mardi 17 décembre 2019

La discussion sur l’Europe est au point mort. Et ceci dans toute l’Europe. Sans doute parce que, alors que rien ne va plus, chacun ressent qu’il est tout aussi impossible d’avancer dans sa construction que de faire machine arrière. Confrontée à cette impasse, la pensée se bloque. On voudrait ici se risquer à examiner certains contours de cette impasse en se demandant s’il n’y a pas quelque part, malgré tout,  une issue de secours.

Une Europe structurellement divisée

Personne (même Angela Merkel)  ne croit plus que le projet européen puisse encore continuer sur sa lancée actuelle, en faisant comme si de rien n’était, comme si ses règles de fonctionnement, gravées dans le marbre parce qu’intrinsèquement bonnes et intangibles, devaient perdurer à jamais. Comme si  elles constituaient la réponse enfin trouvée aux énigmes de l’histoire, la voie assurée pour dépasser tous les conflits en amenant toujours plus de démocratie et de prospérité. Un exemple pour le monde et l’humanité. Se borner à opposer à la colère ou au scepticisme croissant des peuples un supposé progressisme  présenté comme le seul rempart possible face aux « populismes », de droite ou de gauche», diaboliser toute contestation d’un projet européen de plus en plus vidé de sens, ne peut qu’alimenter une montée aux extrêmes qui risque de tout balayer sur son passage des rêves de paix éternelle. Plus précisément :

            - L’Europe est un géant économique, oui, mais un géant économique passif. Elle pèse si on additionne les chiffres du PIB et du commerce international, mais n’ayant ni politique internationale ou militaire commune, pas de politique économique, écologique, industrielle, technologique fiscale commune, elle ne fait pas le poids face aux autres géants économiques[1]. Il suffit d’une décision de Donald Trump pour que toutes les entreprises européennes qui commerçaient avec l’Iran se désengagent aussitôt par peur des représailles. Les Gafam font ce qu’elles veulent en Europe en ne s’y acquittant que d’impôts dérisoires. La Chine est la grande gagnante de ses rapports avec l’Europe. N’ouvrant son marché intérieur qu’avec parcimonie, accumulant une puissance financière colossale, elle s’est appropriée une bonne part des avancées technologiques européennes et est en passe de devenir pour l’Europe un concurrent non seulement économique mais aussi technologique, financier, diplomatique et même idéologique redoutable.

            - La règle qui veut que toute décision importante ne puisse être prise qu’à l’unanimité interdit toute évolution significative du projet européen et explique en bonne partie la faiblesse de l’Europe face aux USA ou à la Chine. Elle voue à l’échec toute tentative d’harmonisation fiscale  et rend très compliquée la  lutte contre l’évasion fiscale ou la taxation des Gafam etc., ainsi que tout projet industriel ou écologique d’envergure.

            - Une des raisons qui explique les blocages actuels et la fétichisation de règles procédurales, au mieux discutables (la règle des 3% de déficit, la règle de l’unanimité) est que l’Europe est divisée en cinq ou six blocs dont les intérêts sont loin d’être nécessairement et harmonieusement convergents : l’Europe du nord,  elle-même très diverse, l’Europe de l’est, l’Europe du sud, et l’Allemagne. La France occupant, on le verra, une position particulière[2].

  1. L’Europe du nord financière (Luxembourg, Pays-Bas, Belgique, Irlande, Royaume Uni pré ou post Brexit) est celle qui, avec l’Allemagne, profite le plus  des règles procédurales actuelles prescrivant le respect par tous les Etats d’un principe de « concurrence libre et non faussée ». Règles qui en pratique favorisent l’hégémonie du néolibéralisme et le triomphe d’un capitalisme financier, rentier et spéculatif. Tous ces pays, Luxembourg en tête, sont des paradis fiscaux qui favorisent la délocalisation du siège officiel (souvent une coquille vide)  des grandes entreprises, européennes ou mondiales, en pratiquant le dumping et, à des degrés divers, le secret fiscal. Ils pompent ainsi une partie appréciable des impôts qui devraient revenir aux autres Etats membres. Tirant une part non négligeable de leur richesse de l’« optimisation fiscale », ils sont les champions de la dérégulation et du dégraissage des fonctions publiques européennes. Pour eux, il faut diminuer systématiquement les dépenses des Etats pour garantir le remboursement des créanciers et satisfaire « les marchés ».
  2. L’Europe du nord social-démocrate, Suède, Danemark, mais aussi Belgique et Pays-Bas, plus les Etats baltes) tire son épingle du jeu grâce à un grand dynamisme commercial et technologique (cf. les « tigres » de la Baltique) combiné à des mécanismes de redistribution social particulièrement efficaces. En la matière on parle couramment du modèle suédois, danois ou hollandais.
  3. L’Allemagne est l’autre grand bénéficiaire des normes européennes économiques en vigueur. L’hégémonie économique, et donc politique, qu’elle a conquise sur le reste de l’Europe, elle ne la doit pas à sa gestion des flux financiers, légaux ou opaques, mais à l’excellence de son industrie et de sa technologie. C’est elle qui est à l’origine des gigantesques excédents commerciaux qu’elle a accumulés depuis une quinzaine d’années. Cette excellence, à son tour, cette compétitivité exceptionnelle, s’expliquent, entre autres, par une longue  et vertueuse pratique de la concertation au sein des entreprises (Mitbestimmung), mais aussi par la forte modération salariale longtemps imposée aux salariés, depuis la réforme Hart-Schroeder, avec l’augmentation sensible du nombre des working poors qu’elle a induite. Une modération salariale favorisée par l’afflux des travailleurs venus, d’abord de Turquie, puis d’Allemagne de l’est et, enfin de l’Europe de l’est.
  4. L’Europe de l’est, elle aussi, a fortement bénéficié jusqu’ici de l’application des règles européennes actuelles. Elles lui ont permis de rattraper une partie de l’énorme retard industriel et économique accumulé par plus de quarante ans de domination soviétique[3]. Ce rattrapage s’est effectué dans le cadre d’une subordination économique à l’Allemagne à laquelle les pays d’Europe de l’est ont servi à la fois de marches, de marché et de pourvoyeurs d’une main d’œuvre qualifiée et bon marché. Ces pays qui se réclament de plus en plus de la « démocratie illibérale », représentent toutefois désormais le maillon politiquement faible de la construction européenne, ceux par qui l’esprit du nationalisme chauvin, de la dictature, voire tendanciellement d’un fascisme renouvelé (relooké, customisé) renaît en Europe et vient saper à la racine ses valeurs fondatrices et son optimisme originel. Pourquoi ? La réponse est difficile puisque chacun de ces pays présente une histoire et des caractéristiques différentes. Impossible toutefois de ne pas prendre en compte la faiblesse de leurs cultures politiques démocratiques, l’héritage toujours vivace des anciens partis communistes ou de leur contestation religieuse radicale, ainsi que des traditions de clientélisme et de corruption. Le repli sur un  nationalisme chauvin s’explique à la fois par un désir de reconnaissance et de revanche symbolique sur les puissances dominatrices passées ou actuelles - l’ex-URSS et l’Europe de l’ouest -, et par un souci de fermer les frontières à des migrants qui risqueraient de concurrencer la main d’œuvre bon marché qu’ils continuent à offrir et menaceraient l’unité fantasmatique de la nation  perdue et retrouvée. Pour eux, par ailleurs, l’alliance avec les USA apparaît parfois plus importante que l’Europe qui n’offre aucune protection militaire crédible.
  5. Dans cet ensemble, c’est l’Europe du sud qui apparaît pour l’instant comme la perdante plus ou moins marquée du jeu européen actuel. C’est bien évidemment le cas de la Grèce, mais aussi, à des degrés divers de l’Espagne, de l’Italie et du Portugal, obligeamment qualifiés de pigs (Portugal, Italy, Greece, Spain) ou de « pays du club Med » par les pays d’Europe du nord ou en Allemagne. Assurément, aucun d’entre eux n’avait témoigné d’un grand esprit de sérieux économique et de rigueur financière avant la crise des subprimes de 2008. A leur décharge, tous avaient adhéré aux fantasmagories du capitalisme rentier et spéculatif, portées par exemple par Goldmann Sachs (si influent en Europe), laissant entendre qu’il suffisait de s’endetter pour s’enrichir. De s’endetter à l’infini pour s’enrichir infiniment. Les institutions européennes, n’avaient rien trouvé à y redire à l’époque, quand elles n’avaient pas encouragé ces dérives. L’hiver venu, il leur a fallu en rabattre sérieusement et procéder à des politiques d’austérité d’autant plus massives qu’ils n’avaient plus la possibilité de recourir, comme toujours (et comme la France d’avant 1958) à des dévaluations à répétition. N’ayant plus le droit de déprécier leur monnaie, il leur a fallu déprécier leurs salaires et leurs comptes publics.   À la baisse du niveau de vie, à l’augmentation du chômage, s’est ajouté le fait que l’Europe a laissé la Grèce et l’Italie (et, dans une moindre mesure, l’Espagne) seules face aux vagues de migrants passant par la Méditerranée, sans leur allouer de moyens à la hauteur des problèmes, et qu’elle n’a eu de cesse de leur témoigner un mépris certain et de les humilier publiquement (qu’on se rappelle le traitement réservé à Tsipras et Varoufakis pour le Grèce, à Berlusconi pour l’Italie, quoi qu’on pense du personnage par ailleurs).
  6. Et la France ? Un des intérêts de la petite typologie qu’on vient de présenter est de faire apparaître que la France ne fait clairement partie d’aucun de ces cinq grands blocs. À moins qu’elle ne participe des quatre à sa manière. Elle a des points communs avec l’Europe du nord parce que ses grandes banques (Société générale, BNP etc.), parmi les plus importantes en Europe, ou les grandes entreprises du CAC 40, ont des créances à rentabiliser un peu partout, ou « optimisent » à tour de bras, sans que ça rapporte grand-chose, rien parfois au fisc français (cf. Total, par exemple). Elle a partie liée avec l’Allemagne en tant que puissance fondatrice du projet européen et que deuxième puissance économique et financière de l’Europe. Le déclin prononcé de sa puissance industrielle est compensé (pendant combien de temps ?) par sa puissance financière. La solidité de son appareil administratif, hérité de l’ancien régime et de la Révolution, lui permet de continuer à emprunter à des taux particulièrement avantageux aussi longtemps que l’Allemagne ne siffle pas la fin de la récréation (mais ça lui coûterait cher). Elle peut encore se penser puissance capitale en Europe… aussi longtemps que l’Allemagne ne siffle pas la fin de la récréation (mais ça lui coûterait cher). Comme l’Allemagne elle a bénéficié de l’apport d’une force de travail à bas coût, en provenance de l’immigration maghrébine et africaine. Mais ce bénéfice est ancien et s’inverse désormais en son contraire parce que la France n’a pas su quoi faire des enfants ou des petits-enfants issus de cette immigration, dont un certain nombre se retournent pour cela contre elle. C’est de l’Europe de l’est que la France est certainement la plus éloignée, sauf peut-être pour sa dépendance à l’Allemagne.  En revanche, elle est proche  à nombre d’égards de l’Europe du sud dont elle a toujours partagé une forte tradition de laxisme budgétaire et de clientélisme, même si ce clientélisme ne s’est pas exercé en faveur de groupes privés plus ou moins maffieux mais d’une caste plus ou moins monarchique, républicaine, technocratique ou financière selon les périodes. À quoi il faut ajouter que la France s’est longtemps voulu l’institutrice de l’Europe, voire son phare. L’Allemagne ayant longtemps été un nain politique et moral – et militaire –, la France a pu s’imaginer pendant longtemps  que c’était elle qui allait donner le « la » en matière institutionnelle et que l’Europe entière allait ressembler à une république française élargie à l’échelle du continent. Ce rêve est dissipé depuis longtemps.

 

Rien ne va plus

La doctrine portée depuis des décennies par les élites dirigeantes européennes a toujours été que ces divisions entre les peuples seraient surmontées, devaient être surmontées, en allant de l’avant (même contre le suffrage universel, comme l’a montré l’exemple du vote sur le Traité constitutionnel européen) dans le cadre d’un socle de valeurs et de règles procédurales minimal : respect des droits de l’homme, respect de la concurrence libre et non faussée, respect de la règle d’un plafond de 3% de déficit budgétaire, respect de la règle de l’unanimité (selon laquelle pour les décisions importantes chaque pays a une voix, grand ou petit.  Malte vaut autant que l’Allemagne ou la France). Dans cette optique l’unification de l’Europe doit se réaliser, lentement, très lentement, petits pas après petits pas, par des voies à la fois économiques et morales. La création de l’euro (ajoutant la règle du respect de l’indépendance de la Banque centrale), à laquelle les Européens sont effectivement majoritairement attachés, a parachevé cette vision. Vision qui se révèle pourtant de plus en plus insuffisante. Si pour les jeunes, par exemple, il va de soi qu’il est bon de pouvoir circuler, étudier et travailler partout en Europe, il n’en reste pas moins que le projet européen ne suscite en eux aucune passion, aucun enthousiasme. C’est un projet froid. Commode, simplement commode et utilitaire. « On ne meurt pas pour un taux de croissance », disait-on hier. Qui est prêt à mourir pour l’Europe, à travailler pour elle, à contribuer à son essor ? Qui se sent authentiquement et pleinement européen plutôt que français, allemand, italien, slovaque, néerlandais, grec ou roumain ?  Ou catalan, basque ou écossais ?

-   La vision de l’Europe telle qu’on vient de la résumer a été le fruit d’une alliance de longue durée entre chrétiens-démocrates et socio-démocrates ou, si l’on préfère, entre droite et gauche de gouvernement. À quoi il faut ajouter, curieusement, une certaine forme de soutien d’une partie de l’extrême-gauche. Non pas, bien sûr, à la règle de la concurrence libre et non faussée, mais à ce qui constitue l’idée constitutive initiale du projet européen, celle que l’union entre les peuples en dépassant ou en dissolvant les anciennes nations va ouvrir une ère d’amitié et de paix perpétuelle au-delà des affrontements de puissance. L’Europe est ainsi vue comme à l’avant-garde de la Raison et de l’universalisme, voire du communisme. On lui reconnait le mérite de se débarrasser de toute référence à la nation (cette « vieille merde d’Etat-nation », écrit par exemple un Toni Negri, champion mondialement connu du communisme, qui appelait à votre pour le Traité constitutionnel européen.  

- Or cette vision devient de moins en moins crédible aujourd’hui. La droite et la gauche de gouvernement traditionnelles sont en voie d’affaiblissement massif, voire de quasi disparition. L’Europe de l’est bascule du côté de l’extrême-droite « illibérale ». L’Italie expérimente une alliance de gouvernement inédite entre extrême-droite et une formation inclassable, le mouvement Cinque stelle. L’Espagne ne sait toujours pas trop où elle en est. En Allemagne, la « grosse coalition » des chrétiens-démocrates, CDU-CSU, et du SPD, la GroKo, apparaît de plus en plus fragilisée. En France, Emmanuel Macron a réussi à opérer une sorte de « grosse coalition » droite-gauche mais sur son seul nom et au prix d’un affaiblissement radical de la droite et de la gauche classiques. S’il continue à plonger dans les sondages, comme tout le porte à croire, il ne restera plus que des décombres.

- Une des raisons de cet affaissement est que l’Europe n’a pas su tenir sa promesse de prospérité pour tous. Enfermée dans un dogmatisme de l’austérité budgétaire, elle a fait nettement moins bien que les USA depuis la crise des subprimes de 2008, que ce soit en matière de croissance du PIB ou de résorption du chômage. Et pour de larges fractions de la population, pour les classes moyennes et populaires, la faiblesse de la croissance,  notamment en Europe du sud, signifie tout simplement une baisse du pouvoir d’achat. L’absence d’une politique macroéconomique commune se fait cruellement sentir.

- Au-delà, parce qu’elle a tout misé sur l’ouverture au commerce mondial, dans l’espoir d’une concurrence internationale libre et non faussée, l’Europe n’apporte aucune réponse au défi qui apparaît majeur dans la conjoncture actuelle, celui de savoir comment faire coexister harmonieusement ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent pas bouger, les enracinés, et ceux, au contraire, qui jouent à plein le jeu de la mondialisation, les élites nomades (par choix) ou les migrants (par nécessité). Ce pari fait sur la compétitivité internationale a profité à l’Allemagne, qui s’est contentée de dire aux autres : « Faites comme moi », ce qui est évidemment un jeu de dupes puisque tout le monde ne peut pas avoir un excédent de sa balance commerciale.  Mais ce pari se révèle de plus en plus trompeur et risqué  maintenant que certaines illusions se dissipent. La Chine n’a jamais pratiqué une concurrence libre et non faussée. Elle s’est bornée à proclamer son intention de le faire… un jour. Et l’Amérique de Trump, constatant que le libéralisme ne lui profite plus autant qu’avant, opère un retour radical vers le protectionnisme. Celui auquel aspirent de plus en plus d’Européens, à l’encontre des choix imposés par les élites. Des élites pour cela  de plus en plus contestées. Des élites qui ne savent pas dire comment l’Europe pourrait lutter contre l’ahurissant creusement des inégalités mondiales entre le 1%, ou plutôt le 1/1000 les plus riches, et le reste de l’humanité.

-  Partout en Europe croît le sentiment que les élites ont abandonné les peuples, qu’elles ne jouent plus que le jeu de la mondialisation financière, qui leur profite, et y sacrifient tout le reste. Qu’il n’y pas plus de commune socialité entre elles et le reste de la population. Or comment pourrait-il en être autrement, comment ce sentiment pourrait-il ne pas s’amplifier à partir du moment où l’on constate que le président de la commission européenne, celui qui incarne l’Europe, Jean-Claude Juncker est l’ancien premier ministre du principal paradis fiscal européen, le Luxembourg ;  que le directeur de la banque centrale européenne, Mario Draghi, est un ancien de Goldmann Sachs, l’organe par excellence de la spéculation financière, et que l’ancien président de la commission européenne, Manuel Barroso n’a rien trouvé de mieux à faire pour arrondir ses fins de mois que de se faire embaucher par le même Goldmann Sachs ?  

- Au-delà, ce qui est en jeu dans ces évolutions, ce n’est rien moins que l’avenir même de l’idéal démocratique. À la fin du 20ème siècle tous les spécialistes s’interrogeaient sur ce qu’on appelait alors la transition démocratique. Le mur de Berlin était tombé. La conviction partagée alors par les politologues comme par les politiques, était que partout dans le monde les dernières dictatures allaient tomber à leur tour. La seule  question était : quand ? À quel rythme? Bientôt, la planète entière allait communier dans un couplage vertueux du marché, de la démocratie parlementaire et des droits de l’homme. Or, c’est le contraire qui est en train de se produire. Partout on voit fleurir les dictatures, ou ce qu’on a appelé les démocratures, des dictatures  portées au pouvoir ou légitimées par un suffrage universel, effectif ou simulé. Les printemps arabes ont échoué, Erdogan en Turquie emprisonne tous les journalistes ou toutes les personnalités ayant des sympathies pour la démocratie. Et il est clair que Poutine en Russie, Duterte aux Philippines, Maduro au Vénézuela, Bolsanero au Brésil, Xi Jiping en Chine, etc. ne nourrissent qu’une passion toute relative pour les droits de l’homme. Les USA restent en partie protégés des foucades de leur actuel président par leurs institutions et par leur culture politique ancienne, mais il n’est pas certain que cela suffise et dure.

- À quoi il faut ajouter que toutes ces dictatures ou démocratures, lancées dans une course effrénée à la puissance économique, financière, industrielle et militaire se développent dans le déni total des problèmes environnementaux et des risques d’effondrement (sauf peut-être la Chine qui y voit un nouveau marché mondial possible) alors que ceux-ci se révèlent chaque jour plus aigus. Peut-on concevoir une planète durable sans démocratie durable ? Et n’y a t-il pas là une raison de plus d’essayer de la sauver à tout prix en Europe ?

- Généralisons. On a pu croire, à juste titre jusqu’à il y a peu, qu’il existait un lien étroit, une connivence intrinsèque, des affinités électives entre capitalisme et démocratie parlementaire. Que le capitalisme ne pouvait pas se développer sans un climat de liberté, sans liberté de l’opinion, de la presse et des partis politiques. Beaucoup pour cette raison, prédisaient que la Chine allait se convertir à la démocratie.  Or, il faut maintenant se rendre à l’évidence. Peut-être le capitalisme a-t-il présidé à la naissance des démocraties modernes – à moins que ce ne soit au contraire  la dynamique démocratique qui ait rendu possible le développement du capitalisme -, mais le capitalisme peut désormais parfaitement se développer hors démocratie, et même,  plus précisément, contre elle,  comme le montre à l’évidence le cas de la Chine.

- Dès lors,  le déclin de l’Europe et du projet qui l‘anime n’est pas un problème uniquement pour l’Europe, il est un problème pour l’humanité tout entière. Si seule l’Europe croit encore en la démocratie, mais si elle s’affaiblit continuellement, jusqu’à se dissoudre peut-être, alors quel espoir reste-t-il à l’humanité d’échapper à la dictature généralisée ? La plupart des défenseurs du projet européen actuel lui ont trouvé comme mérite premier de fonder une union politique de type inédit, au-delà des logiques de puissance et des rapports de force. Noble idée, supposée subjuguer l’humanité entière par sa seule splendeur. Il y a malheureusement peu de chances qu’elle convertisse par magie, les Duterte, Erdogan, Ben Salman, Bolsanero, Poutine, Xi Jiping, Assad, Mossi, etc. etc. On connait la fameuse pensée de Pascal :

La justice sans la force est impuissante. La force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite parce qu’il y a toujours des méchants. La force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste. La justice est sujette à dispute. La force est très reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n’a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice, et a dit qu’elle était injuste, et a dit que c’était elle qui était juste. Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste.

« Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ». Traduisons : si l’Europe démocratique renonce à être forte, alors personne ne défendra la démocratie à sa place. Comment un projet européen qui ait du sens pourrait-il renaître aujourd’hui ?  À quoi ressemblerait-il ? Commençons par tenter d’en cerner les grands traits avant de nous demander comment il pourrait émerger.

 

Quelle autre Europe est pensable ?

Dans le monde entier on assiste au retour de flamme et à l’exacerbation des passions nationalistes. Il n’y a qu’en Europe, et plus particulièrement en France (la « grande nation », le pays de l’Ėtat-nation par excellence), chez les intellectuels ou les élites technocratisées,  qu’on considère que la nation, c’est mal, que c’est dépassé, ou que, en tout cas, c’est ce qu’il faut à tout prix dépasser. Aucune de ces deux positions n’est tenable, ni le chauvinisme nationaliste, ni la dénonciation de toute forme de nation. Cette dénonciation oublie simplement que la référence à la nation a été, et reste encore largement, le cadre symbolique dans lequel a pu se déployer l’idéal démocratique moderne. Sans référence à la nation, il n’y a pas de représentation possible d’une souveraineté populaire, d’une liberté collective, du politique et donc de la démocratie. Ou encore, c’est dans la cadre de la référence à la nation qu’est pensable et réalisable une solidarité collective fondée sur l’image d’une commune socialité. La nation est l’espace de solidarité par excellence. Cet espace dans lequel tous reçoivent de tous et donnent, voire se donnent à tous. Prétendre le supprimer c’est courir le risque d’abolir tout sentiment de solidarité, d’appartenance à un commun qui dépasse l’échelle des copains, de la famille ou des « tribus ». Mais, inversement, ce qui n’est plus tenable c’est la représentation traditionnelle de la nation et du peuple, l’idée que la nation se fonde sur l’adéquation au moins tendancielle entre un peuple (voire une race), une langue, une culture, une religion, un territoire d’origine, une histoire, etc. (Le « Ein Volk, ein Reich, ein Führer », de Hitler étant la perversion à certains égards logique follement logique, de cette idée)

- Comment aménager la coexistence entre des populations, des langues, des cultures, des religions, des histoires différentes, et des territoires le plus souvent, en conflit ?  La solution la plus répandue dans l’histoire a été celle donnée par les empires (Chine, Inde, Empire ottoman), i.e. par la subordination de toutes ces différences particulières à un pouvoir et à une culture dominante uniques ne les contrôlant que de l’extérieur en leur laissant une forte marge d’autonomie interne aussi longtemps qu’elles ne se rebellaient pas et payaient l’impôt. Or, c’est contre cette solution impériale, fondée sur la fusion du politique et du religieux que l’Europe s’est constituée et c’est dans cette révolte contre la formule impériale, dans son refus de la conjonction entre savoir et pouvoir  (entre le pape et l’empereur) qu’elle a trouvé les fondements de la démocratie moderne. La rançon à payer pour cette libération, très lourde, a été la guerre entre les Etats-nations qui se sont constitué à des rythmes et selon des histoires différentes. Le projet européen actuel s’est construit sur le pari qu’en  abolissant les nations, ou en tout cas en les ravalant à  un rang inférieur, on supprimerait la possibilité même d’une guerre entre elles. Ce pari n’a somme toute pas trop mal réussi jusqu’à présent. Mais il est en train de montrer ses limites et risque de ne plus pouvoir être tenu bien longtemps.

- La question qui se pose aux Européens désormais est donc relativement simple à formuler : comment éliminer les ferments de la guerre entre les nations européennes, comment donc garantir la paix, sans renoncer à l’idée même de nation (et donc à l’idéal d’une souveraineté populaire démocratique) en dépassant non pas tant l’idée de nation que sa formulation traditionnelle qui a été, en effet facteur de guerre et de nationalisme ?

- La réponse réside probablement dans la formation de ce qu’on pourrait appeler une méta-nation, une nation de nations, ou encore une nation de rang supérieur, faisant un peuple à partir de plusieurs peuples, une histoire et un espace communs à partir de plusieurs histoires et de plusieurs espaces, une culture faite de plusieurs cultures, etc. Il s’agit, en d’autres termes, de faire reposer le projet européen non plus sur le marché et la monnaie, mais sur le politique, autrement dit sur le choix de solidarités partagées.

- Une méta-nation, une nation de nations démocratique ne peut pas être autre chose qu’une république. Son unité se caractérise par l’existence d’un parlement plurinational devant lequel un exécutif est responsable au moins des grandes lignes d’une politique économique, étrangère, fiscale, monétaire, sociale et militaire commune. Il est nécessaire que l’Etat ainsi constitué soit par ailleurs le plus décentralisé possible et obéisse au principe de subsidiarité.

- C’est une telle méta-nation qui s’esquissait avec le Traité de Rome en 1957  et dans les débuts de la Communauté économique européenne formée à partir du noyau France, Allemagne, Italie et Benelux (Belgique, Nederland, Luxembourg), avant que ne soit pris (notamment avec l’entrée de la Grande Bretagne) le tournant libre-échangiste, marchand et, bientôt, financier. Avec quels pays pourrait-elle se construire aujourd’hui ? Lesquels seraient-ils volontaires pour l’aventure ? Aucun, semble-t-il, dans l’état actuel des choses et du débat politique. Mais si, comme il est possible, c’était tout l’édifice européen actuel qui commençait à menacer de s effondrer, nul ne peut exclure que la question ne se pose à nouveau. Qui, alors, serait partant ? C’est difficile à dire. La seule chose certaine c’est que rien ne sera possible en ce sens sans une entente entre la France et l’Allemagne. Au moins à titre d’expérience de pensée demandons-nous à quoi pourrait ressemble un processus allant dans cette direction.

 

Comment serait-elle réalisable ?

Le point essentiel à retenir dans la longue histoire de la construction politique d’une Europe politique, et de ses échecs, est sans doute que si l’Allemagne a longtemps poussé en ce sens, la France s’y est toujours refusée. En 1954, le rejet par le parlement français du projet de Communauté européenne de défense (suite au vote négatif à la fois des communistes et des gaullistes) marquera le début d’une série ininterrompue de réticences et de frilosités françaises. L’Allemagne, au contraire, jusqu’à il y a peu, ne cessera de militer en faveur d’un « noyau dur » européen. En mai 2000, Joschka Fischer, député vert, alors ministre des affaires étrangères allemand, lance un pavé dans la mare. Il déclare par exemple (à titre personnel, il est vrai) :

 « L'élargissement rendra indispensable une réforme fondamentale des institutions européennes. Comment s'imaginer en effet un Conseil européen avec trente chefs d'Etat et de gouvernement ? Trente présidences ? Combien de temps les réunions du Conseil dureront-elles dans ce cas ? Des jours, voire des semaines ? Comment parvenir, à trente, dans le tissu institutionnel actuel de l'Union européenne, à concilier des intérêts différents, à adopter des décisions et encore à agir ? Comment veut-on éviter que l'Union ne devienne définitivement opaque, que les compromis ne soient de plus en plus incompréhensibles et bizarres, et que l'intérêt manifesté à l'égard de l'Union par ses citoyens ne finisse par tomber en dessous de zéro ? Autant de questions auxquelles il existe une réponse toute simple : le passage de la Confédération de l'Union à l'entière parlementarisation dans une Fédération européenne que demandait déjà Robert Schuman il y a cinquante ans. Et cela veut dire rien de moins qu'un Parlement européen et un gouvernement, européen lui aussi, qui exercent effectivement le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif au sein de la Fédération ».

  1. Fischer disait alors s’inspirer de Jacques Delors. Mais aucun débat ne suivit cette proposition pourtant capitale.  Sous une forme très atténuée elle inspirait encore Wolfgang Schaüble, l’intraitable ministre de l’économie du précédent gouvernement d’Angela Merkel. Aujourd’hui, inversant pour la première fois les positions respectives de la France et de l’Allemagne, seul Emmanuel Macron propose encore, timidement, une petite augmentation du budget européen et la constitution a minima d’une armée européenne (aussitôt vertement dénoncée par Donald Trump). Mais c’est maintenant l’Allemagne qui fait la sourde oreille. Ayant constitué son Hinterland en Europe de l’est, exerçant l’hégémonie sur l’ensemble de l’Europe, dotée de réserves de change colossales dont elle ne veut pas perdre une miette, elle ne voit pas ce qu’elle aurait à gagner à un changement du statu quo. Tout semble donc bloqué. Mais que se passera-t-il, si la guerre commerciale protectionniste lancée par Trump s’intensifie, si la croissance ralentit encore (comme elle commence à le faire en Allemagne), si l’extrême-droite progresse toujours plus, et, a fortiori, si un choc financier, plus grave encore que celui de 2008, survient ? Peut-être le projet d’une Europe unie politiquement, si longtemps différé, presque oublié, voire ostracisé, renaîtra-t-il alors de ses cendres pas tout à fait éteintes.

- Avec qui ? Deux certitudes : aucun pays d’Europe de l’est ne sera partant ; rien ne peut se faire sans une union franco-allemande. Mais l’Allemagne réunifiée, économiquement prospère, est désormais trop puissante pour que la France puisse envisager de former un couple à deux avec elle. Elle ne pourrait se lancer dans l’aventure qu’accompagnée d’un ou deux pays de l’Europe du sud, Italie, Portugal ou Espagne. Mais l’Allemagne, à son tour, n’accepterait certainement pas d’entrer dans une alliance renforcée avec ces Latins dépensiers et jugés peu fiables. Peut-être, s’ils étaient accompagnés (et contrôlés grâce à eux) par un ou deux pays de l’Europe du nord. Bref, on se retrouve avec à peu près le périmètre du Traité de Rome de 1957 : France, Allemagne, Benelux, Italie, peut-être, plus, éventuellement, Espagne et Portugal.

- Le paradoxe est que la langue commune de cette méta-nation ne lui appartiendra pas. En l’état actuel des choses, elle ne peut être que l’anglais. Mais c’est après tout peut-être un avantage. Aucun des pays membres de cette République européenne ne sera linguistiquement dominant. L’anglais fonctionnera comme le latin au Moyen Age.

- Imaginons un peu la richesse que représenterait un tel ensemble, la séduction qu’il pourrait exercer. Tous ces pays sont les héritiers de cultures extraordinairement variées et puissantes, philosophiques, scientifiques, artistiques, architecturales, littéraires, musicales, politiques. L’Allemagne, outre sa culture, apporterait sa compétence industrielle, l’Europe du nord sa compétence commerciale et cosmopolitique, la France son armée, son domaine maritime et son rayonnement international (notamment en Afrique), l’Espagne ou le Portugal leur ouverture sur l’Amérique latine, l’Italie, outre son inventivité, les plus belles villes et la plus séduisante musique du monde. Qui ne serait fier de participer d’un tel ensemble ?

- J. Delors et J/ Fischer se trompaient  doublement, peut-on penser,   en plaidant pour un passage de l’Europe du stade de la confédération à celui de la fédération. Ils se trompaient d’abord parce que l’Europe n’a jamais été une confédération, tout au plus un espace de délibération intergouvernementale dans le cadre de règles commune mises en œuvre par une bureaucratie, et, ensuite, parce que c’est bien une confédération, une République confédérale qu’il s’agit de construire[4]. J. Fischer expliquait pourtant à juste titre que :

« Ce serait commettre une irréparable erreur de conception que de tenter de parachever l'intégration politique contre des institutions et des traditions nationales existantes et non en cherchant à les associer au processus. Une telle entreprise serait appelée à échouer dans les conditions historiques et culturelles de l'Europe. C'est uniquement si l'intégration européenne conserve les Etats-nations dans une telle Fédération, qu'elle ne dévalorise pas et, a fortiori, ne fait pas disparaître complètement leurs institutions, qu'un tel projet sera réalisable, en dépit des énormes difficultés qu'il présente. Autrement dit, la conception qui prévalait jusqu'à présent d'un Etat fédéral européen, qui remplacerait comme nouveau souverain les anciens Etats-nations et leurs démocraties, s'avère être une construction artificielle étrangère aux réalités européennes traditionnelles. Parachever l'intégration européenne n'est concevable que si ce processus s'effectue sur la base d'un partage de souveraineté entre l'Europe et l'Etat-nation ».

            Mais un tel « partage de souveraineté » n’est concevable que dans le cadre d’une confédération dont l’exemple type, et réussi, est la Suisse dont les institutions sont à peu près stables depuis 1848 parce qu’elles combinent un gouvernement technique simple (sept membres, uniquement, garantissant une représentativité équitable des régions et des idéologies politiques) avec une très large autonomie laissée aux vingt-six cantons. Un gouvernement européen comparable coopérerait avec un Parlement composé d’une assemblée représentative des peuples (composée des députés de chaque pays ou de leurs représentants, au prorata de la taille des populations respectives) et d’un Sénat, représentatif des Etats et des régions.

            - Le modèle suisse est également intéressant au plan linguistique. Dans une réunion transcantonale, chacun est autorisé à parler dans la langue, l’allemand (ou le suisse allemand), le français ou l’italien et se débrouille, plus ou moins bien, pour comprendre à peu près celle des autres, l’anglais pouvant là aussi servir de médiation.

 

Petite conclusion

Les considérations présentées ici paraîtront sûrement en décalage absolu avec les réalités politiques actuelles et avec l’air du temps.  Elles le sont, en effet. Mais, on l’a dit, les crises graves qui s’annoncent pourraient bien modifier rapidement la donne et appeler à changer d’air. Certaines initiatives récentes - par exemple, la constitution d’une assemblée franco-allemande, avec 50 députés de chacune des deux assemblées nationales -, vont déjà timidement dans ce sens.  Rien, cependant, ne pourra bouger vraiment sans une crise ou des chocs de grande ampleur. Qui ne suffiront pourtant pas à rendre le projet d’une confédération européenne crédible auprès des peuples concerné en l’absence d’une vision positive et porteuse d’espoir. Pour que ceux-ci y adhèrent il faut que soient remplies au moins les quatre conditions suivantes :

- Que ce projet soit porté par des femmes et des hommes politiques résolus à lutter efficacement contre l’évasion fiscale, contre l’explosion des inégalités (et la criminalité) qu’elle engendre, et contre la finance spéculative qui aura déclenché la crise, sans pour autant se faire les champions d’un égalitarisme imaginaire démagogique dont on connait les méfaits. Cette condition suffit à discréditer la plupart des élites politiques, économiques ou intellectuelles actuelles. Un Emmanuel Macron, par exemple, dont les projets européens sont sans nul doute sincères, est d’ores et déjà totalement inaudible pour avoir trop donné aux plus riches au détriment des plus pauvres.

- Que ce projet fasse voir clairement qu’il s’agit non seulement de sauver mais de revivifier et de redéfinir ce qui a sans doute été la plus grande contribution de l’Europe à l’humanité : l’invention de la formule d’une république démocratique et humaniste. Une république démocratique, qui permet d’assurer l’équilibre entre liberté individuelle et liberté collective. Une république humaniste qui fonde une commune socialité, un être-ensemble, une convivance, en se reposant sur le postulat de commune humanité, autrement dit sur la  certitude, - ou le pari que chaque être humain a de la valeur, une  valeur qui mérite d’être respectée. Ce postulat humaniste toutefois ne suffit pas, ne suffit plus. L’humanité découvre maintenant que la nature n’est pas inépuisable, qu’elle est même déjà à peu près épuisée. L’Europe qui  doit se réinventer sera une Europe à la pointe de la lutte pour la sauvegarde de la planète.

- Pour que ce projet ait une chance d’aboutir il faut qu’il soit porté par un puissant élan populaire né de la certitude, ou au moins de l’espoir qu’il y a là le seul moyen de concilier impératifs écologiques, économiques et sociaux, et d’améliorer les conditions de vie des plus démunis sans y sacrifier la survie de la planète. Il faut également qu’il soit soutenu par les syndicats, par les réseaux citoyens et par les organismes de l’Economie sociale et solidaire auxquels devra être assurée une forte représentativité dans les instances européennes.

- Cette Europe sera donc aussi une Europe qui apprendra à vivre mieux – et montrera au reste du monde comment faire – sans sacrifier au culte de la croissance infinie du PIB, une croissance infinie clairement impossible dans un monde fini. Une Europe, donc,  post-néolibérale, post-croissantiste. Une Europe convivialiste.

 

 

[1] Cf. Annexe.
[2]  Cette approche est bien sûr sommaire et idéaltypique.
[3]  C’est la Roumanie qui est la plus dynamique. Les autres pays d'Europe de l'Est connaissent une croissance de près de 4%. La Pologne, la Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Bulgarie et la Slovénie se situent bien au-dessus de la moyenne (2,5%) dans la zone Euro (2017).
[4]  Tout dépendant, évidemment, de ce qu’on entend, respectivement, par confédération et fédération. La littérature savante est loin d’être définitivement claire sur la question.

 

Annexe 1. Diversité de l’Europe sur fond de déclin économique relatif. Marc Humbert

 L’Europe n’est pas une, mais multiple l’union des marchés n’a pas fait l’union économique, l’Europe est diverse et très inégale en puissance : 3 grandes puissances font 50% du PIB de l’UE, l’Allemagne 21, le Royaume-Uni 15, et la France 15 font ensemble 50% du PIB de l’UE, et 75% avec les 3 suivants l’Italie 11, l’Espagne 8 et les Pays Bas 5, pour 7 pays sur 27. Et ce géant de composition décline : l’UE faisait 31% du PIB mondial en 1995, moins de 22% aujourd’hui. Les Etats-Unis faisaient 25%, ils en font encore 24%. Sans parler de la production offshore des FMN beaucoup plus importante pour les Etats-Unis que l’Europe.

C’est-à-dire que lorsque l’UE faisait Maastricht ( et l’euro) avec des critères supposés de « convergence » pour que les pays membres s’unissent - et ressemblent à l’Allemagne autour du Deutsche Mark- les Etats-Unis imposaient l’OMC, soit le démantèlement de la PAC, et l’ouverture du monde à ses services issus de la finance et des technologies numériques.  Les résultats sont d’un point de vue économique et géopolitique catastrophique d’autant plus que l’espoir de la contrepartie de la constitution d’une Europe sociale caressé par Mitterrand a été balayé.

En PIB par tête l’UE a été dépassée par le Japon et par la Corée du sud. L’Allemagne est en tête de l’UE juste en dessous du Japon, avec 10% de plus que la France en 1995 et 15% de plus aujourd’hui.

L’UE est certes restée, globalement, un géant du commerce international (et donc en dépend) : à peu près autant de commerce (importations +exportations) que les USA et que la Chine loin devant tous les autres. Les différences 1) les Etats-Unis ont un énorme déficit structurel (mais dans leur monnaie $), 2) les Chinois un très gros excédent, 3) l’UE un léger excédent global 4) en fait l’UE est dominée par l’Allemagne : elle exporte en une année 1500 milliards de dollars et fait un excédent de plus de 300 milliards de dollars, excédent récurrent quand la France exporte 500 milliards de dollars et est en déficit récurrent…

Le nerf de la guerre économique mondiale qui se poursuit en UE ouverte championne apparente du commerce mondial, c’est la R&D qui permet de produire des biens désirables et qui peuvent être vendus plus chers, c’est-à-dire sans vraiment besoin de baisser les salaires et les coûts horaires « charges incluses) de la MO en Allemagne ne sont pas sérieusement plus bas qu’en France.

Mais en année courante l’Allemagne dépose 19 000 brevets quand la France en dépose 8000, le Japon 48 000….tout lié aux différences de longue date dans le % de dépenses de R&D en % du PIB. Les ambitions officielles de l’UE réitérées d’atteindre 3% du PIB en dépenses de R&D lors de la stratégie Lisbonne et re belote 10 ans plus tard pour faire de l’UE l’économie de la connaissance la plus compétitive de la planète ont été un échec ; l’UE dans son ensemble se traîne toujours à 2% comme la France quand le Japon est depuis des décennies à 3% et les a dépassés, les Etats-Unis se maintiennent au-dessus de 2,6%, la Chine a dépassé l’UE, la Corée grimpe à plus de 4%....


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