Le convivialisme, pensée du vivre-ensemble

par Ariane Ferrand, Le Monde, 18 septembre 2021, p.  31

Libéralisme, socialisme, anarchisme, communisme… Nos « grandes idéologies de la modernité » ne nous éclairent plus, ni dans le présent ni pour l’avenir. « Elles n’ont pas su anticiper la crise environnementale » : voilà, sans doute, la meilleure illustration de leur impuissance. Aujourd’hui, il nous faut une nouvelle philosophie politique. Et le convivialisme est appelé à combler ce manque. Tel est le point de départ du n° 57 de La Revue du Mauss, que présentent les sociologues Alain Caillé, Philippe Chanial et François Gauthier. Mais qu’est-ce donc que ce convivialisme ? Une pensée, celle d’un vivre-ensemble, où les humains apprendraient à prendre soin les uns des autres et de la nature, où le conflit ne virerait pas au massacre mais serait source de créativité et de dynamisme. Et l’impératif catégorique kantien de cette philosophie, c’est la maîtrise de l’hubris, la démesure néfaste des hommes.

Cette idéologie reste confinée dans les cercles restreints de partisans. Elle a besoin d’un nouveau souffle pour pénétrer dans le cœur des peuples. Pour cela, il faut de la passion, faire miroiter un « avenir radieux ». Et ce, dans un monde qui en a cruellement besoin, à l’heure où le désespoir qui se profile à l’horizon. Cette revue ne veut pas être un simple manifeste théorique. « Son pari fou, désespérément et déraisonnablement ambitieux », est tout autre : faire basculer l’opinion publique, déclencher « une sorte de tsunami axiologique d’ampleur mondiale », à même de mobiliser et de libérer une « énergie fantastique », celle des grandes idéologies ou des religions.

Dans cette optique, la revue, qui regroupe les textes de plusieurs auteurs, donne à voir un nouveau monde et comment y parvenir. Refonder nos imaginaires est une première étape. Il faut se décentrer pour trouver une « nouvelle cosmologie » qui, sans rejeter la modernité, repousse le « schéma cartésien d’une nature-objet », développe la sociologue Dominique Méda. Le convivialisme suppose une réflexion sur les échelles où le local est privilégié. Le système économique est aussi à réinventer. Codétermination dans les entreprises, économie sociale et solidaire, revenu universel et endettement sont abordés.

Enfin, clé de voûte du système, notre démocratie est à repenser : favoriser la réflexion, rendre les désaccords féconds, tendre vers une démocratie plus directe et participative… autant de pistes que la revue explore. Le pari de l’ouvrage est-il gagné ? Non, mais sans doute était-ce mission impossible pour ces intellectuels. C’est à d’autres qu’incombe la tâche de traduire leurs idées dans des cultures et contextes historiques et géographiques variés. Mais ils ont ouvert la voie.


La Revue du Mauss, n° 57, « Demain un monde convivialiste. Il ressemblerait à quoi ? », 240 p., 20 €, mai 2021

3 Replies to “Le convivialisme, pensée du vivre-ensemble”

  1. Michael Martin tiene razón. La cuestión central radica en poder descubrir formas o pedagogías que puedan construir condiciones de posibilidad para que emerjan esos valores positivos de convivencia. Ustedes son franceses y conocen el pensamiento de Bourdieu. Como erradicar esos habitus negativos que vienen a formatear nuestros comportamientos y se esconden en la subjetividad? Son varios los epistemes que hay que articular. Socialización primaria, pedagogías criticas, toma de consciencia, comunicaciones educativas, acceso al poder político, mensajes estéticos en el contexto, articulación de redes ciudadanas, micropoliticas emancipadoras, etc. Deberíamos ser capaces de construir proximidades y diálogos interculturales e intercientificos, para que todos participen.. y ese es un problema de consciencia… gracias

    1. Merci Carlos de me donner raison))))
      Le savoir faire et les techniques de domestication de l’intelligence collective commencent à être connues et assez bien rôdées pour apporter un vrai savoir faire démocratique au sein de tous les collectifs, de toutes les organisations.
      Toutefois, l’intelligence collective n’a de sens que pour un groupe capable de se donner un objectif consensuel (ce point mériterait d’être développé et compris). Or ceci est impossible à l’échelle d’un pays au sein duquel les différentes options politiques demeurent pertinentes, parce qu’un pays ne peut pas définir d’objectif clair et CONSENSUEL.

  2. Comment gérer et réguler « la lutte des places », cette lutte inévitable et permanente au sein des groupes humains, des organisations, tellement oubliée par le Grand Karl Marx?
    De mon point de vue, c’est la clé de voûte du convivialisme. Comment prendre des décisions collectives qui soient le moins possible biaisées par la lutte des places, aussi bien au sein des associations, des entreprises, des assemblées d’élus. Telle est la question à laquelle je m’efforce de répondre en m’appuyant sur les épaules d’Elinor Ostrom, de Gerard Endenburg, de Jo Freeman, de Patrick et Anne Beauvillard (institut des territoires coopératifs), d’Olivier Zara et de beaucoup d’autres qui expérimentent et pratiquent au sein des collectifs divers auxquels ils participent.
    Bonnes lectures, je vous promets des découvertes passionnantes…
    La politique n’est pas de laisser ou pire, d’aider les forts, (les premiers de cordée:))) à être encore plus forts, mais de permettre à chacun de participer à sa mesure à la société qui est notre centrale énergétique à tous.

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