Le Teikei en 2021

Le Teikei, circuit court de produits agricoles biologiques au Japon, a maintenant, comme l’IFOAM, 50 ans d’histoire. Le Japon est ainsi un des pays pionniers de la promotion d’une agriculture saine et biologique. Le Teikei a évolué en réunissant des producteurs et des consommateurs engagés. Quel est le bilan de ce demi-siècle ? Le congrès 2021 de l’IFOAM est l’occasion de rappeler la philosophie du Teikei qui a guidé le mouvement pour le développement de l’agriculture biologique au Japon.

I/ La naissance du Teikei et l’AJRAB

Le Teikei est un terme japonais qui signifie « engagement de collaboration ». Le terme a été adopté pour désigner des achats collectifs de produits fermiers sains. Dans les années 1960, le Japon a connu de nombreux accidents sanitaires et environnementaux causés par la modernisation acharnée. Soucieux de la sécurité alimentaire, surtout pour leurs enfants en bas âge, de jeunes mères citadines organisaient des groupements d’achats directs chez des producteurs engagés à faire une culture saine. Ces échanges spontanés ont été repérés puis encouragés et guidés par l’AJRAB (Association Japonaise de Recherches sur l’Agriculture Biologique) fondée en 1971 à l’initiative de Teruo ICHIRAKU (1906-1994). En créant cette association, il a souhaité lancer un mouvement pour créer une société plus juste et coopérante et le Teikei lui est apparu comme l’outil pertinent pour cela. ICHIRAKU venait de prendre sa retraite de la haute fonction publique au sein des coopératives agricoles. Il a participé au congrès de l’IFOAM à Paris en 1974 et l’enthousiasme des représentants d’une centaine de pays réunis pour faire développer une agriculture saine l’a fortement marqué.

II/ La philosophie du Teikei : Les dix principes du Teikei

Le Teikei est une spécificité du mouvement japonais pour la promotion du Bio. C’est un engagement de coopération entre producteurs et consommateurs qui sont reliés par un consentement mutuel tacite. La confiance prime. Elle est entretenue par la relation directe entre producteurs et consommateurs lors des distributions de paniers où de l’aide aux travaux des champs par les consommateurs. Un contrat juridique n’a pas de raison d’être dans une relation de confiance et le Teikei continue à fonctionner ainsi depuis un demi-siècle. Néanmoins, il n’est pas évident de maintenir l’énergie et la conviction pour continuer alors que le monde semble avancer de plus en plus vers la rentabilité et l’efficacité.

En 1978, ICHIRAKU a rédigé un texte pour expliciter l’esprit fondamental du Teikei sous forme de principes de fonctionnement. Il savait combien il était difficile de persévérer alors que le mouvement ne reposait que sur la volonté de chacun. Il a présenté des bases idéales de fonctionnement pour que chacun puisse s’y référer. Les « Dix principes du Teikei » ne sont pourtant pas un guide opérationnel. C’est entre les lignes de ce texte qu’on aperçoit la philosophie d’ICHIRAKU. Il a bien souligné le fait que le développement d’une agriculture saine et biologique n’est pas l’objectif du mouvement mais que c’est un moyen pour réaliser une société plus juste reposant sur les relations de confiance et d’entraide.

III/ La ferme du couple KANEKO, meilleur exemple du Teikei récompensé par IFOAM en 2021

Le prix « Lifetime achievement Award 2021 » a été décerné au couple KANEKO en avril 2021 par l’IFOAM. Ils ont été récompensés pour leur engagement tout le long de leur vie à rendre le monde meilleur et plus équitable. KANEKO a démarré l’agriculture biologique en 1975 sur une surface de 2 hectares (dont 80 ares de rizière et 80 ares de maraîchage) avec 15 vaches laitières et 70 poules. Fils héritier d’une famille paysanne, il s’était lancé dans l’aventure de l’agriculture biologique alors qu’aucun de ses collègues ne la pratiquaient dans son village de Shimosato (à 70 km de Tokyo). Il lui a fallu attendre 26 ans pour que d’autres paysans du village décident de le rejoindre et suivre son modèle. En 2009 enfin, tous les foyers agricoles de Shimosato s’étaient convertis en bio afin d’organiser la vente collective du riz. C’est cette réussite du couple KANEKO qui a été promu par le prix du couronnement de toute une vie.

On peut relever comme caractéristique de la ferme de KANEKO, son autosuffisance alimentaire et énergétique. Sur une petite surface, KANEKO cultive du riz, du blé, entre quinze et vingt variétés de légumes chaque mois et quelques fruits. Il y a aussi du lait et des œufs. Il recycle les déchets ménagers et humains pour les transformer en biogaz et en engrais liquide. La ferme reçoit tous les ans de nombreux stagiaires du monde entier. L’ambiance cordiale et internationale de la ferme de KANEKO a réussi à entraîner les paysans du village dans le cercle d’une agriculture saine et biologique. (On peut voir la ferme des KANEKO dans le film de 2012 de Marie-Monique Robin : Les moissons du futur).

Une autre particularité de la ferme, c’est bien évidemment le Teikei dit « oreisei ». La ferme partage les aliments de base (le riz, la farine, des légumes, des fruits, du lait et des œufs) avec dix familles. « Oreisei » est le fruit d’une longue réflexion de Yoshinori (M. KANEKO, né en 1948) qui conduit à ne pas vendre les produits mais à les donner ce que le terme « orei » (remerciement) indique. L’idée est venue chez Yoshinori en se rappelant ce que disait ICHIRAKU :

« Les paysans ont la chance de pouvoir cultiver et manger de bons produits sains. Il faut penser à ceux qui n’ont pas cette chance. Les citadins n’ont pas de terre à cultiver. Alors, votre surplus, vous devez leur donner. »

Yoshinori, fatigué de la discussion sur le prix des produits qui fluctuent tout le temps, a suivi l’enseignement d’ICHIRAKU : il a décidé de donner ce qui est le surplus de son autoconsommation à dix familles. Les consommateurs à leur tour remercient KANEKO pour ce don. La plupart d’entre eux utilisent l’argent en guise de remerciement mais cela n’est pas autant du commerce car il n’y a pas de calcul d’un prix pour guider cet échange. La somme que KANEKO reçoit des familles qui choisissent ce mode de remerciement varie d’une famille à l’autre. KANEKO n’impose rien et laisse chacune décider de ce qu’elle fait. Ces remerciements sont parfois accompagnés de cadeaux comme un gâteau, fait avec de la farine et des œufs de la ferme ou un tablier cousu pour Tomoko (Mme KANEKO). 

IV/ Donner les produits agricoles

« L’esprit fondamental du Teikei réside dans une relation fraternelle entre producteurs et consommateurs et une confiance mutuelle. Le Teikei n’est pas un réseau de commerce direct. Les produits fermiers sont donnés par les producteurs aux consommateurs. En retour, les consommateurs les remercient par les moyens dont ils disposent. Bien que les consommateurs utilisent l’argent pour les remercier, ce n’est pas du commerce. Leur relation est de la nature du don contre don. Les produits n’ont pas de prix. Ils ne sont pas traités comme des marchandises mais partagés. »

L’économie de marché divise les producteurs et les consommateurs en deux camps dont les intérêts sont opposés. Les producteurs veulent vendre plus cher alors que les consommateurs veulent acheter moins cher. Le Teikei propose un moyen pour sortir de ces liens d’opposition. Les produits agricoles ne sont pas traités comme des marchandises mais comme des biens donnés par la nature. Ainsi une bonne récolte fait la joie de tous alors qu’elle provoque sur les marchés l’effondrement des prix à la grande déception des producteurs. Nous sommes tous sur la même planète qui doit être protégée par l’ensemble de l’humanité. Les paysans interviennent dans la nature pour extraire une part mais sans surexploiter cette nature. 

V/ Sauver la planète par l’esprit du Teikei

La menace d’une catastrophe climatique devient de plus en plus inquiétante. L’émission du CO2 pollue la planète en provoquant un réchauffement à un niveau alarmant irréversible. Depuis deux ans la pandémie de la Covid affecte le monde entier en laissant s’estomper le souvenir de la catastrophe nucléaire de Fukushima de mars 2011. Nous sommes entrés dans une époque de remise en question des liens entre l’homme et la nature. Ce n’est pas la nature qui prend l’homme pour ennemi mais c’est l’égoïsme humain qui a fini par entraîner des conditions de vie moins paisibles pour l’homme. L’homme fait partie de la nature. La destruction de l’environnement nous emmène vers une situation catastrophique suicidaire. Il est grand temps d’arrêter le massacre de l’environnement et d’apprendre à vivre en osmose avec la nature.

Certes, le développement d’une agriculture saine de ces derniers vingt ans a contribué à diminuer la pollution. Mais il n’a pas pour autant contribué à améliorer les liens entre l’homme et la nature. Le monde est toujours dominé par l’économie de marché qui pousse l’homme à surexploiter la terre. La Covid nous a dévoilé l’égoïsme des pays riches qui ne voulaient pas partager les vaccins avec les pays qui manquaient de moyens financiers. Cela démontre l’absence totale de la notion de bien commun chez nos dirigeants politiques.

La terre bien soignée par nos paysans soucieux de l’environnement fait partie de ces biens qui constituent notre bien commun. Les produits issus des biens communs sont également des biens communs. Donnés par la nature à l’aide des paysans, ces biens sont là pour être partagés. Il y a des parts pour nous et des parts pour les animaux. Pourquoi ne pas partager avec d’autres vivants sur terre ? ICHIRAKU a dit aux paysans de donner leurs récoltes. Les produits agricoles ne doivent pas être traités comme des marchandises.

Nous devons apprendre à vivre avec ce don. Et nous devons soutenir les paysans qui soignent la nature pour qu’elle puisse se reproduire sans être sur exploitée. En le faisant, nous pouvons sortir ensemble de l’économie de marché.

Conclusion

Les paysans en Bio sont l’espoir de notre planète. S’ils décident dès demain, d’organiser une autosuffisance par une multiculture saine et de donner le surplus à ceux qui en ont besoin, l’agriculture sortira de l’économie de marché. Les paysans deviendront ainsi « nos trésors vivants » dont la vie sera assurée par les remerciements de tous les bénéficiaires.

Hiroko AMEMIYA
(Présidente du CRCJR, MCF honoraire de l’université Rennes 2)

Références :       

Hiroko AMEMIYA (dir.), Du Teikei aux AMAP, PUR, 2011.

Hiroko AMEMIYA (dir.), L’agriculture participative, PUR, 2007.

Yoshinori KANEKO, Mirai o mitsumeru nôjô (La ferme qui s’oriente vers l’avenir), Tokyo, Iwasaki, 1986 (en japonais).

Ferme Shimosato : http://www.shimosato-farm.com

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *