Toutes les communes de France se préparent à voter, tous les citoyens sont invités à réfléchir pour ré-aménager au mieux leur manière de vivre ensemble, au quotidien. Pour le bien commun, pour le progrès de la petite société qu’ils forment. Certes sans oublier l’interdépendance dans laquelle ils vivent avec les autres et la nature, une interdépendance aujourd’hui mondialisée.
Disons un mot sur ce quotidien que l’on veut ré-aménager. Ce n’est pas oublier cette interdépendance avec les communes proches, le département, la Région, la France, l’Europe, le Monde. Beaucoup de ré-aménagements nécessitent l’aval et l’action de niveaux situés au-delà du communal – mais il n’y a pas que des sujets qui dépassent la commune. Et toute nos actions individuelles et communales sont indispensables pour aider ou/et participer aux changements globaux qui impactent notre quotidien.
Le souci – convivialiste– d’un « mieux vivre, ensemble », à l’échelon communal, s’explicite en ce moment par l’emploi d’une référence au convivial, à la convivialité, que font dans leur programme diverses listes – qu’elles soient de sortants ou de potentiels entrants. Et cela un peu partout dans le pays.
Dans l’Ouest, en Loire Atalantique, à Rézé, une liste s’est constituée « Pour une ville conviviale et solidaire ». En Région Parisienne, à Palaiseau dans l’Essonne une liste s’intitule « La conviviale », à Maurepas, dans les Yvelines, une liste s’est formée « Pour une ville conviviale et une politique responsable ». A Arvieu dans l’Aveyron, certains promeuvent « une commune attractive, innovante et conviviale », tandis qu’à Tersanne, dans la Drôme, une autre proclame que la ville est « une commune simple et conviviale » ou à Lucenay, dans le Rhône, on se veut « une commune vivante et conviviale ».
Partout – là vraiment partout, sans exception- on organise des moments de convivialité, des salles de convivialité, on veut restaurer plus de convivialité etc. etc. On ne peut pas trouver un programme sans trouver au moins un terme qui fasse référence à convivial. Bref il y a bien une aspiration générale à mieux vivre, ensemble, et le mot employé pour le dire est celui de convivial-ité. Comment y parvenir ? A n’en pas douter par des actions, des mesures, des moyens, des comportements bien concrets et adaptés. Mais qu’est-ce qui peut guider nos pas vers cet objectif de convivial-ité ?
Ce ne peut-être qu’une philosophie de vie individuelle et collective qui aille au-delà de celles qui ont prévalu ou/et prévalent actuellement. En particulier qui aille au-delà du libéralisme, philosophie qui nous promet la liberté, mais pas la convivialité. La convivialité c’est plus que la liberté. La philosophie qui nous promet la convivialité c’est le convivialisme.
Le chemin municipal vers la convivialité
Je vais en présenter les éléments centraux qui peuvent guider sur ce qu’elle met au cœur du projet municipal : le lien social. Ceci suppose en premier que le plus grand nombre discute du projet général et porte par petits groupes des projets collectifs, pour la commune entière et pour des quartiers. La sécurité de chacun repose sur une inter-connaissance mutuelle que permettent ces projets, par des réunions pour les faire avancer et que soutiennent des activités sportives, culturelles pour toute la population.
Un lien social qui s’exerce en prenant soin de la nature -c’est le respect du principe convivialiste de naturalité et un souci écologique qui doit traverser tous les domaines d’action. Un lien social qui ne laisse personne de côté, la lutte contre toutes les discriminations, de sexe, d’orientation sexuelle, de religion, de facies sont contraires au principe de commune humanité : la fraternité tient à notre appartenance à la même et unique espèce humaine. Un lien social, qui doit tisser des relations de solidarité renforcée et conduit à des actions pour ceux qui ne s’en sortent pas bien seuls et pour des services publics dont nous avons tous besoin.
Il faut par cette solidarité en actes, reconnaître notre commune socialité. Un lien social, solidaire, qui ne doit pas être pour autant une chaîne entravant les initiatives. Bien au contraire, en respect du principe convivialiste d’individuation légitime, il doit soutenir chacun dans l’émergence de sa puissance d’être et d’agir, de son autonomie, au sein de la famille, de l’école, par l’éducation tout au long de la vie, les sports, la culture etc. Et puis par l’insertion de chacun dans la société en y trouvant sa place comme contributeur au bien commun du groupe ce qui passe par des activités de production de biens ou/et de services. C’est cette liberté qui a mille facettes et elle est en particulier celle qui permet d’avoir un emploi. Et pour y atteindre, elle oriente en ce sens les soutiens aux activités économiques guidées aussi par les besoins réels insatisfaits dans le territoire.
Il faut répéter qu’y parvenir exige une inter-connaissance nourrie d’inter-actions, de confrontations des opinions et des objectifs, et d’une négociation selon un principe convivialiste d’opposition créatrice. Il convient de procéder par des innovations dites ici ou là participatives qui combinent engagements individuels civiques, représentants d’associations, élus dans une démocratie renouvelée. Tous doivent pouvoir contribuer à définir ce que seront les actions destinées à cheminer vers ce qui collectivement sera considéré comme le bien commun. Tous devront respecter les mesures et les comportements à avoir pour y parvenir. C’est là l’égalité démocratique.
Il est clair que partout un danger guette. Qu’un petit groupe – bien intentionné ou pour ses intérêts propres- nourrisse l’ambition de convaincre et d’imposer ses idées, ses options définies a priori, sans avoir pris le temps d’une discussion avec tous ceux qui sont concernés par telle ou telle question et qui peuvent avoir des avis et des intérêts contraires. Qu’entraînés par la passion ou l’intérêt, certains soient tentés par l’excès, la démesure. Elle conduit immanquablement à mettre à bas l’une ou l’autre des recommandations que nous avons rappelées. Le convivialisme invite à un accord d’auto-limitation, c’est un impératif que d’éviter la démesure.
Cela s’applique à ces valeurs que nous venons de promouvoir, la naturalité, la fraternité, la solidarité, la liberté, l’égalité. Si l’on se focalise sur une seule et qu’on la porte à son plus haut point jusqu’à la démesure on obtient des dérives connues, le totalitarisme, l’étatisme, le néo-libéralisme. Gardons-nous-en, dépassons-les, en maintenant toutes ces valeurs de manière interdépendante sans accorder la domination à une seule et sans en négliger aucune.
Marc Humbert, Professeur émérite d’économie politique (unversité de Rennes)
Co-signataire du Second Manifeste convivialiste