Suite à l’élection de maires écologistes dans plusieurs grandes villes de France comme Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Grenoble, Tours, Poitiers, le philosophe Thierry Paquot appelle à écologiser les conseils municipaux et à repenser l’organigramme autour de prérogatives transversales : l’urbanité, le bien vivre, l’hospitalité, le quotidien urbain, l’entraide, etc.
Article publié le 1/08/2020 dans Libération
La victoire des écologistes aux municipales ne se compte pas seulement en voix, d’autant que les abstentionnistes sont nombreux, mais par le remplacement de l’ancien organigramme par un nouveau qui adopte l’écologie comme méthode (de hodos en grec qui signifie «voie»). Si l’écologie est une voie, elle doit privilégier, et ce quels que soient le sujet traité, le processus, la transversalité et l’interrelation. Aussi, les prérogatives des adjoints ne sont plus thématiques (l’école, le logement, l’économie, la propreté…) mais transversales (les temporalités, la solidarité, la participation, etc.) Les décisions ne relèvent plus de la verticalité, souvent pyramidale du pouvoir, mais de la collégialité horizontale, à laquelle sont invitées les associations citoyennes et entendues toutes les paroles habitantes.
Quatre à cinq élus, tout terrain, inventent une nouvelle répartition des tâches et conséquemment une autre manière de penser et de faire. Chacun anime un ensemble d’élus, comme autant de capteurs des réclamations, des propositions, des rêves des citadins, petits ou grands, d’ici ou d’ailleurs. Il n’y aurait plus « Madame Déplacement » et « Monsieur Sécurité », mais les membres d’une seule équipe misant précisément sur le processus, la transversalité et l’interrelation pour satisfaire les demandes des habitants, avec leur concours, tout en faisant contribuer chacune et chacun à la réflexion collective. Dans un tel schéma, chaque élu consacre une journée par semaine à la lecture du même ouvrage et une demi-journée à en discuter avec ses collègues. En quoi ce livre me fait comprendre ce que je dois entreprendre ? En quoi vient-il réorienter ma conception et enrichir mes propositions ? Pourquoi lire un ouvrage sur «l’éthique de la terre», moi qui m’occupe de la scolarité ? Justement en m’incitant à intégrer au domaine scolaire la découverte du « milieu », les classes nature, les séjours à la campagne où l’on herborise, dessine, collecte, cueille et aussi cuisine ! Espérons que les villes dorénavant administrées par un·e maire écologiste montrent l’exemple. Il en va de même pour tout gouvernement, comme le suggérait en 2018 Carlo Petrini (initiateur du mouvement Slow Food) avec un « ministère de l’alimentation » qui devient celui de l’agriculture, de la santé, du mieux-être, des villes et des campagnes…
Prenons Paris comme exemple. Anne Hidalgo s’entoure de 37 adjoints. Je laisse de côté leur rémunération et celle de leurs collaborateurs. Les intitulés sont révélateurs de l’absence de vision unitaire. Une dizaine d’entre eux (urbanisme, construction, chantiers, politique de la ville, code de la rue, propreté, accessibilité, logement, transition écologique et climat, végétalisation des espaces publics…) pourraient travailler de concert sous la même dénomination : « l’urbanité ». De même la santé, l’obésité, « l’alimentation durable » (drôle d’appellation ?) devraient relever du même pôle, celui du « bien vivre ». Parmi les nouveautés, un élu à la Seine (bonne idée, déjà émise par l’association La Seine n’est pas à vendre, qui lui attribuait les ponts, les rives, la navigation, les relations avec l’amont et l’aval du fleuve, ses représentations, ses métiers spécifiques, sa faune et sa flore, son patrimoine, etc.), une élue pour « Paris 2030 » (2050-2100 serait préférable, compte tenu du dérèglement climatique, des mouvements migratoires, de l’obsolescence programmée des équipements… Et qui s’occuperait également du patrimoine, car le futur est un présent à venir se transformant inéluctablement en passé…), un élu au « tourisme et à la vie nocturne » qui devrait aussi s’intéresser aux fêtes, événements culturels, musées, qualité de l’accueil de l’autre, aux migrants ou « touristes en exil », etc. Là aussi des regroupements sont envisageables au sein d’une délégation à « l’hospitalité », à laquelle la culture serait rattachée. Laissons la risible « ville du quart d’heure » pour confier à cette élue le quotidien urbain, avec la politique temporelle des territoires qui harmonise les temps sociaux (horaires des administrations, transporteurs, employeurs, etc.) et les temps individuels (chronobiologie des humains comme du monde vivant), sachant qu’il en va de la santé publique comme des économies d’énergie, de la qualité de l’air, des rythmes scolaires, du ménagement des lieux à partir de la chronotopie, du genre et des cinq sens, etc. Le social est curieusement absent du casting parisien (là, devrait être créé un pôle « entraide »), tout comme les enfants, qu’on ne peut réduire à une question de droit (voir le manifeste « La ville des enfants et des jeunes : une ville pour tous ! »). Lorsqu’on écologise son esprit, il n’est plus possible de découper la réalité en tranches, car tout est lié, ce que confirme la récente pandémie du Covid-19.
Un conseil municipal qui place au cœur de ses réflexions et actions l’écologie, se trouve gêné par l’ancien schéma thématique. Aussi doit-il audacieusement expérimenter la voie d’une alternative qui exalte le processus, la transversalité et l’interrelation, non seulement pour rendre intelligible notre monde complexe, réorganiser tous les services, mais aussi et surtout pour offrir aux possibles les conditions de leur déploiement.
Je comprends et sympathise avec l’idée, mais ce changement de problématique pose des questions pratiques. Permettez-moi de les formuler « au ras des pâquerettes »…
Les fonctions précédentes étaient définies par des objectifs de production, celles-ci par des objectifs de dialogue et de mise en relation. On ne se battra plus sur les budgets mais sur le temps de parole dans des assemblées que mépriseront les soutiers qui resteront attachés a l’honneur d’être utiles.
Bref, il y a un danger évident de « réunionnite ».
Projet d’ensemble, culture commune et organisation matricielle (politiques transverses vs départements définis par des objectifs mesurables assortis des moyens appropriés), voilà comment usuellement on résout ces questions.
Rien dans cette approche ne s’oppose à ce qu’elle s’inscrive dans une perspective écologique. En revanche, il y a des freins objectifs : pour qu’une culture de groupe évolue, il faut du temps, beaucoup de temps et, pour que la mutation se maintienne, il faut que les processus d’évaluation, internes et externes, à tous les niveaux soient en accord.
Dans le cas d’une municipalité, cela implique la population, les appareils politiques et les médias.