, s’il sera accepté et reconnu comme tel. Et il y a, par ailleurs, la glorieuse incertitude du sport.

Lorsque ça marche bien, les joueurs ou les sportifs accèdent à une jubilation partagée. Le sport apparaît ainsi comme un  fait psychique total. Il mobilise à la fois, le corps, l’esprit et les rapports  sociaux. C’est la raison pour laquelle il est si puissamment addictif, et se prête à toutes les déviations et les corruptions possibles. Pour laquelle il devient support d’hubris. D’hubris planétaire comme celle qui est au cœur du  capitalisme rentier et spéculatif. 

Notre question commune, celle qui nous réunit ici est celle de savoir comment défendre un monde proprement humain face à l’hubris néolibérale, comment défendre à la fois les valeurs de base de la société, le sens du don et de la décence commune, et les valeurs centrales du sport.  Il me semble que cela suppose que le monde du sport amateur rende plus explicites ses valeurs centrales et fasse comprendre que ce sont aussi les valeurs sur  lesquelles il est possible d’édifier une société post-néolibérale. Que s’il fait voir, vivre et éprouver en quelque sorte la convivance en acte. Et, réciproquement, il faut que les convivialistes prennent la pleine mesure de l’idée que dans une société convivialiste le sport non hubristique sera appelé à jouer un rôle absolument essentiel.

 

  1. Yves Renoux : La FSGT et le Convivialisme. Le sens d’une convergence

Identité et racines historiques

Le 17 novembre 1917, l’Humanité le quotidien fondé par Jean Jaurès, annonçait la création de l’Union Sportive du Parti Socialiste, acte de naissance du sport ouvrier dont la FSGT est l’héritière.

En 1934, dans le contexte de la lutte contre le péril fasciste, les deux fédérations sportives travaillistes socialiste USGT et communiste FST ont créé la FSGT (anticipation du front populaire). C’est une fédération sportive affinitaire ce qui signifie en affinité avec l’idéologie de l'espérance communiste. Depuis, son appartenance à cette culture, la lutte contre les inégalités sociales ont toujours été assumée, jamais reniée et font partie de son identité.

Plus d'un siècle après ce qui reste remarquable, c'est que la FSGT existe encore, alors que la plupart des organisations liées à cette galaxie ont quasiment disparues. Cette organisation n'est pas ringardisée et inspire toujours un engagement  militant qui fait sens auprès de toutes les générations pourtant dans un contexte de longue durée caractérisé par  :

- l'effondrement de la « religion de salut terrestre » et de ses partis avec l'échec du « socialisme réel »

- la destructions des « forteresses ouvrières », consécutive à la « grande peur » des grèves de 68 et la désindustrialisation...

- la déferlante de la marchandisation et du consumérisme dans le champ du sport depuis les années 80

 

Plusieurs déterminants éclairent cette relative réussite historique.

En résumé, la FSGT existe encore parce que :

- elle est ancrée dans la culture sportive, constituée par un sport associatif vivant et innovant, ouvert aux mouvement des connaissances

- elle a su rompre les amarres avec la conception Léniniste des organisations de masse en abandonnant la conception du centralisme démocratique pour  s’engager sur la voie  d'une démarche autogestionnaire, sans renier son appartenance à la culture et à « l'espérance communiste ».

 

Comment,  refonder le sens sans se renier ?

La soi disant fin des idéologies étant une idéologie parmi d'autres, à « quel saint se vouer » maintenant pour rester en devenir, alors que la politique instituée ne peut proposer des réponses clés en mains pour renverser la logique de l’aggravation vertigineuse des  inégalités sociales et faire face aux menaces écologiques,  systémiques constitutives de cette  nouvelle ère planétaire de « l’anthropocéne ».

La FSGT n'aurait pas « d'utilité sociale » et ne survivrait pas  longtemps sans être partie prenante consciente d'une grande espérance et d'un mouvement d'émancipation humaine. D’autant que le moteur principal de ses militants n’étant pas le profit, les médailles ou la conquête de position sociale, ils ont besoin d'un « carburant idéologique » qui fédère leur énergies. La question est posée, à quelle affinité et quel écosystème idéologique se rattacher ?

Depuis le mouvement social de 1995, puis dans le sillage de la manifestation de Seattle contre l'OMC en 99 et des forums sociaux, un mouvement alter mondialiste émerge avec  des figures de proue comme ATTAC. Un premier enjeu pour une « organisation historique » comme la FSGT qui a su innover sans se renier, serait de prendre conscience que son projet entre en résonance avec la multitude d'initiatives, organisations et associations  alternatives, qui dans le monde entrent en résistance créatrice avec les logiques mortifères de la domination néolibérales. Le second enjeu c’est d’identifier, situer et contribuer à l’attracteur idéologique qui évitera que cette  diversité ne reste éparpillée, fragmentée et ne soient cantonnée à un rôle de simple contestation ou de palliation.

De ce point de le mouvement fondé sur le mMnifeste convivialiste ouvre un point d’appui solide et une perspective à saisir, car il travaille sérieusement et sans dogmatisme à produire  « un fond de pensée, un consensus idéologique mondial  (politique, doctrine, connaissances) commun et ouvert pour que ces énergies convergent et  réussissent à affronter des puissances énormes et redoutables qui maintiennent en place l'hégémonie néolibérale et  amorcer une transition effective vers un monde post-tout-croissance et post-néolibéral »[1].

 

En affirmant son affinité avec ce mouvement,  la  FSGT  poursuit le sens de son engagement initial, mais en intégrant les leçons de l’histoire. Elle prend sa part pour relever les  défis « entropiques et anthropiques » que l'humanité doit relever au XXIème siècle. Pour la FSGT le manifeste est d’autant plus crédible qu’il s'affirme comme une « déclaration d'interdépendance » à grande échelle, ce qui fait écho avec les limites et difficultés de son expérience autogestionnaire dans les années 90, qui lui a enseigné que cette démarche  ne peut être durable et pérenne si elle n'assume pas conjointement un principe d'interdépendance.

Enfin pour un mouvement associatif aux adhérents  issus d’une diversité sociale et idéologique, le convivialisme laisse espérer que les écueils d'une pensée dogmatique et sectaire pourront être surmontés pour deux raisons. Parce que les contributeurs sont issus de quasiment tous les champs de la recherche et de l'université. Parce que  « il apparaît comme une tentative de combiner ces quatre grands systèmes de valeurs mises en avant par les quatre grandes idéologies politiques de la modernité (le communisme,

le socialisme, l’anarchisme et le libéralisme), en les adaptant à la découverte de la finitude de la

planète et de l’humanité, des limites de la croissance, et, symétriquement, à l’impérieuse

nécessité de lutter contre la démesure (hubris)... »

Le mouvement convivialiste pourrait constituer le nouvel environnement affinitaire, la niche idéologique et l'oxygène théorique dont une organisation comme la FSGT a besoin pour  poursuivre  sa contribution à la culture sportive au XXIème.

 

L’apport du MAUSS, une crédibilité renforcée 

Au-delà de l’adhésion  idéologique, cette convergence s’est ensuite renforcée après avoir pris en compte  les revues et thèses du MAUSS portant sur « L’esprit du jeu » et « l’esprit du sport ».  Les  thèmes ici abordées et développées étant également dans notre cœur de métier. Nous avons pu apprécier combien le MAUSS :

Prenait très au sérieux, la valeur culturelle, anthropologique et civilisationelle du jeu dans les sociétés humaines, dans la continuité des auteurs comme Huizenga et Roger Caillois.

Reprenait à son compte  la distinction, plus évidente en Anglais, entre le jeu  du point de vue de l’activité du joueur (To play) et versant du jeu côté (Game) qui tient également à cœur de  La FSGT, car cela permet de comprendre  combien  la  dialectique entre ces deux faces du jeu est un moteur de la création culturelle.

La FSGT considére en chaque sport, le jeu qui en constitue le code source. Pas tous les jeux mais ceux où la problématique du mouvement en constitue le cœur. Tout les jeux ou le joueur se propulse, propulse des objets ou pilote des engins

Le sport  résultant d’un processus d'institutionnalisation, puis de spectacularisation de ces jeux en poussant au maximum, voire à l’extrême la créativité au plan des habiletés motrices, des ressources énergétiques et stratégiques. Créativité qui se déploie au-delà au plan de la production des objets et dispositifs techniques nécessaires à la production, à l’appréciation et à la spectacularisation des performances et dont l’économie néolibérale fait son miel. Comme bien d’autres, la FSGT considère le sport comme un langage universel. Mais cette évidence ne doit pas occulter le phénomène continu de création/recréation du sport  dans sa forme véhiculaire et dans ses formes vernaculaires. Le sport en tant que création culturelle  ne devrait pas être réduit à sa forme véhiculaire même si elle est la plus prestigieuse, spectaculaire et support du marché mondial du spectacle sportif.

2 Enfin sur le terrain du sport proprement dit, la revue du  MAUSS, sans pour  autant tomber dans la pensée hagiographique du sport, ne cède en rien  aux facilités du courant critique du sport (Jean Marie Brohm) qui le considère  d’abord comme aliénation de masses et un opium du peuple. Certes ce courant  dénonce des phénomènes bien réels dans le sport, mais en occulte systématiquement ses contenus culturels et sa portée civilisationnelle.

 

Des concepts féconds.

1/ La mise en avant concept de « l'hubris », ouvre la problématique de la limitation de la démesure ouvre  féconde  pour penser la dynamique du sport à l'étape actuelle et fonder de nouvelles politiques sportives.

2/ La réactivation de l'apport  de Marcel Mauss dans son essai sur le don,  avec sa triple obligation de donner, recevoir, rendre, réactive la compréhension de la portée de la vie associative. Certes dès les années 2000, nous avions  compris et vérifié que la vie associative authentique était une forme de résistance, pas nécessairement consciente, au rouleau compresseur de la marchandisation. Mais la reprise réactualisée de cette théorie ouvre de nouvelles perspectives pour penser le sport associatif. L'associativité, l'engagement bénévole ne sont pas  un dernier vestige d'un passé glorieux, inexorablement en voie de disparition sous les coups de boutoirs du néolibéralisme mais encore une voie d’avenir pour une résistance créatrice au néolibéralisme.  C'est une « constante anthropologique » du lien social, sur laquelle s'appuyer pour penser le sport  qui se pratique « au-delà du marché » et ouvrir « des nouvelles voies de la démarchandisation » comme nous y invite Bernard Perret.

Cette référence ouvre également la voie aux nouvelles connaissances et éclairages théoriques apportées par Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, avec leur dernier ouvrage « L'entraide l'autre loi de la jungle » dans le sillage de Kropotkine. Enfin toujours dans le sillage de Marcel Mauss, les concepts de « s’opposer sans se massacrer » et « donner sans se sacrifier » aident à  penser des innovations au plan de l’organisation de la rencontre et des compétitions sportive ainsi que de l’engagement associatif  et militant.

 

Perspectives pour un sport convivialiste

Nous pouvons avancer sans arrogance que la culture sportive, en particulier  associative, peut populariser le en incarnant des principes à considérer dans leur interdépendance.

  Principe de commune humanité : C’est évident vu la popularité du sport en appui sur les grandes compétitions internationales. Mais cette approche spectaculaire ne devrait pas occulter une nouvelle priorité. Un sport en devenir convivialiste qui n’oublie personne se devrait d’aller à la rencontre des invisibles que ce soient pour  causes d’inégalité sociale, de situation de handicap  et de discrimination, ethnique, de genre ou religieuse. Une perspective : « Quand  tout le monde entre dans le jeu, le monde gagne »

 Principe de commune socialité : La socialité sportive ne devrait pas être réellement réservée aux milieux privilégiés et solvables ou dans les milieux défavorisés aux jeunes espoirs compétitifs. Un sport convivialiste devrait susciter une grande diversité de formes de socialisations, d’affiliations conviviales tout au long de l’existence et dans tous les milieux. « L’essentiel est de participer » affirmait Coubertin. C’est toujours un défi à relever.

 Principe d’individuation : …« permettre à chacun d’affirmer au mieux son individualité singulière en devenir, en développant sa puissance d’être et d’agir sans nuire à celle des autres ». Tout au long de l'existence, la pratique sportive, par les apprentissages et l'entrainement qu'il suscite, engage chacun à révéler de nouvelles aptitudes, développer de nouvelles capacités, affirmer sa singularité,  maintenir la joie de l'activité physique le plus tard possible. Le sport est  potentiellement une voie d’accomplissement pour tous les pratiquants et pas seulement les élites sportives.  « Que tout le monde entre dans le jeu et progresse »

 Principe d’opposition maîtrisée et créatrice  « s’opposer sans se massacrer ».

Avec la compétition le sport participe de la civilisation des moeurs (Norbert Elias). « L'adversaire, c’est  l'ami qui vous fait progresser », telle était l’entrée en matière énoncée  dans les années 70 par Hubert Teste, pionnier de l’éducation physique convivialiste, du cycle de rugby mixte au Lycée de Corbeil. Cependant comme en atteste notre expérience en matière d’auto-organisation du sport et l’auto-arbitrage du football, beaucoup reste à innover pour initier une transition du paradigme de la compétition.  Comment  passer des politiques dominantes finalisées par la détection, la sélection et la valorisation des meilleurs aux systèmes susceptibles de « nous rendre meilleurs ensemble » : En inventant un sport sans élimination.

 

Enfin nous reprenons volontiers à notre compte  la perspective du Buen Vivir telle que suggérée

par  Patrick Viveret dans un texte émanant  du réseau « bien vivre en acte ».  « Il nous faut placer,

au cœur des mouvements sociaux et citoyens le Bien Vivre comme  un enjeu d’expérience et pas

 seulement d’espérance. Pour qu’une transition vers des sociétés du bien vivre soit possible il

 faut qu’il soit désirable. » Voilà une source d’inspiration stimulante pour des pratiques sportives

parties prenantes des transformations sociales.

 

Qu'attendre du club convivialiste et pour quoi faire ?

 Ce club est conçu pour une montée en puissance  pour contribuer à la mutation du sens commun. C’est un lieu pour que convergent, raisonnent et résonnent ensemble les intellectuels de professions  issus du champ universitaire et de la recherche et les intellectuels pratiques issus du champ associatif, du militantisme. Dans ce club pourrait se constituer une entité « Sport et Société » rassemblant des acteurs crédibles, des militants du mouvements associatif et sportif, de l’éducation physique et de l’éducation populaire, des universitaires,  des chercheurs, des journalistes, des  sportifs de renom, des écrivains, des professionnels des métiers du sport  … qui ont en commun d’entrer en résistance créatrice contre les critères et politiques néolibérales dans le champ du sport. Ce « collectif » s’enrichirait des réflexions de fond apportés  par le convivialisme  et en retour travaillerait autour de trois directions :

 

1 Rendre visible et théoriser les expériences anticipatrices dans le sport qui se pratique perçues comme prometteuses.

2 Identifier, traiter des questions de fonds posés par l’évolution du  sport au XXème siècle et sa confrontation aux perspectives du convivialisme.

 3 Créer des événements colloques, séminaires mais aussi concevoir des événements sportifs de type nouveau qui incarneraient les valeurs convivialistes. Comme les olympiades du sport convivialiste, car l’olympisme est un bien commun de l’humanité, il n’est pas la propriété des grandes multinationales ni du CIO. (Nous y reviendrons dans un autre texte)

  

  1. Jean-Pierre Lepoix (EPS et Société): A propos de l'esprit du sport

 

Le centre EPS et Société est une association créée par le SNEP, syndicat corporatif, qui s'efforce depuis 1969 de lier la défense corporative des enseignants d'EPS et celle de leur discipline, menacée en permanence depuis son existence de n'être pas pensée ni organisée comme discipline d'enseignement. Ce qui est explique notre acharnement à mieux définir ce qu'elle est, et à contester tout ce qui, à nos yeux, la fragilise comme telle.

Comme toute discipline d'enseignement elle a un objet d'étude à présenter à l'apprentissage des jeunes. Pour nous  cet objet est le sport ( auquel il convient d'ajouter les arts corporels : la danse et le cirque) ou plus exactement les pratiques physiques et sportives.

L'EPSest donc pour nous le produit de l'étude des PPSA comme le dirait Michèle Arthaud.

Cette approche implique de savoir ce que nous entendons par sport puisque qu'on en dénombre aujourd'hui des dizaines de définitions plus ou moins complètes voire contradictoires.

 

Le sport : des œuvres à transmettre

Aujourd'hui le sport est sans doute l'activité humaine qui, par sa diffusion planétaire, a pris une dimension universaliste, au point de concerner des groupes humains dans les régions les plus reculées du monde, pour lesquels s'organisent des compétitions (les indiens du Brésil par exemple ou encore les mini jeux du pacifique).Quelle est donc cette activité ?

Pour reprendre Tristan Garcia :  ... le sport, ça rend folle la pensée. C’est pour cette raison qu’en réfléchissant sur le sport, on oscille entre la critique radicale et la fascination éperdue...Si on se réfère au sport tel que massivement véhiculé par le système médiatique, traitant pour l'essentiel de la haute performance, de nombreux arguments viennent soutenir chacune de ces deux thèses. Pour autant doit-on les renvoyer dos à dos ? Au nom de quoi contester aux hommes et aux femmes, sous prétexte de la démesure du sport de haut niveau, le droit de s'exercer à se développer jusqu'au plus haut de leurs possibilités, et à se confronter entre « experts » d'un domaine d'activité où toute la personne est impliquée ? Par contre peut-on laisser en l'état un système qui révèle au plus haut niveau son fonctionnement antidémocratique, corrompu par l'argent (CIO , FCI...) et dont on peut trouver ici et là les stigmates jusque dans certains clubs ? L'idéal démocratique initial à la création du sport est bafoué. Peut-on encore poursuivre l'escalade du gigantisme de certaines rencontres internationales et de leur accompagnement de dépenses indécentes, d'expropriations …. et au bout du compte de dettes à la charge des citoyens ?

 Heureusement la pratique sportive ne se réduit pas à la seule haute performance traduite et organisée par un système économico-politico-médiatique, lui même inséré dans le système capitaliste avec les valeurs qu'il véhicule. Fédérations affinitaires, clubs locaux, bénévoles et sur un autre plan, pratiques alternatives, notamment urbaines, montrent à la fois, l'engagement à satisfaire les besoins en la matière, notamment pour les couches les plus populaires et en particulier en direction des femmes, comme la capacité de rébellion, surtout d'une partie de la jeunesse, contre certaines structures sportives ou le ministère des sports

Pour ce qui nous concerne, en qualité d'éducateurs, nous voulons nous référer à une vision anthropologique l'activité humaine. Celle qui a amené, dès l'origine, les hommes à jouer, jouer avec, jouer contre, se jouer de...autrement dit s'éprouver, performer, se confronter, au sens de Bernard Jeu. Créer, grâce à l’épreuve, une nouvelle performance, c’est-à-dire, au sens anglais, un nouvel accomplissement de soi, dit J.Rouyer. Ce faisant, ils se sont donnés des règles constituant au fil du temps un patrimoine de ces inventions humaines culturelles pour se développer : des œuvres, au sens de I.Meyerson pour qui « l’action, la pensée humaines s' expriment par les œuvres. Cette expression n'est pas un accident dans le fonctionnement mental. L'esprit ne s'exerce jamais à vide; il n'est et ne se connaît que dans son travail, dans ses manifestations dirigées, exprimées, conservées. Voilà le sens que nous donnons au sport et nous pensons que ce sont ces œuvres que nous devons transmettre par une transposition didactique critique dans le système scolaire à tous les jeunes.  Léontiev  a montré que le développement psychique était de nature historique et sociale et dépendait de l’appropriation des productions de la culture humaine au sens large.

 

 Dans L'esprit du sport, vous posez la question de savoir ce qu'il reste de jeu dans le sport ? Quand on la pose à un athlète il répond : c'est magique ! De quoi parle t-il ? Du résultat que lui procure ces perceptions, ces sensations fines qu'il identifie comme des réponses nouvelles à ce qu'il exige de lui même dans sa pratique, il s'ouvre un nouveau monde, un champs inconnu qu'il va investir, auquel il est très attentif. Par exemple, au niveau des perceptions c'est sans doute plus vrai pour un joueur de sports collectifs, où la réponse collective à un problème, résultat de la maitrise d'un réseau de déplacements coordonnés, va être trouvée avant l'adversaire : c'est jubilatoire ! n'y a t-il pas là quelque chose qui rappelle l'activité des plus malins dans le jeu de la cours d'école, le niveau mis à part ? Au niveau des sensations, c'est de plus en plus fin et certains en viennent à dire qu'on ne peut tout dire avec les mots. Quand elles sont très bonnes, c'est ce ressenti qui fait qu'on ne lutte plus pour aboutir mais où le corps semble ne plus compter, tout devient léger: quelque chose d'un peu irréel, comme un jeu !

 

Le droit au sport pour tous, une conquête.

Bien sûr, en s'institutionnalisant, les jeux, puis les pratiques sportives peuvent devenir accessibles à tous, mais contradictoirement, elles peuvent aussi devenir le lieu d'épanouissement exclusif de ceux qui disposent du pouvoir, des codes et des moyens pour y accéder ? Créant ainsi discriminations et ségrégations. L'accès aux sports de tous devient une conquête, l'objet d'une lutte entre une aristocratie dominante et les couches populaires cherchant à s'approprier ces activités dont elles sont tenues à l'écart. Plus tard le même combat va mobiliser les femmes initialement totalement exclues. Voilà pourquoi le droit au sport pour toutes et tous passe par la reconnaissance de l'eps comme domaine de développement original et sa pratique obligatoire et gratuite pour tous à l'école. iC'est une lutte politique sur laquelle il semble que nous puissions converger.

 

Notre conception de l'éducation par le sport.

Pas plus qu'on ne parle de musique ou de mathématiques éducatives, il n'y a de sport éducatif. Pas plus que le jeu, en soi, ne garantirait l'épanouissement, la compétition ne se traduit systématiquement par la violence, la tricherie...( même si cela existe incontestablement). C'est de l'usage qu'on en fait dont il est question. Il y a des pratiques éducatives du sport, comme il y a des compétitions qui font grandir : pour Claude Onesta :...En compétition on fait avec les autres. L’autre n’est pas mon ennemi, il est ma chance. A mes débuts d’entraineur j’ai trop cru au langage guerrier. Je me suis départi de cette idée car pour un sportif de haut niveau l’idée d’ennemi ne lui parle pas...ou encore pour Y. Vargas : « On peut dire que le sport, comme fait de culture, rend pensable le conflictuel. Il présente une épure de l’affrontement, de la lutte, qu’on pourrait appliquer à des combats plus complexes afin de les clarifier et de les pouvoir dire.

Qu'entendre alors par pratique éducative du sport : c'est mettre les individus en situation de s'approprier les savoirs et les méthodes contenus dans chaque sport. Cette acculturation nécessite un apprentissage systématique en vue du plus haut niveau de développement possible pour chacun, certains choisissant d'en faire un lieu d'exploration et d'accomplissement dans la haute performance. C'est dans cette démarche de développement par et avec les autres que vont se tisser les liens, que vont émerger les valeurs, que va se conforter la santé...On trouve alors dans l'incertitude du résultat dans la compétition, comme dans sa réversibilité ( à condition que ces impératifs soient garantis, ce qui n'est plus le cas en Ligue1 de FB en France, par exemple) matière à échange et partage, et comme vous l'exprimez : don, contre don.

Comme l'exprime J. Ferran, « le phénomène sportif, dans toutes ses dimensions et toute sa complexité, présente certains caractères particuliers qui empêchent de l’assimiler totalement à autre chose que lui-même ». Faut-il donc en permanence l'instrumentaliser ici pour la santé, là pour la citoyenneté, ou encore la solidarité...comme si, en s'engageant dans une pratique sportive régulière, dans ce qu'il construit comme perceptions, sensations, relations au monde physique et humain, l'individu ne transformerait pas son capital santé et ses relations sociales.  Pour J.Rouyer, vu ainsi, l’éducation sportive ne peut être que subversive ou plutôt en cohérence avec une exigence de transformations sociales.

On n'en finirait pas, pour certains, de faire la liste des apports bénéfiques du sport jusqu'au moment où un drame, des violences... font changer de ton, alors on se retranche derrière la logique sécuritaire dans tous ses excès, privant les jeunes, par des réglementations absurdes, d'authentiques apprentissages incluant la maitrise du risque ...et puis on invente un sport santé, un sport citoyenneté... dénués de toute signification culturelle, de toute perspective de développement, d'impossibilité d'émancipation, visant des finalités jamais atteintes ainsi.

Es-il impossible pour autant d'associer une épreuve sportive à des valeurs humanistes ? Certainement pas, du moment que l'épreuve est authentique, qu'elle ne triche pas avec ceux qui s'y adonnent : un marathon est une épreuve importante pour laquelle il faut se préparer sérieusement sous peine de ne pas terminer. Qu'il soit associé à une cause pour laquelle les coureurs ont été informés et qu'ils partagent ne peut conduire qu'à la conscience de ce que les acteurs font et des raisons qui les y poussent. Qu'elles soient complémentaires, tant mieux.

Il semble que sur ces questions existent des différences voir des points de désaccords. Nous sommes disponibles au débat.

Vous l'avez compris, nous nous inscrivons dans une perspective culturaliste qui ne transige pas avec les faux semblants. Nous avons de l'ambition pour une jeunesse qui le vaut bien et qui a droit à ce qu'il y a de meilleur aujourd'hui dans ce domaine. C'est de ça dont nous voulons débattre.

 

  1. Philippe Segrestan. En quoi et comment l’activité d’un club sportif fsgt peut contribuer à un travail de transformation sociale

 

Pour apporter quelques éléments de réponse à cette vaste question, je propose de commenter quels effets le projet et les pratiques FSGT peuvent avoir sur les personnes et sur l’environnement social (le domaine sportif et au delà). Je m’appuie sur mon expérience de militant impliqué dans une association sportive d’escalade de la région parisienne et aussi sur un travail d’étude réalisé pour la direction de la FSGT  à partir de la question : comment améliorer l’animation de la vie associative à la FSGT en 2015

Précautions préalables

Ne pas «  se payer de mots » pour éviter de mettre  à notre crédit des effets sans lien, ou  sans lien direct, avec le projet FSGT.Accepter que ce que nous mettons en avant soit souvent partagé avec d’autres pratiques sociales ou culturelles (peu de choses nous sont spécifiquement spécifique …et c’est tant mieux !)La contribution de la FSGT  à une transformation sociale peut s’envisager de deux points de vue complémentaire : la vie associative et la pratique sportive

 

L’engagement personnel  ça se découvre !

L’activité associative quand elle repose essentiellement sur l’activité des  bénévoles nécessite une implication régulière des adhérents. L’absence de salarié renforce le rôle de chacun (si on ne fait rien, il ne se passe rien !). Les nouveaux adhérents sont d’abord surpris par ce mode de fonctionnement. (ils pensaient juste avoir acheté le droit de grimper )

- Certains vont rester dans une attitude consumériste sans implication.

 - L’immense majorité est surprise et souvent bousculée en voyant la qualité et la chaleur de ce fonctionnement bénévole. Ils découvrent par le réel de l’activité associative que d’autres voies que la consommation et la prestation sont  possibles et quelles apportent un supplément de sens.

- Une majorité des adhérents vont s’impliquer modestement sur des actions ponctuelles et là encore ils seront souvent surpris de découvrir que le bénévolat n’est pas une chemin de sacrifice mais source de réalisation et de rigolade !

- Enfin, et ce n’est pas nouveau une minorité va prendre des responsabilités ponctuelles ou pérennes.

  

Chacun doit pouvoir trouver chaussure à son pied!

 L’association est organisé en 13 domaine d’association bénévole (sorties, aménagement du mur, enfants ados, communication, site WEB, escalade pour tous …) chaque adhérent à son inscription opte pour l’un ou plusieurs de ces domaines il sera ainsi sollicité au cours de l’année. Cette diversification volontaire « des choses à faire » va permettre à la diversité des adhérents (âge, disponibilité, compétences…) de trouver une activité associative qui lui convienne. En multipliant «  les choses à faire » on multiplie les possibilités d’engagement.

Ce travail pour diversifier l’offre et la nature des « choses à faire » permet une augmentation importante du nombre de personnes qui va s’impliquer.

Mis à part ceux qui sont tombés dans la marmite quand ils étaient petits ! L’engagement associatif est progressif. Chacun à besoin  de vérifier par la pratique ; si il se retrouve dans cet engagement. Chacun à son point de départ, ses représentations, ses craintes, ses a priori idéologiques… En conséquence les manières de s’impliquer doivent être variées : on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. Il appartient aux responsables d’activités de proposer une diversité de forme d’engagement. Comme dans la comptine des enfants effeuillant les marguerites, il doit être possible de s’engager : un peu,  beaucoup, énormément, à folie !

 

L’autogestion c’est pas de la tarte mais ça vaut le coup !

 Comment faire pour que chacun puissent contribuer à la vie et au projet de la structure ?. Entre le démagogique « tout le monde peut tout faire » et l’autoritaire « les chefs décident et les autres exécutent » il y de grands espaces pour inventer pour essayer. Quelques points d’appui :

Le pouvoir d’initiative est plus important que les modes de décision.

L’association multiplie les responsabilités de décisions sur les différents domaines d’activité.

Chaque domaine d’activité bénévole décide de son activité à sa manière.

Réduire le vote au minimum, l’essentiel est dans l’élaboration collective  de la décision.

Minimiser les tâches et les pouvoirs des instances  de type bureau

Mise en place d’instance ouverte à tous pour informer débattre et décider

Le seul cadre qui s’impose à tous est le respect des grandes orientations du projet FSGT (accessibilité du plus grand nombre, vers des pratiques autonomes et émancipatrices, inscription dans une logique de transformation sociale)

Encore faut-il que ce projet soit conscientisé et approprié par les adhérents, ce qui demande du temps et des pratiques effectivement dans le sens des intentions annoncées.

 

Sortir de l’entre soi sportif

  En plus de leur vocation initiale d’auto-organiser les pratiques sportives des adhérents Les clubs sportifs peuvent jouer un rôle plus vaste. Ils peuvent contribuer  à l’animation et l’intervention sociale sur leur zone d’influence. De nombreux club organisent des activités en direction des publics qui ont peu ou pas accès aux pratiques sportives. Ce faisant ils se situent dans une démarche de solidarité et contribuent modestement mais concrètement à réduire des inégalités sociales et culturelles. Ils montrent ainsi un chemin pour une autre politique sportive qui ne serait pas centré sur ceux qui ont déjà accès à cette pratique culturelle qu’est le sport. La vie associative véritable, c’est à dire uniquement organisée par les membres associés engendre des relations sociales particulières. Celles-ci diffèrent d’une sociabilité purement affective comme les relations amicales ou familiales et diffèrent également d’une sociabilité de  subordination ou obligatoire comme celles présentes dans le travail.

Ces relations associatives ne se limitent pas au civisme ou à la politesse mais s’étendent à des choix, à des compromis, à des constructions collectives On peut faire l’hypothèse qu’être capable de coopérer avec d’autres, différents de soi, sans y être contraint est un gage de maturité personnelle, et de responsabilité. Cette forme de vie associative peut-être considérée comme une préparation théorique et pratique à la réalisation de rassemblement plus vaste et plus politique.

 

  1. Marc de Basquiat

 Il me semble nécessaire de clarifier ce qu'on désigne par "sport", qui à mon sens référe à 3 réalités très différentes :

1- Chacun de nous a pratiqué divers sports, ne serait-ce que dans le cadre scolaire, pour apprendre à maîtriser la machinerie de son corps, ce que Marc Humbert décrit joliment dans sa note par "bouger son enveloppe corporelle". Personnellement, j'ai adoré l'escrime, l'escalade, le volley, le karaté, la planche à voile et le dériveur, etc. mais ai été médiocre en tout, aucune importance. Je ne crois pas que le Convivialisme soit un enjeu à ce niveau, si ce n'est pour évoquer le "mens sana in corpore sano".

2- La pratique d'un sport en club est pour moi un moyen parmi d'autres de faire société, suivant des règles précises, où on peut certainement voir la société du "donner-recevoir-rendre" décrite par Marcel Mauss (et pas uniquement en boxe !). J'aurais tendance à mettre à peu près au même plan les sorties scoutes, les tenues franc-maçonnes, les clubs de bridge, de belote et autres sccrable ou la messe du dimanche... Dans tous ces cas, les acteurs se rassemblent pour pratiquer un rituel qui leur est commun, ce qui comble leur besoin d'appartenance. L'enjeu du Convivialisme dans le sport-intégration me parait évident. A la soirée, quelqu'un a pris la parole pour déplorer que les clubs de sports collectifs se vident au profit des abonnements dans des salles de gym. C'est sans doute un enjeu. 

3- La communion de spectateurs d'une performance sportive, dans un stade ou devant un écran. Les grands événements internationaux, comme l'olympisme de Pierre de Coubertin, ont une dimension politique. Voir l'équipe bi-coréenne de hockey alignée face à la Suisse en février restera pour moi un moment fort de l'année 2018. Lorsque le français Griezmann bat Marseille dans un maillot madrilène, il se passe également quelque chose. Bien sûr, les salaires démesurés des vedettes interroge. Personnellement, je préfère la Coupe Davis, collective, à la fièvre du classement ATP. Est-ce que le Convivialisme a quelque chose à dire sur le sport-communion-spectateurs ? Je ne sais pas. 

 

  1. Daniel Bougnoux

Je voudrais dire moi aussi, après Marc, que l’exigence d’une « pratique authentique » du sport, définie par Jean-Pierre Lepois comme non-utilitariste, m’a fait tiquer ou me laisse perplexe. Je ne suis pas choqué, personnellement, qu’on parle d’éducation par le sport, ce qui revient à mettre cette activité sportive au service d’un accroissement de la vie, de cette vie définie classiquement depuis Bichat comme « l’ensemble des forces qui résistent à la mort ». En moi comme entre nous.

C’est que cette notion d’utilité demeure, bien sûr, fort obscure ; comme celle de désintéressement chez Kant par exemple, qui veut par elle définir l’action vraiment morale mais tombe du même coup dans une aporie : à l’aune du désintéressement radical, personne ne passe le test, d‘où Kant conclut (c’est son rigorisme) qu’aucune de nos actions ne mérite d’être appelée « authentiquement morale »… La même aporie surgirait en art, défini comme une création désintéressée alors que l’artiste se reconnait aussi à la passion violente, exclusive de tout autre intérêt, qu’il met à créer.

Si tout ce qui est vital est, du même coup et bien sûr, « utile », comment appliquer au sport un critère anti-utilitariste ? En restreignant peut-être notre définition de l’utilité à l’entrée dans la sphère marchande, dans celle des rapports commerciaux et/ou spéculatifs. Le passage de l’amateur au professionnel risque donc d’aggraver l’utilitarisme, et chacun sent bien que la médiatisation, que la taille des publics constituent à cet égard une sérieuse menace, la triche, le dopage, les coups tordus n’étant plus très loin.

La pollution du sport par l’augmentation artificielle du corps (le dopage) autant que par la financiarisation sont donc deux écueils bien repérés, mortels pour une pratique « authentique ». Mais comment mieux définir cette dernière ? Par l’exercice d’un corps se mouvant dans et par lui-même, sans le secours d’aucune prothèse ? Sans doute, à ceci près que la prothèse commence très « bas » dans la pratique sportive. Je rentre moi-même d’une rando de huit jours à vélo entre copains, où nous ne pratiquions pas tous exactement le même sport puisqu’il y avait parmi nous des vélos électriques, et d’autres très légers qui valent plusieurs milliers d’euros (et donnent un plaisir légitime à leurs usagers). Où commence ici la prothèse, le dopage ? Le sport comme le jeu, ou la danse, peut se définir sans doute par les libres mouvements d’un corps autoréférentiel (qui ne se met pas, ce faisant, au service d’autre chose que ce libre jeu), mais cette auto-référence idéale du corps sportif, ou ludique, achoppe sur l’évidence séculaire que l’homme est un animal appareillé, ou une espèce « prothésée », sans que nous sachions toujours très bien tracer le partage entre la nature ou la vie du corps d’un côté et ce supplément de la prothèse… Ou d’un public qui pousse à l’hubris, au spectacle et à des manifestations foncièrement impures.

Je m’abstiendrais donc de réclamer une « pratique authentique » du sport, je soulignerais plutôt combien cette activité, comme celle baptisée « jeu », se révèle impure ou difficile à cerner conceptuellement.

 

 

[1] Les textes en italique sont extraits du manifeste convivialiste

 

 

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