Une tribune de Jean-Claude Guillebaud publiée dans Sud-Ouest le 26/11/2021
Il arrive que paraisse un livre que vous attendiez sans le savoir. Je ne parle pas de littérature mais du mouvement des idées. Ce sont des cas où la simple vérité finit par l’emporter sur l’entourloupe. En l’occurrence il s’agit de la ruine de notre système hospitalier qui voici vingt ans passait encore pour le meilleur du monde. Aujourd’hui, comme on le sait ce n’est plus le cas.
Le livre du professeur émérite de diabétologie André Grimaldi, « Manifeste pour la santé 2022 » (*) tombe à point nommé. Avant de faire des propositions pour sauver notre santé publique, l’auteur raconte comment nous avons vécu plusieurs décennies de réformes absurdes. Le résultat final n’est pas brillant. Avec ses étapes chaotiques ; ses « vagues » qui reviennent sans cesse ; avec la crainte de voir système submergé par les rebonds de la pandémie, et le manque de lits disponibles, on voit bien que quelque chose ne fonctionne plus. Et cela ne date pas d’hier.
L’origine de ce naufrage remonte à une vingtaine d’années. Il est devenu si manifeste que les personnels hospitaliers commencent à déserter le navire, rompant avec une mission — guérir ! — qui éclairait toute leur vie. Non contents de manquer de lits à chaque nouvelle alerte, c’est déjà d’infirmière et d’aides-soignantes que nous manquons désormais. Durant les dix-huit premiers mois de la pandémie, le dévouement, l’énergie et la générosité de tous avaient permis de passer le cap.
On comprenait si bien la portée de cet effort que l’on avait pris l’habitude de les applaudir tous les soirs à vingt heures. Maintenant, non seulement les soignants, passé le cap des bravos, n’ont pas été gratifiés comme ils auraient dû l’être, mais ils demeurent parmi les moins bien payés de la vieille Europe.
Que s’est-il donc passé ? À la fin des années 1990, on avait entrepris d’appliquer aux soins médicaux les postulats du néo-libéralisme : évaluation à l’acte (la sacro-sainte T2A), établissement d’un business plan, évaluation régulière et coûteuse de « l’efficience » des établissements, etc. Il s’agissait de standardiser et de mesurer tout cela, afin de pouvoir définir les coûts et tarifer au plus juste. Un tarif pour une prothèse de hanche, un autre pour l’infarctus du myocarde, etc. Il fallut aussi appliquer une faç on « arithmétique » de compter le temps de chacun : dix minutes par patient pour la toilette, cinq minutes pour revoir un pansement et ainsi de suite.
En 2009, la « loi Bachelot » avait supprimé formellement le service public hospitalier instauré par la loi Boulin de 1970. « Il n’y avait plus que des missions de service public qui pouvait être vendues à la découpe par les agences régionales de santé aux divers établissements qu’ils soient publics ou privés. » Trois objectifs étaient visés : accroître les recettes en augmentant l’activité, réduire les dépenses en raccourcissant le séjour des patients, contenir la masse des salaires.
Aujourd’hui, on n’ose plus parler comme hier d’hôpital-entreprise, mais le « néo-management » a triomphé. Une nouvelle bureaucratie néolibérale a simplement remplacé l’ancienne. Grimaldi estime que la détérioration programmée de l’hôpital public risque de donner raison à ceux qui poussaient à la privatisation. Au prix d’une grave rupture éthique. La règle n’est plus « le juste soin pour le malade au moindre coût pour la collectivité » mais « le soin compatible avec la rentabilité de l’établisse ment ». La logique a changé. Hélas !
(*) André Grimaldi, Manifeste pour la santé 2022, Odile Jacob.
l’idée de la rentabilité de l’hôpital est absurde : si l’on veut vraiment être rentable, il est évident qu’il vaut mieux supprimer l’hôpital, les médecins et tous les soignants, laisser mourir les malades , sacrifier les mal portants, et sélectionner les meilleurs embryons. Le dire comme cela choque à juste titre évidemment, mais c’est bien la logique qui sous tend l’idée de la rentabilité de l’hôpital.
Vouloir aider, soigner, guérir, soulager les souffrances n’a rien à voir avec cette logique de la plus value.
De même il est choquant de voir que beaucoup d’Ehpads sont gérés par des groupes financiers qui ne fonctionnent qu’avec des actionnaires recherchant un profit .