Publié par Ouest France le 8 septembre 2022
« La Nature s’épuise, la Terre s’échauffe, ce dont sont responsables à la fois notre système de production dans sa totalité et ses engrenages et, tout autant, ce que nous produisons et consommons. » Photo Reuters Archives
Notre gouvernement veut prendre la bonne mesure des risques climatiques et se met à l’écoute d’une experte du GIEC, qui analyse depuis trente ans l’état et la dégradation du climat. Notre président nous avertit, à juste raison, que le monde en a fini avec « l’abondance ». L’abondance, c’était le rêve dont nous avions été nourris tout au long des trente glorieuses d’après-guerre ; malgré la litanie des crises depuis 1975, nos dirigeants s’étaient efforcés jusqu’ici de maintenir l’espoir que la glorieuse abondance reviendrait.
Beaucoup y croyaient, mais peu en ont bénéficié, la plupart en ont été exclus. La pauvreté est restée importante même dans les pays dits riches. En 1972, le rapport au Club de Rome avait sonné de fait la fin de la partie. Son titre en français était « Halte à la croissance
» soit encore, halte à l’abondance. Auditionné sur ce rapport par le Congrès Américain, l’économiste Boulding déclarait : « celui qui dans un monde fini, croit à une croissance infinie, est soit un imbécile, soit un économiste
».
Un bouleversement à l’échelle de l’humanité
Voilà donc cinquante ans que nous avons été dûment informés, mais nous n’avons pas encore pris conscience de l’ampleur de ce qui arrive. Un bouleversement à l’échelle de l’histoire de notre humanité. Qu’on le veuille ou non, qu’on l’accompagne ou non. Ou nous coopérons tous ensemble de manière conviviale en nous protégeant et en changeant de mode de vie. Ou nous subissons les impacts de plein fouet, chacun pour soi, nous opposant de manière dramatique. Quoi qu’il en soit, les changements en cours, ceux de l’épuisement des ressources et de la dégradation du climat, vont tout bousculer et réécrire le visage de l’humanité. Comme l’ont fait les trois précédentes transformations que l’humanit&eacut e; a connues.
La plus ancienne a été notre humanisation menée par quelques espèces de primates évolués. Seule la nôtre a survécu, encore animale, mais devenue humaine, inaugurant une forme de vie radicalement nouvelle. La seconde est survenue il y a une dizaine de milliers d’années. Ici et là, des groupes humains se sont fait agriculteurs, éleveurs ; sédentarisés, ils ont inventé l’écriture, les livres, bâti des cités et des empires. Et l’humanité a proliféré – de quelques dizaines de milliers d’individus elle a dépassé les 500 millions en 1650- la plupart d’entre eux vivant dans un monde de plus en plus artificialisé, matériel et intellectuel.
La troisième transformation, issue des Lumières, libère les individus jusqu’alors étroitement encadrés par des sociétés qui les soumettent corps et esprit, à des règles et des traditions. La liberté de penser et de conceptualiser va accélérer le progrès des sciences et des techniques. Celui-ci, joint à la liberté de tout contracter sur des marchés selon son intérêt, permet l’enrichissement privé et collectif. Permet la révolution industrielle, fondée sur une exploitation efficace et presque sans limite de la nature et des travailleurs. La démographie s’envole. Ceux qui ont été libérés ou espèrent l’être pensent que le processus ne s’arrêtera jamais. Aujourd’hui la société de liberté et d’abondance est loin de concerner les 8 milliards de nos congénères, mais la plupart d’entre eux en rêvent. L’homme est presqu’un Dieu, transformant la Nature jusqu’au plus intime des atomes et des gènes, imaginant même un cyber humain immortel.
Une grande restructuration indispensable
Pourtant la Nature s’épuise, la Terre s’échauffe, ce dont sont responsables à la fois notre système de production dans sa totalité et ses engrenages et, tout autant, ce que nous produisons et consommons. Ne nous trompons pas, sans ruptures radicales, nous ne pouvons pas espérer réduire l’ampleur des catastrophes qui nous sont promises.
Mais le contenu de la grande restructuration ne se présente pas sous un jour désirable. Abandonner la voiture individuelle pour le transport collectif, passer d’une alimentation carnée à une alimentation centrée sur des légumes, parsemer les paysages d’éoliennes bruyantes, réparer et recycler plutôt que se procurer le dernier modèle d’un bien, cesser d’extraire des ressources et les laisser dans le sol, renoncer à la vitesse et aux illuminations etc. Fermer des milliers d’entreprises devenues sans objet et supprimer leurs emplois. Même si de nouvelles et nombreuses autres entreprises sont créées, cela sera à tout le moins très difficile et très « pénible
».
L’âge de l’interdépendance et de la culture
Cette restructuration est-elle possible ? La sobriété de chaque entreprise et de chaque citoyen, en proportion de leurs excès actuels n’y suffira pas mais l’économie restructurée apportera à chacun de quoi vivre dignement. Avec une nouvelle définition et un nouveau partage des activités, des emplois, de la production. Et aussi le plein exercice des services publics, des biens communs. Le recul de la marchandisation compétitive qui a tout soumis ou presque à la valeur de marché. Le retour pour tous à une vie plus simple, sans quasi-monopolisation de certaines ressources, par quelques-uns. Les super revenus et les super profits ne seront plus possibles. Comme le préconisait Gandhi, il nous faut « Vivre tous, simplement, pour que tous puissent simplement vivre ».
La bonne nouvelle c’est que nous ferons ainsi éclore un monde désirable. Après la naissance de la vie humaine, après l’organisation de la vie agricole et urbaine, après l’ère de la liberté et de l’industrie, voici que va surgir une nouvelle avancée de l’humanité. L’âge de l’interdépendance et de la culture. Nos énergies et nos rêves, dans les limites du respect des uns et des autres et de la régénération de la Nature, peuvent se déployer sans autre contrainte, dans des activités physiques et des activités de l’esprit. Contribuer certes pour notre part au fonctionnement de l’économie restructurée, mais afin de pouvoir tous goûter la poésie de la vie, jouir de ce qui est beau, de ce qui nous donne un sentiment de plénitude et de communauté humaine, de communion avec la Nature. La musique, les chants, la danse, la littérature, les arts, les sports. Accomplissons la révolution culturelle !
» après l’ère de la liberté et de l’industrie » : liberté conçue alors comme uniquement individuelle et faisant fi des libertés collectives des époques précédentes ; par exemple dans la création et la gestion des communs… et au prix de combien de souffrances humaines ! Hugo, Balzac, etc.
« l’économie restructurée » : le terme est bien trop faible ; réencastrée disait Polyani, et redevenue partie d’un tout qui la dépasse, me semble plus mobilisateur.
oui à la révolution culturelle mais qui relie enfin tous les sens du mot culture au lieu de les séparer et de les cloisonner. Colere en latin signifiait cultiver et célébrer Dame Nature.