mardi 17 décembre 2019

Le convivialisme ?

Nous voyons tout cela par notre petit bout de lorgnette de chirurgien-dentiste. En même temps, notre métier est intéressant car il est un carrefour entre :

- le Technique : entre hypertechnologie et chimie (matériaux et médicaments)

- le Médical : la prévention et l’éducation à la santé sont très efficaces, très rapidement (les jeunes en ayant bénéficié dès leur plus jeune âge n’ont plus de caries)

- le Financier : l’assurance maladie prend peu en charge, les complémentaires beaucoup, et il y a toujours un reste à charge pour le patient

AAA notre niveau, nous voyons une évolution très inquiétante et rapide vers une conception ultra-libérale de ces 3 points avec une absence totale du paramètre environnemental dans la réflexion :

- Pour le technique, évolution vers :

o une technologie qui ne correspond plus à nos besoins de praticiens (trop sophistiquée, pas fiable, pleine de gadgets,…) mais visiblement à un besoin d’ouverture de nouveaux marchés (très net avec les publicités et les formations « professionnelles » faites avec l’appui des labos),

o une chimie dont les effets délétères apparaissent au fur et à mesure des scandales sanitaires (Médiator) ou des études épidémiologiques (perturbateurs endocriniens, liens environnement-santé : explosion du nombre de cancers, de maladies auto-immunes, de baisse de la fertilité,…) ;

- Pour le médical : de plus en plus, les stratégies « nouveaux produits » nous éloignent d’une réflexion de bon sens sur les causes (par exemple, promotion d’un nouveau dentifrice « anti-érosion de l’émail », alors que ces érosions sont notamment créées par les sodas ou par les remontées acides gastriques liées au stress). L’alimentation par sa diversité, sa qualité (et là intervient la réflexion sur les modes de production agricole intensive et l’alimentation industrielle), sa quantité (lien avec notre imprégnation culturelle : « mange de la viande et tu seras fort », « les produits laitiers nos amis pour la vie ») n’est pas non plus interrogée dans une optique éco-responsable ;

- Pour le financier : l’Etat, en déficit chronique, doit répondre aux injonctions européennes. L’actuel projet de loi de santé ne fait ni plus ni moins qu’offrir la santé publique aux grands groupes d’assurances privés (qui seront rapidement suivis par d’autres investisseurs privés comme les banques et les fonds de pension), présentés comme des financeurs, alors qu’ils font simplement de l’avance de trésorerie et de la redistribution de l’argent de leurs adhérents. Plus grave selon notre lecture : la santé n’est qu’un produit d’appel pour ces financiers, le vrai marché étant celui de la dépendance.

Avec une vision plus globale, ces Financiers privés organisent le déficit de l’Etat avec l’évasion fiscale (2/3 de notre dette publique en 2012 : rapport du sénat), et obligent l’Etat à se désengager et à faire appel …. à eux, qui ne demandent que ça pour placer et faire fructifier leur argent.

Parallèlement, les conséquences d’une politique basée uniquement sur une réflexion et des objectifs économiques (et à court terme !) nous entraînent dans toujours plus de production de biens (donc toujours plus de pollution et de déchets), toujours plus de chimie de synthèse qui nous empoisonne et nous rend de plus en plus malade, ce qui fait de la santé un marché en pleine expansion, comme la dépendance (vivre de plus en plus vieux et de plus en plus malades : quelle aubaine !).

En même temps, apparaissent de fausses solutions à de vrai problème : la viande synthétique permettrait de diminuer la taille des élevages donc de moins polluer….et d’être cohérent avec le lien « trop de viande-plus de cancers colorectaux ». Perversité de cette logique.

On pourrait facilement imaginer que l’intérêt d’un petit groupe d’humains serait de rendre la terre totalement invivable pour l’homme, nécessitant, grâce à la technologie, d’aller vivre sur une autre planète, avec de super pouvoirs !

Pour revenir un peu sur Terre et dans le présent, le Syndicat des Femmes Chirurgiens-dentistes (80 ans cette année) a pour particularité de regrouper des femmes chirurgiens-dentistes de tous modes d’exercice (libéral, salarié, universitaire, dentiste-conseil,…) et de centrer sa réflexion sur le patient, et la relation humaine.

Nous inscrivons nos analyses dans l’intérêt général et dans le long terme, et tout ce qui est en train de se mettre en place nous inquiète au plus haut point.

Nous avons rencontré récemment un conseiller de François Hollande, et avons été surprises par la naïveté de la vision politique : entre le non accès aux soins pour tous (le contraire étant un objectif louable) et faire financer la politique de santé par le privé (leur choix), de ces deux maux ils pensent avoir choisi le moindre ! Vision qui nous semble dans une logique d’intérêt particulier (se faire réélire) et dans du court terme (aux prochaines élections) avec une confusion entre objectif et conséquences : l’intérêt général (l’accès aux soins pour tous) est-il vraiment l’objectif ayant pour conséquence de se faire réélire ? ou le contraire ?

Question qui se pose à tous les politiques, pris dans cette spirale de l’immédiateté… et de la pensée magique de l’immortalité !

Ma question en fait est très simple : comment faire comprendre à tout un chacun où se trouvent les véritables enjeux pour notre Planète, notre Humanité ? pour notre système de santé, notamment notre dentisterie ?

Et en corollaire : comment faire prendre conscience aux responsables politiques de leur responsabilité immense : dans une démocratie, c’est bien eux qui décident des lois et les votent ? Ils sont la source du changement, celui qui garantit les prises de consciences, les accompagne et les traduit en actes.

Bien évidemment, la vision que je vous ai présentée est à la fois caricaturale et simpliste mais nous nous tenons à votre disposition, car les échanges transversaux nous paraissent être riches et créatifs.

 

Le texte suivant, sur la situation de la dentisterie en Espagne, vous expliquera mieux ce qui est à craindre.

Et demain en France ?

Détartrage : gratuit

Scellement de sillons : gratuit

Visite de contrôle : gratuite

Composites : gratuites

Rétroalvéolaire, panoramique, téléradiographie de profil : gratuites

Extraction : gratuite

Traitement endodontique : gratuit

Ce n’est pas loin de chez nous : c’est en Espagne !

En seulement 15 ans, 9 facs privées, et la main-mise sur les cabinets dentaires par les assurances et les mutuelles, les cabinets dentaires espagnols sont passés d’un système de soins comparable au nôtre à un véritable cauchemar pour la Profession.

Cauchemar qui est maintenant aussi celui des patients.

Pourtant, la situation leur était favorable au départ : les réseaux mis en place par les assurances et les mutuelles, ainsi que l’augmentation importante du nombre de chirurgiens-dentistes (avec la création de facultés privées non soumises au numérus clausus) ont fait jouer à fond la concurrence.

Les prix ont fortement, voire très fortement diminué.

Les « clinicas dentales » (qui sont des franchises) ont poussé comme des champignons, au rythme de 80 par semestre.

Certes, les patients ont dû quitter LEUR cabinet dentaire et le praticien qui les connaissait bien. Mais en payant une cotisation mensuelle à leur assurance, ils avaient accès à une de ces cliniques dentaires pratiquant des tarifs très intéressants, et présentes à tous les coins de rues.

Les affaires étant les affaires, une véritable guerre commerciale s’est déclarée : pour attirer les adhérents, les assurances se sont lancé dans une surenchère de « produits d’appel » d’actes gratuits de plus en plus nombreux (cf. liste non exhaustive au-dessus)

Les patients ne pouvaient qu’applaudir des deux mains à cette chute des prix, notamment en période de crise économique sévère.

L’afflux très important de jeunes praticiens ( les chirurgiens-dentistes espagnols sont maintenant deux fois plus nombreux que la préconisation de l’OMS ! !!) a permis à ces réseaux d’assurance de s’offrir de la main d’œuvre bon marché, marché qui continue à être alimenté sans vraiment de limites par les facultés privées qui font payer les études au prix fort : plus il y a d’étudiants, plus elles font de bénéfices.

Quant aux assurances, leurs marges de manœuvre d’investissement dans ces cliniques dentaires étant nettement supérieures à celles d’un praticien libéral isolé créant son cabinet, le marché de l’offre de soins dentaires s’est très rapidement « épuré ».

Le retour sur investissement étant bon, le monopoly a continué….

Là commence le cauchemar pour les patients : car que croyez-vous qu’il arrive quand « on » a rogné au maximum sur les salaires des praticiens pour pouvoir maintenir cette liste d’actes gratuits inflationniste ?

- « On » rogne sur la qualité (implant + couronne pour un prix inférieur à celui du seul matériel. Augmentation des cadences d’actes)

- « On » fait de la surmédicalisation (3 implants pour remplacer une 16, soit 1 implant par racine. Dent dévitalisée et couronnée pour une simple carie occlusale)

- « on » manipule le patient (avec des dents blanches, on se marie plus vite)

- « On » fait des actes fictifs (caries imaginaires)

Nouvelle étape dans cette spirale : les banques rentrent dans le jeu.

Exemple vécu : un patient va voir sa banque pour obtenir un prêt pour des implants. La banque lui demande : « à combien la clinique dentaire de votre assurance vous fait ses implants ?». Et lui propose : « la banque a ouvert une clinique dentaire : vous pouvez non seulement avoir des implants beaucoup moins chers mais aussi bénéficier d'un prêt à taux d’intérêt préférentiel ».

Voilà l’affaire ficelée (et le patient avec) : et un client-patient de plus pour la banque ! Et un de moins pour la clinique de l’assurance…. Mais je ne doute pas que des astuces vont être trouvées pour le récupérer….

Je sens qu’en me lisant vous vous demandez : et les chirurgiens-dentistes, dans tout ça, qu’est-ce qu’ils deviennent ?

Et bien au départ, ils ont (pour beaucoup d’entre eux) signé avec les réseaux d’assurance : ils recevaient une prime et la garantie de bonnes prises en charge des prothèses pour leurs patients.

Puis le nombre de praticiens augmentant, les réseaux leur ont demandé un « droit d’entrée » dont ils devaient s’acquitter pour être référencés dans le réseau.

Dernière étape, les praticiens étant de plus en plus nombreux (les facultés privées continuant à former des praticiens à tour de bras), les réseaux d’assurances ont choisi les praticiens qu’ils conservaient parmi ceux qui avaient payé leur droit d’entrée : ce sont les jeunes moins exigeants sur leurs revenus, et bien plus nombreux, qui ont été retenus. Les autres ont été licenciés !

Certains praticiens espagnols ont changé de métier, d’autres l’exercent ailleurs, comme en France.

C’est un cauchemar aussi pour eux : je vous invite à lire les témoignages de quelques-uns sur le site du SFCD.

Il a suffi de 15 années.

Certes, la Sécurité Sociale existe en France. Certes notre Ordre et nos syndicats professionnels sont organisés, et forts. Certes, le rapport de forces Etat/Sécurité sociale-assurances privées-Profession garantit un certain garde-fou.

Mais jusqu'à quand ? Le projet européen d'ouverture de nos cabinets aux capitaux de non-professionnels, sous prétexte de libre concurrence, et la force financière de ces structures (banques, assurances, fonds de pension et autres) me font me poser la question :

Alors, demain en France aussi ?

 

Dr Nathalie Ferrand, Présidente de la Commission Eco-Responsabilité du Syndicat des Femmes Chirurgiens-dentistes http://www.sfcd.fr/

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